Curriculum vitæ in Belgica nostra (fabula)

Michel Voiturier,

Nihil obstat.

Monseigneur l’archevêque van Mechelen-Brussels

Il eût pu se prénommer Félix, Auguste, Flavio ou même Jules, voire Marc-Antoine. Ses parents ne parvenaient pas à choisir. D’autant qu’in illo tempore, nul moyen n’existait de prévoir in utero le sexe du petit ange qui serait mis bas après quarante semaines de gestation.

Ils réfutèrent cependant d’office Quasimodo, car leur rejeton serait forcément beau ; Nemo car il deviendrait fatalement quelqu’un ; Marius car propriété folklorique d’un écrivain francophone marseillais ; Néro, car bien qu’augurant une vocation de pyromane, ceci désignait un détective états-unien susceptible de finir en bande dessinée (or dans le lignage, il y avait eu déjà un ancêtre, De Mesmaeker, et chacun savait ce qu’il en advint via les aventures de « Gaston »)… Le problème fit périodiquement l’objet de réunions in situ du clan, sans qu’un accord ne fût conclu.

Lorsque le petit naquit, ce fut un esclave — pardon ! — un valet qui le déclara à la Stadhuis parce que le pater familias était à l’étranger, enrôlé volontaire dans une milice patriotique. Le bambino reçut donc un petit nom à consonances gauloises, ascendant viking. Mais, alléluia ! ses autres prénoms étaient César-Maxime-Régis. Apprenant cela, le parrain fulmina et se réjouit tout à la fois avant de solennellement déclarer : « Alea jacta est ! » Et plus personne, jamais, n’en parla, sauf, peut-être en catimini.

Le gamin effectua des études primaires moyennes. Pour le secondaire, il élisit (sic) la filière latine. Se passionna pour l’histoire romaine. Lut, in extenso dans des traductions en vulgate du terroir : Ben-Hur, Quo vadis ?, les Derniers Jours de Pompéi, Salammbô et même, avec de nombreuses réticences liées à son tempérament républicain, Fabiola. Lut, en version originale, De Bello Gallico, en lesquelles pages il trouva pitance pour nourrir sa naissante conscience politique (cf. des affirmations telles que Fortissimi sunt Belgae, etc.) et Cicéron, modèle inégalé de rhétorique.

Élevé dans un collège dont la devise était Ad majorem Dei gloriam, il obtint de nombreux satisfecit de la part de ses magisters. Très vite reconnu comme le nec plus ultra de sa promotion, il ne se contenta jamais d’accessit. Cependant, a contrario, les mathématiques imposaient à lui de mal les pratiquer. A fortiori, ce qui concernait l’économie avait à ses yeux et à sa compréhension des aspects rébarbatifs rebutants. Il ne demeura pas à quia face à cette situation. Il forma autour de lui un réseau — disons une garde prétorienne — capable de lui fournir les informations manquantes.

Doté d’un tempérament fougueux, il disait cependant oui amen à tout ce qui lui semblait contrainte, dans la mesure où il pressentait combien adopter ce modus vivendi s’avérait la condition sine qua non s’il désirait grimper les échelons du cursus honorum dont il rêvait. « In medio stat virtus », avait-il coutume de ressasser hypocritement à l’époque, ajoutant avec un sourire qu’il tentait de rendre malicieux : « Bis repetita placent. » Il poussa même sa stratégie jusqu’à quelques confiteor, quelques mea culpa impromptus et de préférence publics. Bref, en dépit du handicap des chiffres, il franchit le Rubicon de l’université et, plusieurs années après, obtint en son alma mater un diplôme qui n’était point honoris causa.

Hanté par l’idée fixe du Ubi bene, ibi patria, il s’était élancé en politique. Questeur occasionnel, préteur éphémère, consul honorifique, le voici bientôt sénateur. Un véritable manipulateur de la vox populi. Un redoutable tribun maniant à foison les arguments ad hominem sur tous les forums. Son agenda ne désemplissait pas plus que les salles où il haranguait. « Vox clamans in deserto n’est pas compatible avec mon ego », dixit-il.

Une carrière adagio était indécente à ses yeux. Il activa ses appétits. Sa manière à lui de pratiquer le carpe diem consistait à ingurgiter et digérer les pouvoirs à sa portée. Il prit d’ailleurs un certain embonpoint. Sa tactique ad hoc se définissait par le principe de l’addendum, c’est-à-dire annexion de ce qui passait dans le champ de son ambition.

D’autres avec lui firent chorus, illuminés (Fiat lux !) par l’illusion de devenir ses alter ego. De la centurie des débuts, on aboutit à la légion de l’avenir. Ce fut un véritable électoral tsunami (Nota bene : il ne s’agit en aucun cas d’un pluriel de tsunamus). Il redora l’emblème d’un vieux parti nationaliste à l’agonie. Il brassa des voix par dizaines de milliers. Il fit broder sur les drapeaux des sections de son rassemblement le slogan grâce auquel son triomphe était en train de se concrétiser : « Veni, vidi, vici », ajoutant de la sorte une note personnelle au décorum coutumier des manifestations qui s’organisaient autour de sa personnalité. À force d’affirmer comme alibi à son ascension : vox populi, vox Dei, il se crut finalement divinité chargée de vociférer au nom d’une nation.

Il avait oublié que l’on tombe parfois de Charybde en Scylla (erratum : cette expression est d’origine grecque), que ce n’est pas parce qu’on a l’impression d’appartenir aux missi dominici, ni parce qu’on a braillé en se désignant soi-même de l’index Ecce homo que l’on est de facto un deus ex machina, ni que la plèbe va automatiquement crier Habemus papam.

En ce temps-là, dès lors qu’il se confirma qu’il était impossible de former un gouvernement cohérent, les négociations débutèrent avec les adversaires. Il fixa sa hargne personnelle sur un des pontifes qui ne cessait de l’inciter à accepter le minimum minimorum des compromis. Chaque matin, la presse titrait « Quid novi ? » sans posséder d’autre réponse que les statistiques des institutions d’augures. Lui, sorti ex nihilo du vulgus pecum, poursuivait un discours ex cathedra, assénait illico presto des arguties ab abrupto.

A priori, l’impasse était sans issue. Chaque alinéa des textes, concocté en comices, était passé au crible. Et, in fine, tous se voyaient rejetés comme devenant casus belli. Le temps passait. La situation pourrissait. Chaque fois que le tribun pénétrait dans un lieu de tractations, il y avait toujours un quidam prêt à crier : « Cave canem. » Puisqu’il n’y avait pas de quotas concernant le nombre de vetos, il en usa ad libitum. Ses rares demeurés amis avaient beau lui rappeler : « Errare humanum est », il persistait, rétorquant mordicus avec morgue : « Fluctuat nec mergitur ». L’empereur en personne n’arriva pas à le raisonner. On passa petit à petit du Deo gratias au De profundis et, pis encore, au Dies irae.

Lorsque les arcanes de la négociation furent épuisés, que la nation se retrouva déchirée, l’homme n’eut guère le loisir de savourer sa victoire. Le parti frère, celui qui s’était allié quasi dès la première heure, lui annonça, par la bouche de son patricien capital, que, à défaut de consensus, il repassait dans le camp des démocrates. Touché au vif d’être catalogué persona non grata, il murmura, avant de se dégonfler telle une baudruche : « Tu quoque mi fili, tu quoque fili mihi, tu quoque » non pas dans la langue de Virgile mais avec les accents rugueux du patois de sa province natale. Ce à quoi, alors qu’on s’attendait à un « Sic transit gloria mundi », un citoyen, qui devait avoir reçu une éducation classique et connaissait ses auteurs, prononça en guise d’oraison funèbre : « Acta fabula est. »

Le pays, lui, ne fut plus jamais comme auparavant. Plus jamais. Plus jamais. Jamais. Numquam. Nooit.

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