Dr Feelgood : ou comment j’ai appris à aimer le monde

Kenan Görgün,

Il y a longtemps que je ne suis plus le gardien de notre père qui êtes odieux, et encore moins, je crois, de mon frère ; pas le gardien, non, mais plus simplement ~ plus tristement ~ le témoin de leur déclin mental et physique (le pouvoir est une matière grasse, et son épaisseur met du temps à se diluer. Mon père ne s’en est toujours pas remis, lui qui a continuellement l’œil torve et le ricanement mesquin. Quant à mon frère, il s’entraîne ferme, bien qu’il ne fasse pas toujours les bons exercices, et se sape par ailleurs avec des armures de diplomates taillées par de grands couturiers, mais il y a là-dessous des dépôts adipeux qui feront un baroud d’enfer si les apparences venaient à craquer, ce qui va être le cas tôt ou tard. Au moins ça, c’est une certitude.)

Ce début de confession vous paraît confus ? Ce qu’elle essaie de confesser l’est davantage encore. Oh oui, très confus. Ou alors absolument limpide, et dans ce cas ce sont les êtres humains qui seraient définitivement passés maîtres dans l’art d’enculer les mouches, ou, comme il faudrait dire pour ne pas choquer les ligues morales, l’art d’entretenir des relations insectophiles. Mais je me laisse emporter par ma colère, là, et ma syntaxe affolée dépasse mes intentions, qui à l’inverse seraient plutôt au deuil, à un recueillement serein. Pour autant, je crois pas en avoir fini avec cet art insectophile ; je pense que nous y reviendrons avant longtemps.

Je devrais me présenter, non ? Autant régler cela tout de suite. Mon nom est John Ellis Bush, dit Jeb Bush. Le « crétin de petit frère » de la légende familiale, c’est moi. C’est vrai qu’en format photo d’identité, et même dans n’importe quel format qu’on veut et avec les meilleurs photographes derrière l’objectif, c’est souvent de quoi j’ai l’air : d’un crétin bienheureux et inoffensif. A tout prendre, il y a pire : être un crétin torturé et dangereux. T’offense pas, grand frère ; de tous tes admirateurs, je suis peut-être encore celui qui t’insulte avec le plus de bienveillance. Vu ce qui t’attend, je cracherais pas dessus.

Cracher. Et si je commençais par là ? J’ai toujours détesté son habitude de cracher, et encore, pas de la petite bière mais de vraies ogives bulbeuses qui te creusaient sans faute leur concave dans la poussière. Je voudrais pas faire de connexions spécieuses, mais qu’il en soit venu à bander sur des ogives nucléaires m’étonne pas ; il mâche le pouvoir comme il mâchait le tabac dans notre jeunesse : sans la moindre élégance. Il te bouffait son steak plein de nerfs trois fois par jour, pas trop cuit de préférence, asséchait un fût de bière (de la Budweiser, pas de la petite bière, la chope patriotique jusqu’à la mousse !) puis te mordait à belles dents une demi-livrée de tabac, et le voilà crachant plus vite que son ombre, Lucky Luke en personne, ma parole. Ca lui plaisait, à mon cow-boy de frérot.

Vous aurez noté la récurrence de l’expression pas de la petite bière, alors autant la reporter une bonne fois dans notre grille de lecture : pour le meilleur et pour le pire, rien de ce qu’a fait ou pourrait faire Georges n’est de la petite bière. Agir dans les grandes largeurs est une condition sine qua none pour le guérir de son complexe de petite bite. Pour moi, le juste paradigme est : apprendre à vivre selon la taille de son outil. Mais pas lui! Mieux vaudrait circoncire à la garde ~ hum, trop musulman à son goût.

Lui, il s’est toujours trimballé avec l’équivalent psychologique d’un miroir grossissant. Quand il mange, il doit manger lourd. Quand il boit, il boit à en perdre le nord (pas difficile, me direz-vous, quand on a jamais été foutu de lire une boussole.) Quand il pète, il pète fort, et y’a intérêt à ce que ça pue, sinon il va considérer que c’était un coup pour rien et en rougir auprès de ces dames. Quand il doit être méchant, il veut être le plus méchant de tous. Mais bon, vous savez quoi ? Ca vaut pour la bêtise aussi. Et vlan ! Que j’t’enterre son homme en trois tournures lapidaires, j’ai décidément la syntaxe meurtrière en ce moment. Peut-être que je me suis trompé sur mes intentions, au fond : le deuil, oui, mais la mise à mort d’abord !

Reprenons-nous, j’ai un peu de mal à respirer, là.

 

Lucky Luke. C’est quand il a commencé à se prendre pour lui que le sang qui nous liait a coagulé. On a tous les deux eu besoin de soins, mais pas du même toubib. Moi j’ai misé, disons, sur la médecine des plantes, et lui, sûr de son fait et des conseils de maman, s’en est remis au médecin de famille en santiags. Diagnostic : tandis que je joignais ma voix aux chorales de campus pour entonner « On veut pas de cette guerre de merde ! » tout en boycottant le riz US au profit de l’import sud-asiatique, Georginou (il m’égorgerait pour ce surnom!) a pris l’habitude de taquiner des quatre fers entre les puits de pétrole appartenant à la famille sur l’air de « I’m a great lonesome cow-boy… » Il pouvait pas dire poor comme dans la ballade originale, vous comprenez : l’or noir pissait partout autour de lui et les foreuses enfonçaient la touche $CASH$ à chaque nouvelle percée. Mais lonesome, ouais, il l’a gardé, l’a magnifié, et son propre ego par la même occasion : le grand cavalier solo, qu’il est devenu. Ce que ça a signifié concrètement ?

Davantage de steaks, de bière, de tabac, de crachat, et de chambres de motels louées à l’heure sous un faux nom (car davantage de loyauté envers la légende familiale…) Dans l’autre colonne : moins de bricolages entre frères, de tuyaux et de confidences sur les texanes pubères du voisinage, moins de cinéma le samedi, de projets de business en association fraternelle, et vachement moins de rêve de tour du monde à deux (+ les vrais amis + la promesse de se draguer des miss dans tous les patelins traversés entre le quatrième et le vingt-huitième parallèle.) Puis quelques trucs dont je me souviens plus et qui pouvaient pas rêver meilleur sort que de disparaître, je suppose.

Autrement dit : bon vent. Mais bon.

Le vent a aussi emporté pas mal de chouettes choses.

 

Hormis la mise à mort, la nostalgie est la seule autre clé qui se loge dans ma serrure. Ouais, pour l’occasion, j’ai moi aussi loué une chambre de motel. Petite, rustique, elle est dans ma tête et pourtant authentique. Et contrairement à l’autre naze, je signe de mon vrai nom, moi.

Ma chambre est sobrement équipée de quelques meubles. Les jointures vont sûrement grincer quand je vais les entreprendre. Mais ces vieux bidules sont quand même plus fiables que tous les produits de consommation courante sortis des usines sous la présidence de Lucky Luke. C’est pas rien quand on sait le nombre d’automobilistes qui roulent maintenant pied au plancher en enfer ou au paradis, et la proportion d’entre eux qui doivent leur fatal changement de bande aux défauts de fabrication. Detroit est une zone sinistrée aujourd’hui, mais croyez pas que les ploucs ont fini de sévir.

Et si j’ouvrais la penderie, là, haute comme un homme ? Juste avant, je me mire dans le miroir, histoire de vérifier que j’ai toujours la même taille. Ca va, j’ai l’air que je me connais. Faut piger : avec le délire du miroir déformant cher au frérot, la méfiance est de mise. Surtout quand on a affaire à ses souvenirs. J’ouvre donc. Une larme me monte où il faut, direct : là-dedans, parmi les cintres, c’est bien le parfum qu’avait notre enfance.

 

Plein soleil. Tondeuses à gazon et minijupes à perte de vue. Les mecs astiquent ce qu’ils peuvent – une manœuvre qui en pousse certains à se réfugier dans les toilettes, demandez pas la suite. Pour les Bush Brothers, l’été s’annonce grandiose : sous son ciel bleu, on est deux rois de la frime à tourner autour de la Thunderbird clé en main. Longue, fuselée, sensuelle, passionnée mais capable de reconnaître la voix de ses maîtres, et viens-là que mes chromes t’alchimisent le moindre rai de soleil en projo aveuglant, bref, de quoi astiquer au grand jour dans les bosquets aux amoureux les plus réputés de la ville. Pas qu’on ait eu particulièrement besoin de ce remontant, visez ; mon frère a pas toujours eu la gueule qu’il a aujourd’hui, et moi-même, j’aurais pas volé un rôle dans Grease. (J’aurais plus de mal à l’audition aujourd’hui, okay, mais faut souligner que j’ai plus de soucis aussi – gouverneur de Floride à fond dans le trip nécessaire de l’écologie et de l’éducation des enfants, faut pas dire, j’adore la cuisine cubaine et leurs inventeurs sont de chics voisins, mais des résistances pas très humanistes s’élaborent en externe, que je nommerai pas ici parce que le moment est mal choisi pour me faire radier de l’arbre généalogique par les foudres notariées du pater family-ass.)

Attendez, je défais un bouton, j’hyperventile un peu niveau larynx.

Je disais donc que le mot souci, cet été-là, on l’aurait rayé du dictionnaire si on l’y avait trouvé. Mais on a pas cherché, tu penses. 15 et 17 ans, toutes nos dents, ni début de calvitie ni sexualité tendancieuse (ah, comme les choses peuvent changer !) et de surcroît, la putain de monture la plus classe que les chaînes du Détroit de l’âge d’or pouvaient offrir, direct-to-home ! Avec ces cartes en main, tu penses pas, vieux, tu mises et t’empoches, par ici la monnaie, belles blondeurs du pays des ranchs, demandez-vous comment vous allez résister à la Bush Brothers Seduction Limited ! A vrai dire, le seul truc qu’on a un peu cherché avant la phase plein-pot, c’est la pédale d’embrayage. Pour sûr, l’excitation nous avait mis les guibolles en feu. Il a fallu qu’on se récite à voix haute les noms de tous les Washington Senators à jouer la saison 62 pour faire chuter la tension.

Figurez-vous : Georges derrière le volant, lunettes de soleil sur les narines, la cuirasse tannée par la proximité de la terre et des tatanes paternelles, moi à la place du mort, binocles fumées et brunissement de la peau itou, tous les deux bien raides, la sueur commençant à fusionner avec l’Old Spice dont on venait de s’asperger en vue de la virée, les genoux soumis à une fébrilité dans le pur style Presley (tous ceux qui ont vu le King en vrai ou dans la petite lucarne lors d’une apparition publique assise savent de quoi je parle : sous la table, ce mec tenait pas en place !) ; par un bel après-midi vert, bleu, brun et or, donc, duo monocorde mais confiant des frères Bush :

« Bob Baird…Harry Bright…Pete Burnside…Tom Cheney…Bennie Daniels…»

Et dans l’ordre alphabétique, je vous prie, sinon où était le mérite, le der’ des der’ pouvait te la citer pêle-mêle, la toplist 62 ! Je crois que c’est entre Joe McClain et Jimmy Piersall que Georges nous a lâché un mémorable Bordel de Dieu, c’t’une automatique !

Imaginez-vous, tout de suite après, un silence où on entend pousser l’herbe.

La voisine passe avec son caniche (véridique, comme si elle attendait derrière sa boîte aux lettres pour faire son entrée de scène), nous dévisage sous son chapeau à voiles, tient sa laisse d’une poigne plus sévère.

Quant à nous, on a brûlé le pavé sans demander notre reste.

Une automatique. Pas vraiment une surprise, à la réflexion. Après tout, c’était un cadeau de papa, dans le pur style Georges Bush senior, cette fois : je te rends heureux, fiston, mais fais gaffe, parce qu’à un niveau ou un autre, je te sape ton bonheur et te rappelle à l’ordre. Foutu fantôme, va.

 

Je referme la porte de la penderie. Dans le miroir, je vois un homme en colère.

La haine que j’ai pour le vieux (ou la rancœur je sais pas trop), je m’y arrête plus, parce que c’est un moulin à vent, comprenez que je tape dans le vide, du coup je préfère garder ça pour mes nuits de sommeil agité. Mais lui ! Là c’est de la rancœur à coup sûr, de la rancœur devant le gâchis auquel il continue de se livrer sur lui-même, la bile du temps perdu, du soutien avorté, décolle de mon estomac vers ma gorge, avec à chaque fois ~ connexion bizarre ~ l’image d’Apollo XI, les soubassements gonflés d’une puissance de feu qui allait soi-disant t’expédier l’humanité d’un grand pas vers l’avenir !

On avait maté le spectacle du siècle sur les lieux même, Cap Kennedy. J’avais 22 ans, quelques dents me manquaient de m’être invité à un banquet anti-guerre avec buffet froid de baston sur canapé de fumigènes, Georges en avait 24 et lui aussi, deux de ses dents lui avaient faussé compagnie, sur le campus de l’unif où il avait cru mieux faire que Mohammed Ali face à quelques spécimens du Club Des Vrais Mâles Américains (je crois que mon frangin briguait à l’époque le poste d’administrateur général de la confrérie, vu la fréquence de ses joutes verbo-manuelles.) Je me souviens, on était avec les vieux et feu la frangine, les pieds plantés sur la pelouse, les yeux sur les étoiles, et Georges a dit d’un air rêveur : « Un jour, j’m’en vais poser mon cul dans la cour de jeu et viens m’en déloger qu’j’y vois » Pas le genre de serment à vous donner un bon président. Sur le moment, je savais pas si je devais imputer cette poussée d’ambition rêveuse à notre présence au Cap Kennedy par un jour historique (couplée au mépris du frangin pour le président assassiné) ou y voir une nouvelle étape dans la dégradation de ses relations avec notre père, qui étiez déjà pas mal aux cieux, toujours entre deux vols.

 

Le père. Faut en dire deux mots, croyez pas ?

Même si tous les psys des cinq continents y sont allés de leur interprétation…

Georges Bush Senior, alias la Créature du Marais.

Connaissez peut-être pas ce film, mais c’était une de nos séries B favorites, à l’époque où l’autre jurait pas encore par la brillance de ses éperons ou la teneur en globules bruns de ses mollards. La Créature du Marais vivait…ben ouais : dans un marais. Bien marécageux. A l’heure où les oiseaux dorment, elle surgissait de sa tanière, et y’a pas à revenir dessus, cette foutue amphibie avait une allure mortelle ! Des écailles, des yeux qui te sondaient l’âme ou, pire, te donnaient envie de chialer la perte de la tienne alors que tu croyais même pas en son existence deux secondes plus tôt ! Puis elle dégoulinait. Dieu c’qu’elle pouvait dégouliner. Des miasmes liquides bien noirs et bien épais. Pour la petite histoire, je suis le premier à avoir dit de papa qu’au milieu de ses geysers de pétrole, il était la Créature des Marais du Texas. On a les sources de fierté qu’on peut. Ce comparatif est une des miennes, surtout que la suite des aventures de la saga familiale n’a pas démenti mon flair. Ted « CNN » Turner en sait quelque chose, et je dois reconnaître qu’il a le chic de s’en souvenir à chaque fois qu’il compte son fric.

C’est bizarre. Du jour où on a flatté papa de cette comparaison avec la Créature, j’ai décelé chez le frérot une férocité qui y était pas avant. Comprenons-nous : enfant déjà, Georges aimait pas la petite bière, mais plutôt comme un jeune fougueux en qui la vie bouillonne. Là, en revanche, c’était autre chose qui l’agitait, ce qu’à l’âge adulte on désigne par des termes comme démons intérieurs, tourments, dilemmes cornes-et-liens…Je vais pas prétendre dérouler ici le tracé exact des séismes qui l’ont métamorphosé en terre de failles badigeonnée de peinture d’Oedipe, autrement dit en crétin torturé et dangereux ~ surtout que nos chemins respectifs ont commencé à nous éloigner à la même époque ~, mais il y a une double-observation que j’ai faite et qui mérite la mention : a) mon frère adore ce qu’il est + b) mon frère est rongé par ce qu’il est comme un fromage par une armée de rats. De quoi vous dérater le plus solide des corniauds bouffeurs de vache folle.

On dit que ses actes sont présidés par l’ambition de parfaire les oeuvres inachevées de la Créature du Marais. Passez votre tour. Il est dévoré par l’ambition, oui, mais pas par celle de marcher sur les brisées de papa ! Briser papa, faire plus ravageur et plus permanent ! Qu’après lui l’herbe ne repousse plus ! Voilà ce qui fait bander mon crétin de frère, maintenant que ma belle-sœur a abandonné ses cours d’aérobic. Cela dit, son avenir devait fatalement lui tomber sur le coin de la gueule : il avait trop la tête de l’emploi. Et plus il a pris en âge, plus ça s’est avéré. Parce qu’on a beau dire, la seule différence aujourd’hui entre le père et le fils, c’est que le premier est un grand échalas alors que l’autre défend son embonpoint comme la prunelle de ses yeux, des yeux acérés façon prédateur, mais avec ce qu’il faut de larmoyant pour faire avaler à tout le globe que le chasseur a grand cœur ; enfin, à tout ce que le globe compte de plus ou moins occidental et capitaliste (les nations visées ont déjà commencé à se ranger derrière lui, ça devrait montrer la direction générale des sympathies, non ?) Ca aussi, ça le tue : plus il veut se distinguer, plus on amalgame, et le portrait-robot n’y fait rien : Georges est clairement pas le fils du facteur.

Alors vous leurrez pas, citoyens alter ou mondialisés tout court : cette guerre va se faire. Me demande d’ailleurs pourquoi j’y vais de mon petit commentaire vu qu’à l’heure où j’écris, même mon chien s’est fait à l’idée. S’en fiche de Saddam, le frangin, Saddam c’est que la maîtresse obligée du vaudeville ; non, c’est les cojones d’un autre dictateur qu’il veut se payer. Sur un plateau d’argent, devant la colonne du Congrès, avec une belle giclée de ketchup par-dessus. Et l’American Thrill Orgy dans les enceintes.

Si, en bonus, ça peut lui filer un flacon d’esprit de sel à usage économique, faire reluire ses comptes pétro-prolifères et lui attirer les faveurs des partenaires de bridge de sa femme, avouez qu’il serait encore plus mauvais politicien (si c’est possible) de pas en tirer son parti. Surtout qu’il lui faut d’urgence quelque chose de bien costaud, qu’on puisse pas régler en deux grands titres et trois notes en bas de page : comme on sait, la navette Columbia a un peu dévié de sa carte de mission cette nuit ~ 7 morts. Boucle bouclée. Il est loin, le Cap Kennedy de mes 20 ans. Un coup très dur pour les Trekkies. Pourtant, le frangin y voit qu’une chose de significatif : que ce soit au Texas, comme par hasard, qu’on ait retrouvé les restes de la machine et de ses occupants. En 1200 morceaux ! Il dit que c’est un miracle qu’un des débris se soit pas fiché dans la nuque à une de ses vieilles connaissances boursicoteuses.

Terrifié par la superstition, qu’il est, comme les trois-quarts du pays. Du pays, ouais ! Remember le tueur de Washington ? Allez, n’ayez pas la mémoire si courte…L’embusqué qui tirait les honnêtes citoyens comme des lapins dans le viseur de sa carabine et qu’on pensait jamais pouvoir choper ? Si je vous disais qu’ils sont nombreux à avoir crû qu’il s’agissait d’un fantôme, une sorte d’ange exterminateur envoyé des Enfers pour un tour de nettoyage préventif ? Il devient très difficile de faire du bon travail dans ce pays. Personnellement, la réalité me terrifie bien mieux : les tueurs étaient deux, et père et fils.

Doit y avoir quelque chose de pourri dans les biberons américains !

 

Je sais ce que vous pensez : je suis de mauvaise foi et d’une humeur pire encore. Il y a du vrai. Il y a aussi que c’est quand même de mon frangin, de mon père, un peu de ma mère et de nos relations familiales que je vous entretiens. J’ai beau avoir desserré la cravate de trois crans, ça change pas beaucoup la pression respiratoire ; m’enfin.

Pour le peu que je la ramène. De toutes façons, j’ai bientôt fini…

…Les relations insectophiles, vous vous souvenez ? l’art, les mouches et tout le tintouin ? Ben, comme promis, j’y reviens, cher électeur, juste pour dire qu’on y est les pieds joints en ce moment. Médias, groupes de pression, géopoliticiens, junkies de l’info, tous des artistes en la matière de chercher des explications à ce qui est clair comme de l’eau de roche. Reportez-vous à la première farce du Golfe, remplacez quelques dindons dans la distribution des rôles, et vous aurez le scénario des plaisanteries actuelles, chutes incluses.

D’accord, on est nombreux à manifester en criant « Plus jamais ! » Mais c’est normal, c’est même l’enfance de l’art dont je vous cause ; le cri de refus le plus vieux du monde ; je le sais, j’le hurlais déjà à pleins poumons pour protéger nos cousins asiatiques ; les potes et tout, on s’est mangé des revers de peacemakers et des bouffées de gaz paralysant jusqu’à en perdre le sens du goûter ; n’empêche que le Vietnam est quand même devenu ce qu’il est : un chancre purulent pour le siècle des siècles.

Henry Ford a dit : « L’Histoire est une impasse. »

Progressiste comme je suis, je peux pas soutenir l’assertion. Je crois que rien de ce qui est humain n’est une impasse. Mais un recommencement, oui. Comme le pense la voix off de Di Caprio à la fin de Gangs of New-York, sur fond de Big Apple 18ème siècle mis à feu et à sang par quatre jours de violence ~ il dit ça en songeant aux générations futures: « Ce sera comme si on avait jamais été là…» C’est une leçon qu’est nickel.

Personnellement, c’est même la seule que je prétends avoir retiré de ma visite au zoo, et elle est ni pessimiste ni rien ; c’est un état de fait, inscrit à même les gènes de toutes les civilisations. Les bouquins d’Histoire et de biologie sont pas que des accessoires de bibliothèque, alors c’est peut-être le moment ou jamais de les passer au plumeau : grandeur et décadence des empires ; naissance, croissance, vieillesse et mort des êtres humains.

De la même manière, je suis pas sûr de savoir ce que le patriotisme et la justice signifient. Comme chacun, j’en ai qu’une idée, parfois précise, parfois pas, changeante en tous cas, dépendante de ce que je connais du monde et de mes semblables. Mais une chose est sûre : c’est ni la justice ni le patriotisme qui ont surchargé l’agenda de mon frère. Peut-être le pouvoir, alors, dans sa variante tabac à mâcher et à recracher ; produit de consommation courante.

Et puisque l’heure semble être aux citations, laissez-moi encore vous servir cette belle tranche de circonstance signée Norman Mailer (Georginou m’étriperait pour avoir osé citer ce mec.) Voici néanmoins ce que dit mon anarchiste préféré :

« Plus d’un chef politique a la faculté de se comparer à Napoléon pour une saison. »

(La durée de vie d’une blague à tabac, en somme.)

C’est tiré de son article Comment la mauviette a gagné la guerre.

Vous devinez pas qui est la mauviette en question ? Un indice : ça date de 1991.

Aujourd’hui, le Napo nouveau, c’est vous savez qui. Et s’il devait y avoir un seul plan où il peut s’autoproclamer patriote, c’est dans sa volonté bien de chez nous de faire main basse sur le monde. Avouez que ça en ferait des étoiles, sur le drapeau…

 

Alors, quid de cette mise à mort + deuil par le petit frère de l’homme le plus aimé de tous les directeurs de presse de la planète ? Je crois finalement que le deuil l’emporte, et ça me soulage. Sa mise à mort, mon frère s’en charge lui-même.

Je le déteste pas ; j’espère que c’est pas l’impression que j’ai donnée. Mais il me file la trouille. Je crois sincèrement que quelqu’un ou quelque chose doit l’arrêter ; mon frère est un homme qui ne sait plus ce qu’il fait. Mais si je permets à ce constat ni de m’endurcir ni de m’attendrir, j’arrive quand même pas à repousser la triste main qui me serre le cœur.

Voyez-vous, je suis incapable de détester quiconque. On est tous humains ; et rien de ce qui est humain ne saurait m’être étranger. On peut pas dire ce que j’ai dit et arriver encore à éprouver ce sentiment. Tenez : depuis deux ans, mes nièces viennent plus à la maison pour Thanksgiving. L’ont-elles choisi, leur a-t-il imposé ? Je sais pas le vérifier, vu que dans cet axe-là, on a coupé pour l’instant les câbles du réseau familial. Mais je dis certainement pas à mes mômes de détester leurs cousines, ni leur tante, ni leur oncle d’ailleurs (dans ce cas précis, je tente juste de modérer l’admiration qu’ils développent pour lui depuis qu’il est devenu une star de la télé.) Au contraire, j’encourage leur amour, le plus sainement possible, en leur disant, comme je le dis à moi-même, que c’est encore la seule chose qui pourra un jour nous racheter.

 

En visionnant, il y a trois jours, le film de Kubrick, Dr. Folamour ou comment j’ai appris à ne plus m’inquiéter et à aimer la bombe, j’ai griffonné sur mon bloc-notes la parodie suivante :

« Dr. Feelgood, ou comment j’ai appris à aimer le monde…»

Avant de me lancer dans cette confession, j’ai ressorti le feuillet et j’y ai ajouté :

« …pour ce qu’il est. »

Je crois que j’ai bien fait.

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