D’accord, Madame, je n’ai rien d’un enfant de chœur.
Le plus drôle, c’est que je l’ai été. Deux ans, trois peut-être, la mémoire fout le camp. Mais les odeurs me restent, écœurantes, chêne ciré, encaustique des cuivres, moisi de la sacristie, naphtaline des surplis, mixture de fleurs fraîches et fanées, puis l’encens, l’encens, qui vous imprégnait tout, les cheveux, les habits…
Notez, pas malvenu, l’encens, avec ce curé qui empestait le sûr et le vin mal digéré. C’est là que j’ai pris ma première cuite avec Georgy. Un jour de ducasse, après les aubades.
Son père jouait du saxo dans l’harmonie Vers l’Avenir, le mien paradait en tête, à faire voltiger son bâton, l’envoyer en l’air, le rattraper derrière son dos. Un as, les gens se retrouvaient au pied du terril pour le voir s’entraîner. Si Vers l’Avenir a remporté des concours, c’est grâce à son tambour-major plus qu’à ses musiciens.
Disparues, les aubades, Madame, et bien dommage pour la jeunesse, autre chose que StarAc ou Youtioube. On cavalait autour de la clique, on faisait enrager l’idiot Baptiste qui suivait en dégoisant la même bouillie qu’à la sortie de messe, passants, pas oublier, porter bonheur… Chaque dimanche, ma mère me filait deux francs, un pour la collecte et l’autre pour Baptiste. Concurrence déloyale, à lui seul il ramassait autant que tous les pauvres de la paroisse, pour autant que la collecte ait servi à autre chose qu’aux hectolitres de vin de messe…
Beaucoup se tenaient sur leur seuil avec une bouteille. On prenait les verres, les passait aux musiciens et les reportait vides, s’agissait d’avoir l’œil et le sens de la justice, pas trop de clarinettes ou de flûtes à la fois, sans quoi fini le concert, mais chacun devait avoir bu autant que son voisin. Bien sûr, au passage, on trempait les lèvres et la tournée s’achevait en zigzags, de quoi se faire marrer les grands.
Après les aubades, cette année-là, on a ressenti un coup de trop peu. L’église était ouverte, on ne piquait pas encore les statues et vider le tronc d’une paroisse ouvrière n’aurait pas mené son malfrat bien loin. Sacré duo, Georgy et moi ! En plus de saxophoniste, son père était serrurier, il avait ça dans le sang, musique et passe-partout. La porte de la sacristie a tenu vingt secondes et le cadenas de l’armoire guère plus. Premier larcin, qu’ont suivi plein d’autres. Le cureton n’y voyait que dalle, tant lui-même picolait. Il avait la trouille de la chaire, avec e, le sermon lui donnait des suées qu’il filait sécher à la sacristie, au nom du Père et hop, du Fils et hop, du Saint-Esprit et hop, au goulot. Il a eu des problèmes de foie, aussi avec e, l’évêque l’a envoyé en cure, puis dans une paroisse de campagne. Le successeur n’était pas du même tonneau, si j’ose dire. Il nous a vite pincés, défroqués aussi sec…
Pourquoi je vous raconte, Madame… ? Ça doit vous casser les oreilles… Des semaines que je vous vois sur ce banc avec votre écriteau : « Envie de parler ? je suis là ! », mais jamais personne, à part les pigeons. Comme si vous faisiez peur… Ou alors, c’est parler qui fait peur. Avant, je discutais le coup au bistro, le foot, le Tour, la politique, mais avec la crise j’achète un carton de Pils chez Aldi et je le bois tout seul chez moi. Ne me demandez pas qui a gagné le championnat, c’est pourri de toute façon, dope et compagnie, ça ne m’intéresse plus. Rien ne m’intéresse plus, tout pue le fric, affaires, magouilles et entourloupes. Et faut pas croire, on tape sur Charleroi, mais ceux de la haute sont les pires. Tenez, moi, parce que je n’ai pas fait semblant de chercher un boulot qui n’existe que dans sa tête, ma « facilitatrice » m’a saqué du chômage et je me retrouve au CPAS. Mais regardez ces porcs de la Bank of Flanders, à une poignée ils vous ont plumé le fisc plus que tous les chômeurs du royaume. Vous ne me croyez pas ? Je sais calculer, quatre cents millions d’euros ils ont fraudé, une année d’indemnités pour trente mille chômeurs. Pourtant, vous verrez, ça va passer au bleu, ces gens-là, c’est cul et chemise avec la justice et les politicards, les loups ne se bouffent pas entre eux. Y’a qu’à voir cette juge Denthine, qui favorisait ses petits copains, je t’accorde un jugement favorable et tu m’arroses, tu m’invites sur ton yacht, ou à des parties fines. Bon, celle-là, on est tombé dessus, mais faut pas croire qu’elle paiera, tous ceux qui ont eu affaire au tribunal savent comment ça se passe…
Drôle, je ne vous ai pas dit grand-chose de moi, n’empêche que ça m’a fait du bien de vous parler, je sens qu’on peut tout vous raconter, pas comme au psy de ma cure, une vraie porte de prison. Et la fois suivante, il avait tout oublié, reposait les mêmes questions, d’ailleurs on avait pigé, les copains et moi, on s’amusait à échanger nos souvenirs, il n’y voyait que du feu… Paraît que la consultation doit durer cinquante minutes, la sécu le paie pour ça. Mon œil, un quart d’heure on avait droit, pas une seconde de plus, l’œil rivé à son horloge. Mais faut voir quelle bicoque il s’est fait construire…
*
M’obsède, Madame, la juge Denthine !
Même que je vais lire les gazettes au GB. Parce ce n’est pas avec le CPAS que je peux me les acheter, je ne sais plus si je vous l’ai dit, on m’a viré du chômage. Ma « facilitatrice », pour trouver des mots ils sont fortiches, un job c’est autre chose, m’avait convoqué deux fois et je n’étais pas allé. Voyez-vous, j’habite une vieille baraque transformée en studios, quatre cent cinquante euros pour une boîte d’allumettes avec un cagibi douche-WC-cuisine qui pue le gaz et le reste. Moi je vis seul, mais certains s’y entassent à des cinq ou six. Bref, des dizaines pour une seule boîte aux lettres, les gosses chipent le courrier pour s’en faire des fusées… Jamais vues, ses putains de convocs, sinon j’y serais allé, pas si con, même si c’est de la foutaise, te présenter à des boulots pourris qui te laissent moins que le chômage quand t’as payé ton tram. Je l’ai fait, je vous jure, ils n’ont même pas la politesse de te répondre. De toute façon, chômage ou CPAS, misère crasse et crasse misère, à peine de quoi ne pas crever de faim. Ni de soif vous allez dire, mais faut comprendre, seul toute la sainte journée…
Donc, je suis de près cette affaire de juge ripou. Mère et grand-mère sans histoires qu’ils écrivent, pas elle qu’on aurait privée de visite en cas de divorce ! Parce que c’est ce qu’on m’a fait, Madame ! Roulé dans la farine ! Mon ex nettoyait un grand cabinet d’avocats, elle était bien roulée, a payé son défenseur en nature, d’ailleurs l’avait payé d’avance, même que c’est pour ça que… Moi, j’ai tout juste pu m’offrir un jeunot qui n’a jamais ouvert mon dossier avant l’audience. De toute façon, la juge était une pouffiasse de féministe, je vous demande pardon mais si vous l’aviez entendue… Alors, moi, les juges en jupon, mais c’est vrai qu’ils le sont tous, pareils aux enfants de chœur… À la première conciliation, j’ai senti que c’était cuit. Et même archi-cuit, pas le droit de recevoir mon fils, incontrôlable elle a dit, boisson mauvaise, fréquentations douteuses… Pourtant, je vous jure, je n’ai jamais cogné. Ni escroqué personne, pas comme cette juge Denthine. J’avais juste le droit de rencontrer le gamin dans un lieu surveillé, je l’ai fait quelquefois puis j’ai abandonné, peut-être que j’ai eu tort, mais j’avais l’impression qu’il me rendait visite en tôle. Malgré ça, j’ai toujours payé la pension, même dans la dèche, et même quand mon ex a refait sa vie. Pas avec l’avocat, un baratineur de première, tout ce qu’il voulait c’était garder son cul à portée de main et d’autre chose, dès qu’il en a eu marre il l’a envoyée nettoyer ailleurs. Quand ça me faisait trop mal de ne pas voir le petit, j’allais me planquer dans un coin à la sortie de l’école pour le regarder passer. Mais on m’a vite repéré, par les temps qui courent, un bonhomme qui reluque les petits garçons… Il a seize ans, maintenant, si je le croisais en rue je ne le reconnaîtrais pas. Et lui encore moins. Peut-être que c’est mieux ainsi, qu’il aurait eu honte de son père ! Enfin, allez savoir, le mien non plus ne crachait pas sur la bibine, et je ne lui en ai jamais voulu. Au contraire, j’étais fier de lui, et pas seulement comme tambour-major.
Je vous en raconte une bonne, Madame, vous qui aimez les pigeons, y’en a toujours près de votre banc et je vous vois leur donner du pain. Vous savez que c’est interdit ? Vous êtes comme moi, rien à cirer… Après le divorce, j’ai rencontré une espèce d’anar. Pour lui, le palais de justice était le symbole de l’oppression, rien que ça, fallait le détruire pour l’exemple. Mais pas question de bombe, un anar pacifiste. Il avait repéré des bâtiments attaqués par la lèpre de la pierre, il s’est mis à racler leurs façades et à mélanger la poudre à des graines qu’il allait jeter aux pigeons du palais pour que leurs fientes le contaminent et le détruisent à la longue. Un temps, je l’ai accompagné. Quand on avait nourri les volatiles, on s’asseyait sur un banc et on zyeutait la façade. J’imaginais qu’un jour tout allait s’effondrer sur cette pétasse de juge. Faut avouer que ça n’allait pas vite mais je n’étais pas pressé, je me sentais bien, j’admirais le vol des pigeons, ça me faisait tout léger. N’empêche que le palais de justice est toujours bien debout et pas tellement plus gangrené. Ce qui l’est, gangrené, c’est les juges. Rapaces comme ils sont, z’ont dû bouffer les graines des pigeons, c’est leur cœur de pierre que la lèpre a rongé.
Au fond, l’anar avait raison et tort. Raison, parce que la justice, et pas rien que son palais, est vraiment le symbole de l’oppression. Et tort, parce que ce n’est pas avec de la fiente de pigeon qu’on s’en débarrassera. La juge Denthine, j’aimerais bien qu’on lui fasse payer cher, mais je n’y crois pas, dans ce milieu, même si on se déteste, on se tient les coudes. Puis si c’est pour mettre à sa place un autre qui fera pire… Le système est comme ça, le fric pourrit tout, plus t’en as plus t’en veux. Parfois, je me dis qu’il faudrait lui faire la peau, à la juge Denthine, pour l’exemple. Vous savez, Kennedy… Je n’étais pas né, mais j’ai vu des émissions. D’abord, il y a Oswald, qui abat le président. Puis Ruby descend Oswald. On a raconté plein de conneries, que c’était pour l’empêcher de vendre les cerveaux. Moi, je suis sûr que Ruby a vraiment voulu venger Kennedy, qu’il n’avait pas confiance dans les juges, qu’il a fait justice lui-même. La nuit, ça me turlupine, j’imagine que j’entre au palais, que j’abats la juge Denthine. On me condamne à perpète mais je m’en fous, tôle ou CPAS de toute façon. J’explique aux journalistes pourquoi j’ai fait ça, du coup je suis Robin des Bois, ou Zorro. Trop de gens trinquent, ils en ont jusque-là de cette merde…
Vous avez vu, le procès de la BOF ? Ajourné, c’était couru ! Je vous fiche mon billet qu’il n’aura jamais lieu. Façon de parler, parce qu’en fait de billets, vous pourriez me retourner comme une vieille chaussette qu’il n’en tomberait pas un. On sait que ces nababs ont entubé le fisc pour des fortunes, mais on ne le sait pas de façon conforme à la loi. Et eux, leurs combines, elles étaient conformes à la loi ? De qui on se fout ? Comment voulez-vous qu’on y croie encore ? Un fameux coup de balai, faudrait là-dedans, c’est moi qui vous le dis !
La fois dernière, je vous ai parlé de mon obsession, liquider la juge Denthine pour l’exemple. Mais ce serait encore mieux d’abattre ces mafieux. En plein tribunal, pif paf pouf, accusés, juges, avocats, le carton du siècle… Vous savez ce que j’ai découvert ? Dans la bande il y a cette fripouille de Van Kist, celui de la dioxine, qui avait ajouté de l’huile de vidange à la boustifaille des bestiaux… ! Une balle dans la tête, voilà ce que cette engeance mérite ! Ou alors, son huile de vidange, on devrait lui fourrer un entonnoir dans le gosier pour ne pas dire ailleurs et la lui déverser jusqu’à ce qu’il en crève.
Ça vous fait rire ? mais un pistolet j’en ai un, vrai de vrai ! La seule chose que mon père m’a laissée. En quarante, il n’était qu’un gamin, n’empêche qu’il a fait la résistance. Il n’a pas rendu son arme à la libération, s’il n’y a pas de prochaine, qu’il se marrait, ça servira pour le grand soir. Parfois, il m’emmenait dans les bois, posait une bouteille sur une souche et m’apprenait à tirer, pour que je devienne un homme. Il est mort à l’usine, un accident, à six mois de sa pension, n’avait plus tous ses réflexes mais le patron n’avait rien à foutre de la sécurité, moi je gonfle et toi tu crèves, pareil au Van Kist. Après l’enterrement, ma mère m’a supplié de jeter le pistolet et les cartouches à la rivière. Je l’aimais beaucoup, ma mère, je lui ai dit oui pour ne pas lui faire de peine, mais vraiment je ne pouvais pas, j’ai planqué le tout au grenier. Puis quand je me suis marié, je l’ai gardé dans une malle cadenassée, avec mes effets du service militaire. Heureusement que mon ex n’en a jamais rien su, vous imaginez son avocat… Mais plus jamais je n’ai tiré une cartouche, faut dire que le grand soir, quand on a vu le résultat… N’empêche que tous les mois je le démonte et je le graisse, il est comme neuf… Et que la nuit je n’arrive pas à dormir, je me vois le brandir sous le nez de la juge Denthine et du saligaud de Van Kist, je tire, je tire, plus moyen de m’arrêter, ils paient pour tous les autres, la facilitatrice, la juge de mon divorce, le psy de la cure, le patron qui a tué mon père…
C’est peut-être vrai que je ne vaux plus tripette, la cinquantaine en vue, pas de diplôme, rien que des petits boulots, dix ans de chômage, mon carton de mauvaise bière et mes sales idées en tête. Pourtant, je n’ai pas toujours été comme ça. Je n’étais pas manchot, même qu’on me trouvait de l’or dans les doigts, je me demande où il a fondu. Je prenais bien ma cuite, mais rien de grave. J’ai foiré quand j’ai compris que ma femme et cet avocat de merde… Alors, là, oui, je l’avoue, des semaines durant, et j’ai perdu mon boulot. Puis c’est le moment que Georgy a choisi pour se faire la malle. Il était routier, le cœur sur la main, pendant ses congés il trimballait de l’assistance avec les camionneurs sans frontières. On l’a retrouvé sur un parking en Moldavie, couvert de neige, avec son camion vide. Mais si on avait pillé en le découvrant mort ou si on l’avait tué pour mieux voler… On ne se voyait guère, lui toujours sur les routes et on n’habitait plus la même ville, mais on se téléphonait, et à chaque retrouvailles, c’était comme au bon temps de la ducasse et des aubades… Ça m’a achevé, d’un seul coup, je n’avais plus ni femme, ni gosse, ni copain, ni boulot…
Et maintenant, même plus de chômage…
Pourtant si, j’en ai un, de copain ! Amadou, un Black, sacrément baraqué, la poire toujours fendue. Il y a deux mois, j’étais monté voir pourquoi il faisait un tel raffut avec ses potes. Vous devez vous en souvenir, ils avaient tous grimpé sur une grue et menacé de sauter, les nichons de Mimie Trottelbosch s’étaient mis à jouer des castagnettes, elle leur avait jeté six mois comme un bout de gras aux pourceaux. La semaine dernière, c’est lui qui est venu me trouver. Son convecteur avait claqué, il grelottait, on lui avait dit que je m’y connaissais. J’ai travaillé pour un chauffagiste, je retape les appareils pourris de l’immeuble, j’ai pu lui arranger ça. Il avait dégotté un job, tapisser l’appart d’une rombière, du coup on l’a fait à deux et on a partagé. Le dernier soir, je l’ai invité à prendre un pot et j’ai acheté un bac de vraie bière. Mais lui carbure au coca, son dieu lui interdit de picoler, sans doute pas le même que le cureton de mon enfance.
Eh bien, vous n’allez pas me croire, mais c’est comme avec vous, tout d’une fois j’ai senti qu’Amadou, je pouvais lui faire confiance et j’ai lâché le morceau, le pistolet, ces méchantes idées qui me tournicotent. La Trottelbosch, que j’ai dit, je lui ferais aussi bien sauter la cervelle qu’à la juge Denthine ou à ce dégueulasse de Van Kist. Une salope, on l’a mise exprès ministre pour se débarrasser des gens comme toi, qui valent dix fois mieux qu’elle.
Je pensais qu’il allait me prendre dans ses bras, il fait toujours ça quand il est content. Eh ben non, il s’est arrêté de rigoler aussi sec. Tu sais pourquoi je suis venu dans ton pays ? Pourquoi je suis prêt à tout pour y rester ? Parce que, chez moi, tout le monde en a un, de pistolet, ou bien pire, chacun fait sa propre justice, n’importe qui tue pour n’importe quoi. La Trottelbosch, sûr qu’elle me débecte, sûr qu’on l’a placée là pour bloquer nos dossiers, mais je préférerais mille fois l’expulsion que de te voir l’abattre. Ou alors, à quoi bon traîner sous votre foutue pluie ? D’ailleurs, on magouille tous, la juge Denthine et le Van Kist, mais aussi toi et moi, toucher le CPAS ne nous a pas empêchés de turbiner au noir. Peut-être bien, j’ai répondu, mais nous, on n’a pas le choix, on trafique pour ne pas crever, si on se fait choper y’aura personne pour se demander si c’était d’une façon conforme à la loi et s’il faut ajourner le procès. Quand on vise le sommet, on doit montrer l’exemple ! Ou alors merde, quoi !
Mais il restait patraque, il est remonté dans sa cambuse et je l’ai entendu chipoter, comme s’il avait sifflé toute une cafetière. Moi aussi, j’ai mis des heures à m’endormir, ça me travaillait pire que jamais. Puis, dès que j’ai plongé, un drôle de rêve m’est venu. J’étais devant le palais de justice et je canardais les pigeons. Tout à coup, voilà ma mère devant moi, qui me reproche de l’avoir trompée, de ne pas avoir jeté le pistolet. En fait, c’est aussi vous, même que vous vous penchez sur les pigeons morts pour leur donner du pain miraculeux, dès qu’ils y touchent ils ressuscitent.
Quand je me suis réveillé, faisait encore nuit. J’ai fourré le flingue dans ma musette et je suis sorti. J’avais la pétoche, mais pourquoi un flic m’aurait arrêté ? Le tram était plein d’ouvriers, je pouvais être n’importe lequel, celui avec des poches sous les yeux, ou l’autre qui se marrait, comme dans le temps, quand j’avais du boulot, une femme, un gosse. Je me suis dit que la terre continuait de tourner mais que je n’en savais plus rien, que la seule chose pour moi qui tournait encore, c’était ces obsessions dans ma cervelle.
Quand la musette a fait plouf dans le canal, je me suis senti léger. Vous alliez être contente, j’ai pensé, même si vous ne m’avez jamais rien dit de pareil. Et Amadou serait fier de son pote.
En fait de grand soir, c’était un grand matin.