Les femmes de fer

Bruno Wajskop,

Papa-maman, ma douce enfance et Bruxelles qui sentait le gentil chocolat, vous ne m’aurez pas à ce petit jeu, auquel je préfère celui des plus exquis des cadavres : ceux qui traînent dans les placards.

Le plus notable des miens est un geste de consommation compensatoire : une grosse bagnole, une Espace deuxième génération (1995), V6 automatique, 17 litres pour faire cent bornes, pardonnez-moi Seigneur, mais vous me l’avez fait payer très cher. Elle a commencé à perdre de l’huile dès la livraison, l’alarme se déclenchait sans cesse et l’électronique défaillante bloquait le démarreur par temps de pluie. Néanmoins, une Espace quand on se retrouve seul pour les vacances d’été avec un petit garçon de deux ans, c’est déjà une activité en soi, du temps qui passe tout seul. On peut même dormir dedans. On peut se consacrer à l’enfant.

J’ai opté pour l’Alpe d’Huez comme première destination. J’avais prévu de rallonger le trajet par les petites routes et de consommer ainsi quatre jours de vacances avant d’atteindre le Club Med, choisi deux jours avant le départ principalement 1) parce qu’il y restait de la place, 2) parce que je n’avais jamais fait l’expérience du Club Med et qu’il me semblait qu’une année marquée par deux enterrements et un divorce était le choix idoine pour tenter l’expérience, et 3) en raison de son club pour enfants rois.

Jusqu’à Grenoble, il n’y a pas eu de problème.

Mais sur les petites routes de la fin du parcours, nous avons été victimes — oui, victimes ! — du Tour de France féminin, qui nous précédait.

La consommation est montée à 21 litres. J’ai été obligé de m’arrêter à plusieurs reprises et de me mêler à la colonne de supporters. Le petit s’énervait, commençait à trouver le temps long, se plaignait de la chaleur. C’est son premier souvenir du Tour.

Je ne sais s’il se souvient des coureuses, que nous avons presque pu toucher du doigt, du moins les dernières du peloton. Les femmes n’ont pas la chance des hommes dès lors qu’elles s’obligent à devenir des championnes à vélo. Un maillot jaune masculin, ma foi, il peut arriver qu’il soit bel homme. Mais une reine de la petite reine, ça vous a vite un air d’Amazon warrior, machine à fantasmes, machine tout court : c’est court, c’est dur, c’est souvent rougeaud, leurs paquets de muscles évoquent les plastinations de Gunther Von Hagens. Franchement, je préférais que le petit garçon devenu grand n’ait pas bâti son image des femmes sur cette montagne — car ses souvenirs de sa petite enfance sont encore vivaces : il se souvient, par exemple, que nous avons été renvoyés du Club Med.

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