Ce sont des combattants de Judée, de nombreuses grottes les ont déjà abrités.

Le sol est aride.

Les sorties de plus en plus suicidaires.

Ils devraient se rendre.

Le réduit rectangulaire de douze mètres sur trois pue la rage des vaincus.

De temps en temps, ils déambulent dans la forteresse dévastée, tentures de brocart doublées d’amiante suintant la misère, lampes à huile explosées sur le sol, cadres votifs qu’ils chahutent du pied en passant pisser sur le marbre orthodoxe.

Il fait très chaud, humide et tropical.

La mer est mouvante mais calme.

Le Capitaine est petit, tout rond, très foncé avec des petits yeux mobiles.

Sa bouche en élastique suit par moments la mélopée geignarde d’un transistor suspendu à quelque vieille corde, et dans le seau, à l’arrière du bateau, décèdent les poissons technicolor d’Eilat.

Ils rêvent tout haut d’assiettes d’olives, de petits gâteaux au miel et de femmes nues.

Ils ont pourtant une mission ;

Ils en sont convaincus, c’est leur raison d’être.

Le monde dehors est dans tous ses états, attentats.

Jusqu’au bout, trouer les gens, le sol miné de Gaza.

Ils rêvent tout haut dans la basilique de la Nativité.

Elle est en bikini sur le pont de teck, dans un petit sac à côté d’elle, tout ce qu’il faut.

De l’autre côté d’elle un Martini rosso.

Ken sort par l’écoutille, il est forcément très beau.

Elle est contente, elle a peur.

Elle se retourne, cherche ses lunettes, un livre dans le sac.

Ken l’a vue mais l’ignore, Ken sait depuis toujours qu’il ne faut pas s’intéresser à Barbie sous peine de ne pas intéresser Barbie.

Ils s’emmerdent dans le décor, ils veulent communiquer, ils n’ont pas de portable, ils ne peuvent s’appeler.

Le dialogue n’existe pas.

Nous voudrions pourtant les voir s’aimer.

Ils sont entrés par une porte basse et minuscule.

Ils se sont penchés pour se terrer dans un symbole.

Ils en sont prisonniers.

La télé voudrait bien les filmer, crachant dans l’humidité, sans médicaments.

La télé voudrait bien les faire parler, mais elle n’a pas eu l’autorisation de mettre des caméras partout dans un lieu Saint. Alors nous ne voyons rien.

Nous ne pouvons donc rien en dire.

Nous savons juste qu’ils ne se lavent pas, qu’ils n’ont pas de brosse à dents électrique.

Ils ne vont pas manger du homard en terrasse le soir ; ils n’ont pas de jolie femme à pénétrer le soir ; ils ne sont pas malheureux de l’insensualité de cette vie.

Ils n’ont qu’une mission, ils se répètent qu’ils ont une mission.

Ils rêvent tout haut, ils ne savent plus ni le jour ni l’heure, ils attendent sa venue.

La réalité est au-delà des apparences.

Barbie est en vacances.

Sa vie n’est pas rose toutes les nuits.

Elle fait du strip en couple avec Dylan, la version trash de Ken.

Il la trompe tout le temps, son canon a des pulsions incontrôlables.

Elle boit des tequilas gin vodka pour supporter tout ça.

Bien sûr, Barbie aurait pu choisir une autre vie, ne jetons pas la pierre à Dylan, il aurait pu ne pas croiser Barbie.

C’est ce qui s’appelle la fatalité.

Soudain, Le voilà, sortant du Jourdain, des cailloux plein les poches.

Il s’est échappé de l’école ce matin.

Il saute les barbelés aménagés par l’armée.

Un gros char passe, il fait face.

La poignée de petites pierres meurt héroïquement dans la mitraille.

Une femme a perdu son fils.

Elle en fera un autre.

C’est normal.

C’est ce qui s’appelle la fatalité.

Barbie a décidé d’arrêter le strip-tease et Dylan.

Elle a déjà arrêté de fumer car c’est pas bon pour son avenir et sa santé.

Dylan va faire pompier.

Le gouvernement de son pays, pour des raisons de sécurité, de nouvel ordre et de morale publique favorise le haut de l’échelle. Ken n’intéresse pas Barbie, elle trouve les mecs trop violents. Barbie a décidé de faire un break.

Ken veut se faire plaisir et baiser sans histoire.

Il trouve Barbie assez vulgaire mais bien foutue et fantasme déjà sur tout ce qu’il va pouvoir lui faire.

Son slip lycra ne laisse aucun doute sur ses intentions.

Un sursaut d’intelligence lui fait retarder son assaut.

Il vaut mieux attendre la nuit étoilée pour envahir le terrain.

Ils rêvent tout haut de tant de morts de tant de jours de guerre que le paysage lui-même en reste blessé.

Ils rêvent tout haut de lait d’ânesse, de fruits et de miel le long de la mer Morte depuis des siècles.

Les noms changent, les méthodes évoluent, la planète tourne toujours dans le même sens, et ce qui est écrit demeure.

Le vent se lève, le rafiot tangue, la radio du Capitaine crache un sabir autochtone et de grosses gouttes chaudes et violentes explosent sur le teck, la voile et la poitrine de Ken et Barbie.

Trempés, douchés, secoués, ils se raccrochent l’un à l’autre sous l’œil du Capitaine qui n’attendait que la pluie pour se rincer l’œil. Tout devient confus dans l’imprévu, Barbie crie, Ken s’excuse.

La situation est critique.

Le Capitaine fait des gestes véhéments, leur ordonne de se mettre à l’abri.

Une énorme vague déferle sur eux et les envoie dans l’eau.

Ken coule comme une enclume, il n’a aucun matériel de sauvetage et prie de toutes ses forces pour trouver la petite sirène. Barbie après avoir bu une énorme tasse se retourne sur le dos et jaillit à la surface sauvée par ses prothèses mammaires.

Nous avons vécu la scène en direct entre deux passages publicitaires.

Nous restons sans nouvelles du Capitaine.

Il vient, il marche, il rencontre les belligérants, lui aussi a une mission.

Est-ce le propre d’une mission d’en rester aux pourparlers pour ne pas parler d’échec ?

Nous aimons voir le chargé de mission à la télévision.

Nous nous disons qu’il est fait quelque chose en rapport avec la situation.

Il y a un chargé de mission, un responsable, des spécialistes pour bien parler du conflit en direct entre deux passages publicitaires.

Des intervenants, des accusés, des coupables.

Les événements sont entrés dans la case du téléviseur.

On peut l’éteindre et partir manger du homard en terrasse le soir, et pénétrer une jolie femme le soir.

Nous ne faisons plus la guerre, nous, nous vivons sur nos acquis.

Nous nous lavons les mains, nous nous lavons les mains depuis l’Occident.

Nous ne voulons pas mettre en péril notre sécurité et notre fonds de pension.

Nous sommes sages, pas hystériques, nous avons trop à perdre pour perdre la tête.

Nous ne sommes malgré tout pas à l’aise sur notre terre à nous que nous disons que nous partageons, que nous défilons pour dire que nous partageons.

Nous avons peur qu’ils se rendent compte que nous ne sommes que les voyeurs de leurs malheurs.

Ils rêvent tout haut d’aller et venir librement, de construire des maisons qui tiendront sur la carte.

Ils rêvent qu’on les respecte, ils rêvent d’impossibles choses.

La voûte de la grotte les enveloppe dans leurs rêves sacrilèges, l’exubérance décorative les étouffe religieusement, ils ont faim.

Ils savent maintenant.

Les temples s’écroulent, les maisons s’effondrent, les bateaux coulent.

Il reste les grottes.

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