C’était une période faste pour la ville de Takapa, le poumon économique de la République de Zandi. La plus grande entreprise minière du pays était florissante. Des milliers de travailleurs avaient bénéficié d’un crédit pour acheter qui une voiture, qui un vélo. Ceux qui étaient logés par la société avaient même eu la possibilité d’acquérir la maison qu’ils occupaient, moyennant d’insignifiantes retenues mensuelles à la source. Comme dans la Bible, les gens buvaient, mangeaient, se mariaient et mariaient leurs filles sans la moindre discrimination tribale. On n’avait jamais connu pareille zénitude.

Et tout se dégrada ! Le tyran qui régnait depuis trois décennies sur le Zandi, sentant que le pouvoir allait lui échapper, résolut de désunir les deux provinces qui s’opposaient le plus au régime. Il fit appel à un ancien opposant, qui se rendit à Takapa pour y tenir des discours incendiaires incitant à la haine ethnique. Ce redoutable tribun n’était en train de cibler que les citoyens originaires de l’une des deux provinces qui étaient en cause. Il en voulait à ces derniers d’avoir accaparé tous les postes clés. Il dénonçait leur arrogance. La foule disait : « Bravo ! ». Il y avait un brin de vérité dans ces griefs mais aussi beaucoup d’amalgames. Plusieurs personnes sensées parmi les natifs de la province rendue inhospitalière manifestaient leur réprobation.

Et la chasse à l’homme de commencer ! Plusieurs hordes de jeunes gens, drogués et recrutés dans les villages périphériques, vinrent envahir Takapa pour chasser toutes les persona non grata de leurs lieux de travail et de leurs domiciles. Leurs expéditions étaient annoncées par d’effrayants cris de guerre et des chansons séparatistes. La plupart de ces terroristes portaient un grigri qui était censé les rendre invincibles. Mais un jour, un de leurs chefs, vêtu comme un Inuit, ayant refusé d’obéir aux tirs de sommation, à l’un des rares barrages qui avaient été dressés, un militaire tira sur lui à bout portant. L’homme s’écroula. Ses camarades détalèrent comme des lapins, laissant tomber leurs amulettes, qui n’avaient pas plus de valeur magique qu’un objet kitsch.

Refusant tout affrontement direct pour éviter un bain de sang, les personnes devenues subitement indésirables refluèrent vers la gare qui, du jour au lendemain, devint une cité dans la cité, pleine d’une vie débordante. Quelle sérendipité ! Des marchés avaient été installés un peu partout, et des bistrots. Chaque soir c’était la fête. On se serait cru dans une kermesse. Mais la mort n’allait pas tarder à faire des coupes sombres dans cette cité sortie du néant, à cause de la promiscuité. Finalement, pour effacer cette image de citoyens réfugiés dans leur propre pays, un général vint en personne mettre le feu à la gare, obligeant ceux qui s’y trouvaient encore à chercher, à proximité de là, des abris d’où ils attendraient l’arrivée des trains devant les ramener dans leur propre province. Tout s’était dégradé. Le passé avait été radieux. Le présent était dramatique. L’avenir s’annonçait bien sombre pour les pauvres refoulés

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