Moi, la plaquette de Stéphane Hessel, elle me sort de partout.

Non pas que je ne sois pas prêt à m’indigner, et tous ceux qui me connaissent un peu savent que je m’indigne souvent pour un oui ou pour un non, mais parce que ses propos sont d’une platitude indigente. Comme l’a écrit le romancier Joseph Bialot dans une vivifiante lettre ouverte publiée par le Magazine des livres en été 2011, qu’une telle « littérature » rencontre une audience énorme et constitue un incroyable succès de librairie montre assez bien la crise intellectuelle que traverse l’Occident et la médiocrité de tous ces gens qui se targuent aujourd’hui d’être précisément des intellectuels ! « La France a connu des pamphlétaires de génie, de gauche comme Vallès, Zola ou Berl, de droite tels Galtier-Boissière et Bernanos, ou d’extrême droite comme Béraud ou Daudet. On approuvait ou on détestait leurs idées, mais c’était des idées, pas du vent. »

Bien sûr, Stéphane Hessel a le droit de dire tout ce qu’il a envie de dire et d’exprimer haut et fort ses prétendues indignations. Quitte à proférer, ce qui est le cas, des lieux communs et à les enfiler comme des perles les unes derrière les autres. Par exemple quand il évoque l’organisation rationnelle de l’économie, les sans-papiers, la non-violence, l’indépendance de la presse… Bien sûr, il est libre, le bonhomme, il vit dans un pays qui l’est autant, il s’est réellement battu pour le rester, et ce n’est pas sa liberté de parler que je mets en question. Et d’ailleurs, qu’est-ce qui m’autoriserait à le faire ?

Non, ce que je critique, ce qui m’indigne, c’est que son tract soit brandi comme l’Évangile des temps modernes, alors qu’il est le fruit d’une idéologie bobo et qu’il n’offre aucune perspective ni l’ombre d’une solution. Il est même totalement vieux jeu, totalement passéiste quand il se réfère au Comité national de la Résistance et totalement obscurantiste quand il parle d’Israël et de la Palestine. Sans compter qu’il a recours, ainsi que l’a fort bien remarqué Joseph Bialot, à une figure de rhétorique hautement détestable et fort répandue de nos jours : « celle qui consiste à débiter des banalités sur un ton sentencieux ».

Mais, bon sang de bon sang, comment se fait-il qu’un libelle aussi dogmatique, aussi réactionnaire et aussi mal fichu soit devenu un best-seller ?

Le cœur du problème, il est peut-être là : le monde occidental va mal, le monde occidental s’uniformise, le monde occidental se désacralise de plus en plus, et ce monde occidental engendre ce qu’il mérite et ce qu’il est seulement capable d’engendrer : une pensée lisse. Et tellement lisse qu’en l’épousant, on glisse dessus et qu’on se brise les os.

Au fond, ce n’est pas tant la petite prose insignifiante de Stéphane Hessel et tous ses poncifs qui m’indignent et me révoltent que le fait, le fait inouï, irrationnel, que des cohortes d’incrédules sont tombées dans le panneau.

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