No som fier de no Wallonie,
Eul monde étieu admir’ sé éefan,
Au promieu ran bri’ eus’ n’ industrie
È dée lés’ arts on l’ême étou.
Bieu que p’ti, no péï dépass’
Pa sé savan, dé pu grand’ nâssion,
È no volon branmée dé libérteu
Via pouquou no som fier d’étt’ walon !
Éeter walon, toudi no fratérnison ;
Dée l’maleur, on’ ême s’édeu ;
On fée eul bieu san jamée qu’on l’digîche,
Faisan tout’pou l’teni mucheu.
Eul chariteu visitan eul masur’
S’ipr’ee au nuit’aveue enn’ mass’deprécaussion ;
On doun’peu, meu ch’eu d’bon queur ;
Via pouquou no som fier d’ètt’ walon !
P’ti péï, ch’eu pou eut‘ grandeur d’âme
Qu’ no t’êmon, san branmée l’dir.
No n’ œil eus’ voil dé qu’on é di du mau
È no queur eu prêt’ a s’ésquèteu.
Eun’ craingneu jamée lé co d’l’aut’,
Lé bra d’vos éefan vo défédron
I n ’ fau gnieu braveu no rage :
V’la pouquou no som fier d’ètt’ walon ! [1]
La tenue du concours fut longtemps menacée par les fortes réticences de nombreux responsables politiques régionaux et par leurs tentatives réitérées d’en atténuer les effets les plus voyants. Mais il put néanmoins se dérouler selon les règles édictées à l’origine. Simplement, il fut tacitement convenu que les projets sélectionnés ne seraient exposés que très peu de temps et dans un lieu retiré, sans pouvoir faire l’objet d’aucune commande publique.
Il faut se souvenir que l’un des principaux griefs formulés à son encontre voulait que le thème choisi (« Objet de passé et d’avenir en Wallonie ») recelait en lui une contradiction insurmontable. S’ils ne pouvaient ouvertement, alors même qu’ils se ressentaient comme tels, se proclamer les dépositaires d’un héritage déséquilibré par les erreurs commises et par les retards accumulés pendant des décennies, ses détracteurs soutenaient cependant qu’il fallait se détacher du passé pour se projeter hardiment dans l’avenir qui, en conséquence, devait seul être considéré. Mais c’était une position peu convaincante. Il était facile de rétorquer que, s’il est certes mortifère de se référer constamment au passé, celui-ci était profondément singulier : tandis que l’avenir risquait bien de mettre la Wallonie sur le même plan que beaucoup d’autres régions en Europe, où la prospérité en apparence revient, mais où l’amnésie progresserait toujours plus vite qu’elle, et dont, surtout, le destin serait, dans tous les sens du terme, commun. D’ailleurs, il était, ajoutait-on, absolument impossible, sauf à remodeler entièrement le paysage, d’ignorer les stigmates qui recouvraient la plus grande partie des décors de son ancienne grandeur – la Wallonie est assurément l’un des territoires les mieux pourvus en cette matière — et qui attestaient aussi bien de son incapacité à enrayer son déclin.
C’est d’ailleurs cette valse-hésitation, cet aller-retour, plus long dans un sens que dans l’autre, entre le passé et l’avenir que les organisateurs du concours escomptaient rendre sous une forme matérielle. Ils durent pourtant modifier leurs intentions en cours de route : au début, il n’était question que de suggérer, à titre purement indicatif, un symbole pouvant se substituer à l’inénarrable et suffisant volatile emblème officiel de la Région. Mais ils pensèrent reculer devant les envois successifs des candidats, tant ils étaient conscients que la remarquable coïncidence qui s’y rencontrait allait décupler l ire des responsables de haut niveau, plus que jamais à l’affût d’une provocation de trop. Car, comme par un fait exprès, la plupart des candidats avaient envoyé le même objet stylisé.
Certes, chacun de ces épouvantails présentait des variations assez nettes : quelques-uns étaient même fagotés dans des matières qui évoquaient ou étaient issues des nouvelles technologies. Mais, en effet, c’était chaque fois le même objet. Pour couper court aux soupçons d’entente ou de mystification qui commençaient à poindre, les créateurs retenus publièrent un texte qui, pour être de circonstance, n’en était pas moins déterminé. Ils y écrivaient notamment que « au-delà de la rhétorique et de l’auto-persuasion, il est clair pour nous que la Wallonie est perçue à l’extérieur comme un épouvantail en raison de son passé, et que, en retour, elle regarde l’avenir mécanique et sans relief qu’on nous vante partout comme un autre épouvantail. Voilà évidemment pourquoi, chacun de notre part et sans concertation, nous avons choisi cette figure. Il ne faut voir là aucune dérision. Un peu plus de lucidité sur les enjeux, peut-être ; moins d’assurances sur les résultats, sans aucun doute ! » Cette déclaration fit quelque bruit ; mais, comme souvent sous ces latitudes, elle ne fut pas réellement discutée…
Il n’empêche : le seul alignement de ces propositions démontrait que le diagnostic induit par la lecture du thème était généralement partagé et découlait d’une inspiration identique. À partir de là, tout s’emballa. Les conditions mêmes de l’exposition attisèrent les convoitises, exactement comme ces cadavres de condamnés livrés au bûcher étaient disputés par des médecins qui, en dépit de l’interdiction de ces pratiques, payaient très cher pour pouvoir emporter et disséquer les corps avant de les restituer tout dépecés et recousus à la hâte. Plusieurs amateurs se déclarèrent donc pour acheter les projets et les maquettes, ou approchèrent les créateurs à titre privé. Nombre de pièces disparurent d’ailleurs rapidement, et aucune n’a reparu jusqu’ici. On dit que, après avoir été volées, elles se retrouvèrent sur les circuits parallèles, où leur valeur marchande n’a cessé de monter.
Le projet récent d’un industriel, prétendant avoir racheté leurs droits de reproduction aux créateurs des épouvantails (ce qu’ils n’ont ni confirmé ni démenti), connaît du reste un engouement spectaculaire. La commisération et le côté dévalué et dépréciatif que peuvent susciter ces mannequins est contrebalancé, selon cet entrepreneur, par la démonstration d’un enviable savoir-faire et le goût de la belle ouvrage et de la finition. Ces objets plastifiés, servant de trousseau, de porte-clés ou de fétiche, sont en tout cas appelés à devenir vite familiers, autant que les coquilles vides qui firent un temps fureur dans la Capitale, après que l’État fédéral eut été délesté de ses dernières prérogatives, sans mourir pour autant.
[1] Supplique imaginaire de Philippe Caroyez, à l’adresse des autorités de sa ville natale, pour l’adoption officielle d’une traduction en picard d’Ath de l’hymne wallon (tel que repris dans le Décret du 23 juillet 1998).
Noteu bieu : euch’ n’eu foc in’ essai, gnieu for orthodoxe. I faudroi d’mandeu au ‘Mon Evrard, a Lariguette… ou bieu co au deu échènn’. Qu’ i pardonîche, eul mayeur étou, eum’ éfrontrie.