Ensemble, c’est doux !

Isabelle Bary,

Les enfants me regardent de haut. Avec déférence cependant. J’aime cet état de fait. Nous marchons côte à côte, moi foulant le sable, eux dodelinant du corps sur leur méhari. Je ralentis, les laisse me dépasser. Que faisons-nous là à tourner dans le désert ? À aimer ça ? Ils sont coiffés de bleu, de longs chèches achetés à un marchand berbère et qui les protègent du soleil et du vent. De loin, la méharée semble se traîner au ralenti, pourtant je peine à suivre les foulées dansantes des dromadaires. Tourbillon de vent. Le sable me fouette le visage. Il n’y a rien ici. Que la succession de plateaux caillouteux et de dunes. Que l’idée de la halte à l’ombre rare d’un tamaris où les chameliers partageront l’eau et les dattes. Les enfants détacheront les dromadaires puis viendront s’installer sur les tapis. En rond, nous boirons le thé trop sucré. Puis nous repartirons et il n’y aura rien que l’erg et le reg à arpenter. Les gamins prennent des airs de Lawrence d’Arabie. J’aime les entendre rire et chanter. J’aime les sentir vivants. Heureux et vivants. Nous marchons vers le soir. C’est notre unique but. Là nous choisirons : la tente ou les étoiles. Les enfants auront le désert pour jardin. Ils échangeront des massages de pieds contre quelques cailloux. Nous cuirons le pain dans le sable brûlant. Redouane et Daoud taperont sur des bassines et les garçons danseront sous la lune. Je suis bien. Rarement je me suis sentie aussi bien. Une sensation enveloppante qui doit frôler ce qu’on appelle si communément le bonheur. Je cherche dans cette absence d’artifices modernes ce qui m’élève de la sorte. La liberté sans doute, ce frisson d’aventure qui empêche d’appréhender le lendemain et nous lie malgré nous dans l’excitation de l’inconnu. Car peu importe ce qui arrivera, l’essentiel est de le vivre ensemble. Je reconnais cette sensation, elle me ramène à mes huit ans. Il y avait le fauteuil en faux cuir et chaises de cuisine en sous nombre installées en rond devant le poste de télévision. Les chips, les sodas et la bière. Les genoux qui m’accueillaient, enthousiastes. Je n’avais que faire de ces cyclistes dans leurs maillots ridicules mais je savais qu’il y aurait les rires et les cris partagés, des surprises et des émotions. Je savais que nous serions tous là, ensemble, préoccupés par la même histoire, quelle qu’elle soit. Je savais que cette après-midi-là, nous serions heureux.

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