Emmenez-moi au Walhalla

Corinne Hoex,

Non, pas le sept ! Ne me parlez pas du sept ! Il n’amène rien de bon ! Regardez : les septicémies, les sceptres, les ascètes, les sceptiques… Je m’en passe ! Le sept est un chiffre austère, intransigeant, sévère. Comme Septime, d’ailleurs —vous voyez bien que j’ai raison : déjà les Romains le disaient !

N’insistez pas ! C’est inutile ! Le sept porte malheur ! Il est aigu. Affûté. Tout en pointes. Il n’a pas de substance. Pas de chair. Pas de fesses. Pas de corps. Pas de graisse. Hors de question que je me frotte au sept ! Il me perforerait les organes ! En moins de deux, il m’embrocherait ! Vous ne me croyez pas ? Regardez-le ! C’est une hallebarde. C’est un épieu. Hérissé. Griffu. Tordu. Bancroche. Un échalas dégingandé, distrait, godiche. Il irait vous blesser même par maladresse. Et ça vous prend des airs ! Ça ne doute de rien ! Ça vous la joue ésotérisme. Nombre sacré. Star des numérologues. Ça prétend tout savoir. Commander aux Mystères. Et j’y vais de ma petite création du monde, de mes étoiles, de mes péchés, de mes sortilèges, de mes merveilles… Quelle présomption ! Une mégalomanie d’efflanqué, de freluquet, de complexé ! Une arrogance de contrefait ! Il se pavane, le sept ! Mais c’est un maigre clou ! Un clou tordu ! Difforme ! C’est une écharde ! Une épine ! La dent d’un barbelé ! Un cure-dents prétentieux ! Non, vraiment, le sept, très peu pour moi ! Je vous le laisse !

Parlons plutôt du huit ! Voilà un vrai sujet ! Un beau huit ! Courbes et contre-courbes. Voilà qui a de l’ampleur ! Ou même un trois. À la rigueur, six, deux, neuf… Des formes. Des rondeurs. Du galbe. De la cambrure. Mais pas sept ! Pas sept ! De grâce, pas sept ! Ou alors une pas sept, une bonne petite passette de cinq à sept. Une petite passe vite faite bien faite. Avec une super-huit. Une super-huit et demie. Une gratte-huit, une forte-huit, une séd-huit, une gracieuse, une muse de l’amour —vous voyez ce que je veux dire, pas le genre pointu —d’ailleurs, les Muses sont neuf et les Grâces sont trois, aucune femme (les vraies femmes) n’aurait l’idée de venir à sept, sauf peut-être les Walkyries ou des machins comme ça, avec des lances, des boucliers et des noms impossibles. Vous m’imaginez, moi, de cinq à sept, avec une Walkyrie : “Ma petite Brünnhilde, ma petite Waltraute, ma petite Gerhilde, venez un peu ici chercher votre gâterie, faites-moi voir le Walhalla!” D’accord, c’est une grande œuvre, c’est de la grande musique, ça déménage dans la fosse d’orchestre. Vous remarquerez en passant que La Tétralogie, c’est quatre, là il y a matière à construire quelque chose, c’est un chiffre qui tient debout, c’est géométrique, c’est carré, c’est respectable, ce n’est pas bancal. Tandis que le sept ! C’est vacillant. Instable. Sans assise. Ça ne bâtit pas des opéras ! Mais je m’éloigne de ma pulpeuse, ma rebondie. Je perds de vue mon empressée, mon onctueuse, ma gourmande… Une tétralogie, malgré le respect que je lui dois, ne me privera pas de ma petite musique. Car le cinq à sept, ça me connaît ! C’est mon affaire, ma mélodie, ma partition ! C’est là que se déploie mon génie ! Maestro, please ! Je suis à mon pupitre ! À cinq, violons, sérénade. Cinq un quart, quelques accords variés, pianotage, petite flûte, je donne le tempo. Cinq et demie, les chants. À six, l’apothéose, cuivres et grosse caisse. Six un quart, six et demie, applaudissements, rappels. Et puis, à sept, rideau, et sortie des artistes. Pas un couac. Pas une fausse note. Du travail de virtuose ! De spécialiste !

Le seul problème dans tout ça, c’est le sept. C’est lui, le danger ! Le traître ! Le sept, dans le cinq à sept, c’est le minuit de Cendrillon. Il faut filer avant. Ne pas attendre le dernier coup. Se glisser en douce dans les coulisses. Sans saluer. Sans se pâmer sous les ovations. Car il est là, l’animal ! Il est là qui attend son heure ! Il est là, le clou tordu, le harpon ! Quand il vous tombe dessus, terminé, le récital ! Finie, la mélodie ! À sept, changement de programme ! Métamorphose des belles ! À sept, mue des pulpeuses ! Des belles aventurières ! À sept, elles s’installent ! Elles désirent une loge ! Elles se découvrent mélomanes ! Elles souscrivent à un abonnement ! C’est que —sans me vanter—il est apprécié, le virtuose ! Et mes muses —il faut leur rendre cet hommage— savent reconnaître le talent ! Donc, à sept, mes reines d’un jour veulent un statut de régulières. À sept, les suaves, les ravies exigent du plein temps. À sept, les affamées, les gaillardes, les brigandes veulent me faire les trois-huit, elles se sentent assidues. Et moi, j’ai des principes. Un artiste reste libre ! Pas question que le sept m’agrippe, que le sept me coince, que le sept me piège ! Le sept, croyez-en un expert, c’est la ruine de l’art ! La faillite de l’œuvre !

Alors, vraiment, restons-en là ! Plus d’allusion au sept ! Plus de Lucette ! De Mauricette ! Plus de sept dans le cinq à sept ! Faites-moi la grâce de laisser au placard ce chiffre malfaisant. Ce chiffre destructeur qui altère les muses. Ce chiffre meurtrier qui me prive des gracieuses. Ce chiffre méfiant qui ne sait que prescrire, interdire ou contraindre. Ce chiffre maniaque, obstiné, obsédé. Ce chiffre qui craint qu’on parle et veut qu’on tourne en rond. Ce chiffre qui commande aux langues dans les bouches, aux bigots des églises, aux toupies, aux crécelles, aux portes à tambour, aux moulins pour hamsters, aux doléances des femmes et aux malédictions.

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