C’était au temps où la Grèce dégraissait

Marc Lobet,

Par un long crépuscule d’été, quand le rose du ciel se fane, Europe, affriolante princesse phénicienne, danse avec ses amies au bord de la mer, sur le sable fauve de la plage de Tyr.

Ces adorables mortelles tiennent à bout de bras des guirlandes de fleurs qu’elles font serpenter, de gauche à droite et de bas en haut.

Europe s’immobilise soudain, brisant net l’évolution de la farandole.

Elle aperçoit un superbe taureau à la robe couleur de neige, aux muscles du cou saillants, aux cornes dorées en forme de croissant de lune.

L’animal se détache d’un troupeau qui paissait dans les pâturages de son père le roi.

Europe est fascinée quand le taureau vient en douceur se coucher à ses pieds en tournant lentement vers elle son œil vague.

Elle s’enhardit et, d’un élan gracieux, grimpe sur son dos.

Aussitôt la bête — qui n’est autre que Zeus — se redresse et s’éloigne vers la mer. Nouvelle ruse de ce dieu suprême du Panthéon hellénique, qui aime prendre différentes formes pour ses innombrables unions, pas uniquement olympiennes : Léda et Danaé peuvent témoigner de son goût pour les métamorphoses.

Sa plus belle relation reste celle qu’il eut avec Mnémosyne, personnification de la Mémoire, qui lui donna neuf Muses après neuf nuits d’affilée.

Le taureau atteint le grand large en fendant les flots bleus. Amoureux fou, il est sous l’emprise d’un coup de foudre.

Cette foudre — forgée par les Titans — qu’il est censé gouverner, tout comme la pluie, les saisons et la succession du jour et de la nuit.

Il n’ignore pas cependant qu’il est soumis aux Destins, ces puissances supérieures aux divinités primordiales.

Europe, agrippée de la main droite à une de ses cornes, fait encore de grands signes d’adieu à ses lointaines compagnes de jeu.

Poètes et peintres s’activent déjà pour fixer l’image du dieu berçant sur son cou nerveux le corps nu d’Europe frissonnant dans la vague dont elle aime surtout sentir l’écume lui chatouiller la plante des pieds et fouetter ses cuisses de nymphe fort émue.

La nuit venue, les bergers dans la montagne assistent à la naissance de la constellation du Taureau.

Son nom signifiant « au large visage », Europe aurait pu personnifier la pleine lune.

Sous les étoiles, le couple atteint l’île de Crète où Zeus passe à l’acte
— Taureau en Lune donc — non loin d’une source, sous des platanes qui, dès lors, cessèrent de perdre leurs feuilles.

Se crée ainsi, pour quelques siècles, un certain nombre de royaumes et de cités, formant aujourd’hui un continent qui, par Jupiter, a bien du mal à survivre.

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