Un lion noir rugit sur mon drapeau jaune. Aerts et Merckx vont passer devant moi et ils feront comme les taureaux d’Espagne : ils fonceront dessus. C’est un monsieur qui nous l’a donné ce midi. Il a garé sa Renault Espace sur le côté de la route et il a distribué des drapeaux à tous ceux qui ont une plaque belge. Comme on est nombreux à être en vacances aux Deux-Alpes, il a vidé son coffre ici. Il répétait « voor Mario, voor Mario ». C’est le prénom de Aerts. Il est peint partout sur la route. Papa dit que Merckx est très fort aussi.

Mon copain de classe s’appelle Mario. Il a un grand-père sicilien qui joue de la guitare et chante en anglais. À la rentrée on ira quelques jours dans une école de Courtrai pour apprendre le flamand. Là-bas on fera du vélo car il y a de belles pistes cyclables.

Le monsieur aux drapeaux portait un tee-shirt blanc avec des inscriptions en noir et or : « Vlaanderen verwelkomt de Ronde ». Il m’a demandé mon prénom. « François, dat is Frans. » « Dat is Frans », a répété Maman.

Comme mes parents ont déjà étalé le drapeau belge sur la remorque, c’est moi qui ai reçu le jaune. « Tiens, Frans, ça t’occupera », a dit ma grande sœur. Elle, elle reste dans la voiture, à l’ombre, pour écouter du rap. Elle veut qu’on l’avertisse dès que le peloton sera en vue. Moi, je suis sûr qu’il y aura des échappées.

Il va falloir attendre longtemps : on est ici depuis le matin et Radio-Tour annonce un retard sur l’horaire prévu. Pas grave vu que la caravane publicitaire s’étire et que des motos pétaradent. Il fait jaune et noir des deux côtés du chemin avec juste un creux devant nous. Eux, ils ont des drapeaux à pois rouges et attendent Jalabert ou Virenque. On risque de se disputer avec les supporters trop bruyants. C’est ce qu’a dit Maman. Comme ils carburent au vin rosé, ça craint. Nous, c’est la bière. De la Jup, c’est moins fort.

On dirait qu’il y a du remue-ménage. Il paraît que le prince Albert de Monaco va passer devant nous dans la même voiture qu’un champion de ski. Armstrong est vraiment le plus costaud. Certains l’agressent en sifflant. Nous, on applaudit tous les coureurs, même s’ils sont Allemands, Américains ou Italiens. Et on fait flotter les drapeaux à portée de tous les yeux, peu importe qu’il y ait un maillot vert, jaune ou blanc dans la file.

« Vas-y, François, ils arrivent ! » Je hisse bien haut mon lion noir. « Kom hier, Frans, kom ! », hurle un supporter qui m’arrache le drapeau et le porte plus loin, appelant « Mario » de tous ses poumons.

Ils sont tous passés. Je pleure dans le rouge du drapeau belge qui recouvre la remorque. Ma grande sœur met la musique à fond. Papa et maman boivent de la Jup sur le bord du chemin.

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