Europe. Entrée de l’Est

Adolphe Nysenholc,

— Ils vont venir ? — Ils frappent à notre porte. — On les a laissés dehors un demi-siècle. Dans le froid. — Ils vont entrer. — Ils vont vraiment venir ? — Réjouis-toi. — Ça va être la fête ! — Ce sera un jour mémorable ! — Je ne vais pas les reconnaître. — Ils vont se présenter. — N’importe qui pourra dire qu’il est n’importe quoi. — Ils ne vont tromper personne. Ils ont trop attendu. — Comment je saurai que c’est les huit frères et sœurs de mon père ? — Ils te diront qui ils sont. — Je ne comprends pas leur langue. — Tes parents la parlaient. — Ils n’ont pas eu le temps de me l’apprendre. — Seront là aussi les quatre frères et sœurs de ta mère. — Il n’existe pas une seule photo d’eux. — Tu dois bien ressembler à l’un d’eux. — Et mes grands-parents, avec je ne sais combien de frères et de sœurs et leurs innombrables enfants qui devraient avoir mon âge. — Ils n’attendent qu’une chose qu’on leur ouvre la porte. — Qu’est-ce qu’on attend ? — Il faut un certain courage. — Mais ce sont des Européens. — Ils sont des millions ! — Ce ne sont pas des réfugiés. — L’Europe centrale ! de véritables résidents. — L’Europe profonde. On ne doit pas leur accorder le droit d’asile. — Chez nous ils sont chez eux. — Qu’on ouvre ! — On tremble. Tant d’êtres ! — Il n’y a plus de rideau de fer. — Tout un peuple qui était quand même au-delà. — Le Mur est tombé depuis longtemps. Ils n’ont pas osé franchir le pas. — On ne les a pas invités. — Ils n’étaient pas les bienvenus. — À présent on les accueille à cœur ouvert. — Ils vont venir. — On avait peur qu’ils occupent trop de place. — Ils ne mangeront même pas notre pain. — On croyait qu’on devrait s’occuper d’eux. — Ils sont autonomes. — On était gênés de ce qu’ils pourraient penser de nous. — Ils ne diront rien. — Leur silence sera insupportable. — Ils n’ont pas perdu leur savoir-vivre. Ils nous respecteront. — Et leurs enfants ? — Ne t’en fais pas. Pas un seul ne nous fera de reproche. — Ils n’en ont plus eu ? — On a baissé un rideau de fer pour qu’ils ne puissent pas venir nous hanter. — On a construit un mur pour les empêcher de s’échapper jusqu’ici. — Ouvrez ! — Ouvrons ! — Gloire à eux ! — Allons au-devant d’eux. — Six millions ! — Célébrons leur venue.

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