Cinq conseils à la chômeuse célibataire

Chantal Boedts,

Ma Grande Chérie, ce n’est pas grave, pas grave du tout, je vais m’occuper de toi, maintenant que ces méchants, ces sans vergogne, et j’en passe, ne t’ont pas renouvelé ton CDD, ce contrat dur et déterminé, que tu mérites, et ce n’est pas faute d’avoir essayé de travailler, je le sais moi personnellement, tu as tout fait, tout fait, pour continuer à supporter la face de rat de notre patron, le Méchant Loup de la tour Madou, et l’ombre de son ombre, le Nain Lourd du Boulevard Jacquemain, cet escroc du quatrième étage, ce pinceur de croupion des madames-café à la sortie des ascenseurs, je suis écœurée…

Conseil n°l : Regarder un snuff movie : « torture d’un sexe déshumanisé en silicone », puis sortir dans le brouillard s’acheter un vibromasseur.

… ma Grande Chérie, je te comprends, j’ai moi-même fait le tour de la question, même s’il faut raison garder, ne pas faire beaucoup de bruit pour rien, je te rassure : tu es assurée, je veux dire tu as une couverture sociale, tu n’es pas dans la rue en janvier, tu es prémunie contre tous les dangers, grâce à ta prime complémentaire, qui va enfin prendre tout son sens, son droit chemin et son bon droit, car, nous le savons, nous l’avons proclamé au dernier conseil d’administration de la tour Madou, lorsque nous n’avions pas encore reçu la nouvelle infamante, insultante, propre à faire sortir tous les syndicats dans la rue, et pas seulement la deuxième quinzaine de mai et la meilleure semaine d’octobre, que les grand patrons du monde sont obligés, contraints sous peine d’astreinte, de nous licencier pour conserver la compétitivité, enfin c’est ce que l’on nous dit pour faire passer la pilule, pour qu’on se retire dignement, sans se plaindre, honteux d’insister de rester : en réalité c’est une erreur de ne pas s’accrocher, par n’importe quel moyen, la Fouine Perverse, celle que nous détestons pour ses hauts talons et ses strings, quand elle en porte, l’a compris avant nous, maintenue à son poste contre vents et marées, comme par hasard, alors que le falzar du Nain Lourd du Boulevard Jacquemain, son fut, son pantalon feutrine C & A de la semaine de 35 heures, sans les pauses-café et la consultation des mails perso, son vêtement de l’entrejambe est resté entrouvert après son passage tirette-éclair, comme on dit si bien à notre sex-étage, sans m’exciter davantage et sans porter ombrage à cette fouine servile, qui m’a volé ma place, oui, je te le dis ma Grande Chérie, et c’est bien là le scandale, elle est passée juste avant moi le jour du grand balayage, et sa feuille du dessous de la pile est passée au-dessus de la mienne…

Conseil n° 2 : Acheter au supermarché une série d’Heroic Fantasies, faire fondre deux Spider Man et un Super Man dans une poêle Tefal, acheter à la pharmacie du Malox menthe, digérer.

je n’ai pas de preuve, et ce n’est pas vérifiable, mais je te le certifie, sans atermoiements funestes, la FEFFF, pffft !, l’Union des Entreprises et tout le saint Ouen t’Ouen de la rue de Palerme ont décidé, comme ça, sous prétexte de compétitivité, alors que toi et moi avons été pressées, stressées, harcelées de toutes les façons par ces mouches du coche de la mondialisation, de vendre du quota, de faire du chiffre et de maintenir le pouvoir d’achat toute l’année passée, je te dis tout ça pour une bonne prise de conscience, rapport à notre instabilité, dans cette capitale subdivisée et convoitée par les forces obscures, l’ordre nouveau et what is belang, pour que tu réalises ce qui se passe en dehors de ton nombril de pointeuse privilégiée, qui possède des actions non déclarées, derrière les sapins des jardins du Luxembourg, malgré la DLU, et c’est un peu inutile, tu vas payer quand même, autrement…

Conseil n° 3 : Faire le deuil de ton monde parfait, lire M.Houellebecq, seule, le soir du réveillon, décontaminer la dinde, la vibrer au masseur, passer au four crématoire.

tu ne vas pouvoir faire le tour du monde comme tu le crois, malgré ta nouvelle vacance, ma Grande Chérie, la fête est finie, les aéroports sont des cibles pour terroristes, le Club Méditerranée a cédé la place au tsunami, au typhon Sainte-Catherina, tu vas pouvoir le vérifier en grinçant des dents, ce 23 novembre, ça va être ta fête, si tu n’as pas d’amour heureux, tu as tout raté dans le fond, puisque tu n’as pas de mec valable à promener à ton bras avenue Louise, ni de travail, que tu es devenue une sans-statut, sans abri de fonction, que tu as fait ton malheur, toi-même, n’investissant pas dans ta vie privée, suffisamment à temps, tu es quand même lucide, n’espère pas ma Grande Chérie que je fasse ici l’éloge de ta folie, ce serait parfaitement stupide, notre ex-chef, « j’en ai marre de te faire cette dernière mise en garde et d’aboyer puisque tu ne réponds même plus aux coups de fils amicaux que je te passe tous les matins pour voir si tout va bien », le Nain me l’a bien dit, « pour vous ce n’est pas grave, vous avez un mari, des enfants, un foyer, un quatre-fois-quatre, une villa quatre façades dans la périphérie, mais pour elle ça va être la chute, la fin du jugement dernier, et pas de la tarte… »

Conseil n° 4 : S’inscrire à une formation en techno-sciences, postuler à la banque du sperme, avorter de postuler.

… il a dit ça pour te prévenir, un support psychologique, pour personnes à fragilité flagrante, a été mis en place, pour t’aider à revenir dans le monde de l’emploi, te garder de la grande illusion, le prince charmant virtuel, le chat sur internet, maintenant que tu as le temps, ce serait un comble, au lieu d’être en recherche active d’emploi, je pense que c’est bien clair, tu ne vas pas continuer à regarder des feuilletons, des Dallas, des Sitcoms, j’en passe et des meilleurs, pendant que je joue, moi, le retour de la femme au foyer, la Desperate Housewives, avec ses trois enfants dans les guibolles, sans pouvoir me taper le voisin tranquillement, entre le rhume du petit dernier, ma chipie de fille de quatorze ans, qui me vole mes strings Rosy pour aller à l’école, et ça fait rien du tout à son père quand je m’en plains ; puisque tu ne me réponds plus, je ne vais plus t’appeler, je suppose que tu es occupée à rattraper ton retard avec les 11 000 verges de ton quartier, enfin, tu fais ce que tu veux, ma Grande Chérie mais il ne faudra pas venir se plaindre, ni faire des confessions, ni un plaidoyer pour la femme, tu vas, enfin, te trouver un type valable, te ranger, proprement, sans faire de honte aux honnêtes gens, comme le dit celui qui apporte les bonbons à la cousine Mathilde, qui vient d’accoucher proprement de son troisième, tu ne vas pas te pendre dans un canal tout plat, platement, ni pisser, sans fond, comme un marin, dans le port d’Amsterdam, car, malgré tout, tu me manques, je t’aime, foi d’animal, intérêt et principal, car si ce n’est moi qui t’appelle, ou bien quelqu’un des tiens, ce ne peut être que ce Méchant Loup, de la tour Madou, qui t’entretient, derrière notre dos, à nous tous, les licenciées dans la file de pointage, qu’on nous a juré qu’elle va être supprimée, à partir du 15 décembre, et qu’on attend de voir si c’est vrai, voilà, puisque tu ne donnes plus de tes nouvelles, à personne, ma Grande Chérie, on suppose, nous, tes ex-collègues, dans la merde, jusqu’au cou, au bord de la crise de nerfs, que tu es partie, avec un pirate des Caraïbes…

Ultime conseil : Commencer une collection de voitures miniatures, paquets d’allumettes Lucifer, faire flamber, passer au karcher, jeter la ferraille calcinée au panier, pour achever.

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