Avec ta C3 pourrie, affichant 243 493 km au compteur trafiqué, tu te pointes, ce lundi aux heures matinales, à la station de Contrôle Technique à Mont Saint Guibert après d’intempestifs embarras de circulation pour te retrouver dans une longue file d’attente pendant trois quarts d’heure. L’enveloppe du sommeil tôt déchirée, ton corps est à présent plombé de fatigue.

Dès le début des vérifications, le taux de dioxine de carbone prélevé dans le pot d’échappement rouillé s’avère effrayant. Tu décroches d’emblée le titre de champion des pollueurs au gaz de serre. Lire la suite


Il y a plus d’un siècle – ou bien de nos jours –, quelque part dans l’empire ottoman, le sultan Mustafa – ou bien le monarque Régis XV, quelque part en Europe – se baigne dans l’étuve d’un hammam impérial quand l’autre se prélasse dans les vapeurs du somptueux sauna de son palais royal. Un messager châtré – l’autre couillu – accourt et se fait introduire auprès de Mustafa, son maître. Il est porteur d’une joyeuse nouvelle : Roxelane, la grande favorite – ou bien Aurore, la maîtresse du souverain occidental – a donné naissance à un fils : Abdullah pour l’un, Athanase pour l’autre. Lire la suite


La bêtise est la mauvaise fée du monde.

Jacques Brel

Traversant un grand cimetière sous la Lune encore inexplorée, le laboureur anonyme — qui n’est autre que le célèbre soldat inconnu — parvient à s’échapper de la boue d’un abri sous une pluie d’obus. Il est le seul survivant de son régiment anéanti. Il a dix-neuf ans, il est beau, grand et bien bâti. Imprudent aussi. Il se dit que naître est imprudent. Continuer de vivre l’est aussi. Tout est imprudent. Déboussolé, il ignore s’il survivra à ces champs d’explosions mortifères, à ces sinistres effets pyrotechniques. Il est atteint du typhus. Celui de la guerre. Seules le tracassent les dernières coupes de fourrage et la conduite des chariots de betteraves à la sucrerie. Lire la suite


Ce samedi soir, le ciel est brumeux et bas. Il fait un temps humide et doux. Les escargots prolifèrent sur la pierre moussue de monstres séculaires aux façades des cathédrales. Tout se fond en une grisaille plus lugubre encore quand elle recouvre les nuits blanches.

Lucien, l’époux de Clotilde, est cloué au pieu par une attaque cruelle de névralgies intercostales. Il craint sa transformation en scarabée bousier et sombre dans un état d’avachissement métapsychique. Lire la suite


Ça y est, c’est fait : l’écran de télévision est aujourd’hui détrôné par ceux des smartphones, des PC fixes et portables, des baladeurs multimédias et autres tablettes. Finis donc les séries débilitantes, les talk-shows interminables, les spots de pub, les docus chiants. Oufti ! Mais, depuis un mois, les petits écrans individuels se sont mis à bombarder la population d’une kyrielle de chiffres en milliards d’euros, de dollars, de roubles, de yens, vantant une croissance qui frise le choquant, tout en évitant soigneusement — c’est l’été, les vacances — les nouvelles déprimantes comme l’annonce de faillites en cascade, la détresse profonde de millions de chômeurs et autres réelles tragédies sociales :

« 90 milliards pour mettre en place des mécanismes de couverture du risque de taux en baisse. » Lire la suite


Pour la seconde fois en un demi-siècle, les œufs de Pâques, en sucre et en chocolat, ont fondu dans l’herbe. Les mains enfantines les palpent, dans la rosée du matin, comme les pneus plats d’une bécane.

Il fait très chaud en ce tout début de printemps. Une faible brise fait osciller les tiges de graminées recouvertes d’un fin duvet blanc. Ces plantes te rappellent les semaines de vacances passées, chaque saison, à Mélin, avec François ton frère jumeau, dans la grande ferme des Fortemps bordant la place du village garnie d’un canon, vestige de la guerre de 14-18, sous un monument dédié aux Morts pour la Patrie. Ce canon a vu défiler une ribambelle de pelotons de petites reines lors des courses dominicales. Mais c’étaient les princesses aux nattes dorées et aux fines gambettes qui attiraient avant tout nos regards. Lire la suite


Par un long crépuscule d’été, quand le rose du ciel se fane, Europe, affriolante princesse phénicienne, danse avec ses amies au bord de la mer, sur le sable fauve de la plage de Tyr.

Ces adorables mortelles tiennent à bout de bras des guirlandes de fleurs qu’elles font serpenter, de gauche à droite et de bas en haut.

Europe s’immobilise soudain, brisant net l’évolution de la farandole.

Elle aperçoit un superbe taureau à la robe couleur de neige, aux muscles du cou saillants, aux cornes dorées en forme de croissant de lune. Lire la suite