Commentaire sur la calamité

Henri de Meeûs,

Je suis seul et bien seul depuis que le virus C a envahi la planète et s’est répandu à une vitesse de plus en plus rapide sur notre Terre, n’épargnant personne, sauf les animaux et les plantes. Certains proches, nièces, une amie, un ami, personnes en bonne santé au début de la contamination, et provisoirement épargnées, m’aidaient en m’apportant mes courses, mon pain, un peu d’américain nature pour Brigitte ma bouledogue, et du poulet et de petites biscottes pour elle et pour moi. Ils me rendaient un service héroïque car les grands magasins sont des réceptacles à virus, dans l’air, les postillons, le toucher quand les clients se croisent, se frôlent sans le faire exprès, je redoute d’y pénétrer. J’admire les vendeuses, les caissières assises qui enregistrent les ventes avec l’ordinateur, vite, vite, reçoivent des billets contaminés, rendent la monnaie, disent au revoir et merci, des heures durant, jusqu’au jour où on ne les voit plus, malades ou mortes. Aucune explication n’était donnée à leur absence. On ne pose pas de questions.

Je lis (avec des gants) dans mon journal papier – abonnement quotidien – que l’épidémie est mondiale. Certains habitants sont plus touchés que d’autres : Chine, Italie, Espagne, USA, mais les plus protégés voient les chiffres des décès et des contaminés grimper à leur tour, provoquant la fermeture des frontières et l’interdiction d’atterrir dans leur pays. Chacun se barricade. La mondialisation, les multi-échanges, l’Europe a du plomb dans l’aile, si pas dans le ventre. C’est bientôt le retour des États souverains qui seront libres de fabriquer chez eux leurs mesures de protection et de ne plus, naïvement, confier à la Chine l’exclusivité des fabrications de masques, respirateurs, lunettes et autres protections. Décision insensée et imbécile de nos dirigeants des États européens, peu préparés à cette calamité et maintenant face au débordement, vu – ils le proclament eux-mêmes – la vague qui arrive ! Ils annoncent plusieurs vagues et un pic bien difficile à apercevoir dans le brouillard médical.

Malheureuse population de brebis bêlantes, mes frères, mes sœurs, une de fois de plus tondue, parquée dans leurs enclos sans pouvoir en sortir, à la merci de nouvelles et quotidiennes mesures de confinement, familles resserrées dans de petits espaces toute la journée, du matin au soir, cris des petits, fureurs des ados privés de leurs copines et copains, sorties limitées et surveillées, et les courses à effectuer, souvent par les mères qui courageusement viennent respirer l’air des grands magasins en bravant tous les risques.

Honneur au courage de ces femmes en première ligne ! Infatigables et sans exprimer de plaintes, le plus souvent. Gloire à ces courageuses exposant leur vie par amour de leurs rejetons et de l’époux bien ou mal aimé.

Moi sans courage, je refuse de sortir, étouffant dans mon appartement minuscule. Je fais partie des personnes à risque, j’approche quatre-vingts ans, je n’ai ni épouse ni enfants. J’ai eu la paix toute ma vie, j’ai beaucoup travaillé, mais maintenant, je ne reçois aucune visite car mes deux nièces si dévouées aux courses alimentaires sont au lit depuis huit jours, avec toute leur famille. Je me demande qui leur apporte leurs provisions. Mes réserves s’épuisent. Il faudra bien que je sorte, habillé d’un manteau épais, de deux écharpes, d’un masque sur le nez et la bouche, masque reçu d’un ami écrivain de Pologne, masque que je ne change pas car la population n’a jamais reçu de masques. C’est le système D, ou plutôt l’absence de système car beaucoup sont morts sans avoir reçu la moindre protection. J’ai un ami de mon âge, isolé à Uccle dans son riche appartement, qui m’a téléphoné pour m’annoncer qu’il avait fabriqué de ses propres mains un masque en tissu fleuri sur les indications écrites de sa belle-sœur ancienne infirmière. Cela lui a pris deux heures. On a ri. Mais c’est tragique. Si on ne fuit pas la calamité, on est sûr de disparaître. Elle court à la vitesse du vent. Ce vent mauvais qui depuis des mois souffle sur nos contrées. C’est le vent qui apporte les maladies, disent les Musulmans.

J’ai lu aussi qu’il y a d’autres martyrs, les prisonniers, à trois ou quatre par cellule, et leurs gardiens, sans masques, pour les discipliner. Qu’on laisse les fins de peine rentrer chez eux ! Qu’on accroche aux chevilles des libérés anticipés, si nécessaire, un bracelet de contrôle, mais ôtez-les de cette nasse insupportable avant qu’il y ait des morts et des bâtiments pénitentiaires à feu et à sang.

Les politiques n’ont pas une goutte d’humanité dans leurs veines pour torturer les délinquants ? Libérez-les de toute urgence. Le confinement dans mon minuscule sous-sol est déjà une épreuve. Y vivre à cinq serait la mort assurée.

Honte aux responsables-coupables de n’avoir pas conservé un stock de masques et autres moyens protecteurs. Pourquoi avoir fait disparaître un million (ou plus ?) de masques qui auraient pu servir, même périmés ? Mieux vaut une protection incomplète que rien à vous coller devant la bouche et le nez ! Les frais du stockage dans l’entrepôt étaient considérés comme une charge inutile. À détruire et limitons les dépenses !

Si ma mère me voyait… Elle a eu la chance de décéder il y a seize ans chez elle, d’une embolie pulmonaire. Toute sa tête à nonante-cinq ans. Si elle vivait l’enfer actuel, j’aurais dû m’occuper d’elle alors qu’il est si difficile de m’en sortir seul.

Nous sommes devenus ces otages, l’armée invisible des virus occupe le terrain, nous immobilise, nous fait marcher sur les trottoirs le cœur étreint par l’angoisse de croiser ces horribles joggers qui vous aspergent de leurs postillons et sueurs en vous frôlant dans leur tenue si laide. Ils sont interdits en France et pas en Belgique ! Ô médecins, girouettes paniquées.

Les très hauts responsables de la Politique, de la Médecine et de la Salubrité publique ne doivent-ils pas répondre de leur incurie, de leur imprévoyance, des 3 000 morts (bientôt 4 000 ?) déjà emballés qui furent déposés dans les morgues du pays, pauvres morts pris au piège, n’ayant jamais imaginé se retrouver dans l’Enfer de Dante, seuls, sans la présence d’un être tendrement aimé, sans le toucher d’une main réconfortante, sans le regard d’un enfant chéri ?

Ou bien, comme souvent, quand il y a trop de politiques coupables, on posera le couvercle pour éteindre la marmite. Responsables mais jamais coupables. Comme ceux qui au début disaient : « Nous sommes prêts, c’est une grippette ».

Les médecins généralistes se sont très fort protégés, et c’est compréhensible, en ne donnant pour la plupart que des consultations par téléphone, après filtre de la secrétaire qui vous pose mille questions avant de vous dire qu’elle ne peut vous donner l’adresse mail du Docteur, ni vous le passer au téléphone maintenant. « Non, Monsieur, le Docteur reprendra contact et vous retéléphonera. » J’attends encore. Consultation téléphonique ? Ils ont tout compris, disent-ils, au son de la voix. S’ils déclarent, il faut aller à l’hôpital, le malade non encore testé, mais terrifié, renonce et reste chez lui à couver sa fièvre, à se gaver de Dafalgan, à prier Dieu de l’épargner. « Mon Dieu, aie pitié de moi, éloigne de moi, de tous les Belges, de tous les êtres humains, même de ceux que je n’aime pas, ces virus venus de l’Enfer. Ne permets pas ces tueries ! »

J’entends que certains médecins héroïques ont dominé leur peur et ont rendu visite aux malades, les réconfortant, et leur administrant des médicaments pour les aider.

Combien de temps les confinés-citoyens-obéissants supporteront leur enfermement ? Les bienheureux ont des jardins fleuris, déjeunent sous la tonnelle, jouent aux cartes en famille sous les parasols, une fraîche limonade à la portée des doigts.

L’été s’annonce déjà en avril, on aura très chaud surtout dans les petits appartements où vivent papa, maman, les ados et les bambins !, même si certains parmi les « étouffés » font du jogging, du vélo, de la marche avec ou sans chien, avec ou sans enfants ? Sortis de leur air irrespirable, des parents à vélo sont suivis par deux, trois, quatre enfants, aussi à vélo, et ils prennent l’air, leur beau souci, en espérant que celui respiré à pleins poumons, ne croisera pas le virus !

Ceux qui souffrent d’autres maladies que celle du virus, refusent de passer par la case hôpital de crainte d’être contaminés. Le cancer, l’AVC, l’infar ? On attendra !

Et on verra bientôt ceux rendus fous par ce confinement forcé, – on n’a demandé l’avis de personne – on a décidé pour nous, on ne peut pas se promener la main dans la main, ni se bécoter, sinon paf, le PV et les pauvres policiers sans masque vous verbaliseront. Avec cadeau en prime, les virus lancés par la bouche explicative du verbalisant, victime innocente sur ordre des autorités communales calfeutrées.

Les jeunes jusqu’à trente ans qui ont lu dans les statistiques qu’ils ont peu de morts dans leur génération, sont très relax, se retrouvent, babillent, discutent en groupe dans les parcs. Il serait interdit de s’asseoir sur un banc. Les vieillards n’ont pas une pierre pour poser leur séant cinq minutes et récupérer. Sinon, verbalisations sur ordre du bourgmestre et amendes ! Punir ceux qui vont mourir.

J’ai la chance que, vu mon âge, depuis la maladie de mes deux nièces héroïques qui m’approvisionnaient, certaines firmes me livrent des plats (basiques) à réchauffer. Je dois téléphoner. Je commande pour trois jours. Le livreur sonne et dépose devant la porte à rue le sac en papier contenant ma commande payée. Je déteste cuisiner. Un plat chaud à midi. Une ou deux tartines le soir. Pas plus. C’est le bas de gamme. Se nourrir, boire, survivre, car le pic, toujours annoncé, n’est pas visible encore.

Quelle durée ce confinement ? C’est ne pas connaître la fin du cauchemar qui mine les esprits. Vivre au jour le jour comme des prisonniers, des otages. Mais les victimes de 14-18 auraient préféré notre place.

Un ami m’écrit, atteint du Corona, que ce virus est vicieux et puissant. Il croit l’avoir attrapé dans un « lounge » d’aéroport, dans l’attente d’un avion qui avait quatre heures de retard.

Quand je promène Brigitte, en rue, à pied, tranquillement sur le trottoir, courtes promenades, je suis brutalement face à des cyclistes qui soufflent et qui crachent, sans masque de protection naturellement, ou des joggers dès sept heures du matin, qui sentent la transpiration, venant vers moi vite, vite, ou surgissant silencieux de mes arrières, et aussi, l’autre choix de porteurs de virus qu’il faut bénir au passage, courants, riants, c’est la famille nombreuse de papa maman et bambins, à pied ou sur leurs cycles, qui ignorent manifestement les règles de la distanciation, et me regardent comme un vieux croûton.

J’ai décidé de sortir le moins possible, mais Brigitte ma bouledogue n’accepte pas, elle veut se dégourdir les pattes, et arroser quelques plates-bandes, et faire ses gros besoins à l’ombre d’un arbuste. Elle est très propre. Mais la sortir me fatigue, Il fait trop chaud.

L’économie et les finances du pays sont à terre. Mes petites économies suivront le même chemin. Survivrai-je ?

Le confinement forcé ajoutera au nombre des morts.

Un ami de longue date enfermé dans un ermitage à Arlon, m’a écrit cette lettre reçue hier :

Quand je t’entends, je me rends compte à quel point l’église a rendu Dieu inapprochable. C’est vraiment scandaleux et inadmissible ! On peut se tourner vers Dieu en cherchant la joie tout simplement. Quand je me mets à ma fenêtre, je me tourne vers Dieu. Mais je ne suis pas du tout dans une attitude religieuse. Dieu n’a que faire de tous les chichis que l’on prend pour se montrer humble, et les attitudes composées dans les chapelles, ne sont pas du tout son truc. Je te le dis, parce que c’est ce que j’ai appris de ma vie. Dieu n’est pas dupe des chipotages et des déguisements qu’on adopte dès qu’on parle de Lui. Cela sonne faux.

Dieu est vérité, et si on le cherche, restons nous-mêmes, pas de discipline à adopter. Simplement rechercher ce qui nous aide à vivre dans notre contexte bien réel et pas du tout religieux. Ça, c’est Dieu, et il n’y en a pas d’autre. Mais si on pouvait recevoir le corps et le sang du Christ, sans tous les chipotages hypocrites et qui font peur, on serait plus fort. Mais, malheureusement, le Seigneur a confié ses vignes à des brigands et à des voleurs hypocrites, et quand il envoie ses serviteurs pour en recevoir le fruit, ils sont renvoyés et maltraités. Mais un jour, la vigne sera confiée à des vignerons qui n’étoufferont plus l’amour de Dieu.

En résumé : Contrairement à ce qu’ont fait croire les Pharisiens, il n’y a pas de contorsions à accomplir pour se rapprocher de Dieu, car Dieu veut être considéré comme un ami intime. C’est tout ce que je sais, mais cela, je le sais.

Il ajoute : Ne propage pas la crainte et l’angoisse de la menace qui nous entoure. Mets-toi en confiance et mets les autres en confiance. Tu as plutôt tendance à faire peur. Mets-toi à une fenêtre au soleil tous les jours, la lumière chasse la crainte et donne de la joie. La confession n’est, pour moi, pas du tout une condition essentielle pour se tourner vers Dieu. C’est l’Église qui a posé cette barrière, Jésus ne veut aucune barrière entre lui et ses brebis. Il désire l’intimité totale et exclusive, afin que la brebis reçoive sa confiance sans condition aucune. Il faut, toujours, être confiant dans son accueil et son regard aimant, même si on ne se sent pas digne. Pas besoin de passer par une douane pour se tourner vers Dieu. Dieu est un ami, le meilleur ami, pas de condition de pureté où de propreté pour se confier à lui. Pas de discipline à adopter pour se rapprocher de lui. Avant tout, ne jamais avoir honte de se présenter tel qu’on est, c’est ce qu’il préfère, j’en suis sûr.

*

J’ai repris un vieux livre de prières qui traînait dans ma bibliothèque. Je lis les superbes litanies adressées à la Vierge, notamment :

 

Mère du Christ, priez pour nous

Mère très pure,

Mère admirable,

Mère du Créateur,

Mère du Sauveur,

Vierge très prudente,

Vierge puissante,

Vierge fidèle,

Demeure de l’Esprit- Saint,

Rose mystique,

Tour de David,

Tour d’ivoire,

Maison d’or,

Porte du ciel,

Étoile du matin,

Santé des malades,

Refuge des pécheurs,

Consolatrice des malheureux

Priez pour nous, sainte mère de Dieu

Et je lis celles consacrées à Saint Joseph :

O bienheureux Joseph, terreur des démons, nous recourons à vous dans notre tribulation, et après avoir imploré le secours de votre très sainte épouse, nous sollicitons aussi avec confiance votre patronage. (…) Assistez-nous, dans nos besoins, de votre puissance et de votre secours. Protégez, ô très sage gardien de la divine famille, la race élue de Jésus-Christ ; du haut du ciel, assistez-nous, ô notre très puissant protecteur, dans la lutte que nous soutenons contre la puissance des ténèbres. (…) Préservez-nous de toute calamité. Couvrez de plus chacun de nous de votre constant patronage. (…) .

Avril 2020

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