Petko Minkov dont je ne connaissais que la voix traînante au téléphone m’avait dit

Vous verrez, Sofia est une ville exquise, quelque chose de bigarré et de méridional, un bout d’Italie égarée à l’Est, vous aimerez sûrement, vous aurez tôt fait de vous y sentir à l’aise – et les femmes, les femmes bulgares, sont tellement, tellement belles Et c’est à ses paroles que je pensais, tandis que l’avion où j’avais pris place traversait en grondant d’énormes nuages noirs et que le type qui se tenait à côté de moi, un grand blond style arsouillé, n’arrêtait pas de fredonner un air de valse viennoise et de taper dans les mains

À ce pays si peu fait pour les rêves étalés en quadrichromie à la devanture des agences de voyages, si peu vendeur et si peu vendu

Aux rares repères qui étaient les miens

Rien que des clichés, un encombrant paquet de truismes désastreux Le yoghourt

Le merlot à prix doux au Cora d’Anderlecht La confiture de roses — et cela m’a projeté des années en arrière, très en amont dans mes souvenances, l’Expo 58 et ma chère petite maman qui s’imaginait des châteaux en Bulgarie Deux ou trois joueurs de foot

Stoïchkov à leur tête

Et puis cette lettre que j’avais reçue un jour, il y a des lustres, et où il était question d’un Festival consacré à l’humour, ce n’était pas drôle, un affreux papier de chiotte avec un affreux dessin illisible, une espèce de mauvais Chaval slave, ridicule, copie non conforme

Qui avait eu l’idée délirante de m’avoir envoyé ça, blague à la con

Et soudain j’ai revu le merveilleux visage de Sofia et ma mémoire s’est embrasée et j’étais dans ses bras, soudé à son corps, et il y avait la plage qui était immense et cette lumière grecque qui me transperçait les yeux et mes deux témoins, Marc et Pascal, étendus sur les galets, foudroyés par Chronos Mais qu’est-ce qu’elle est devenue Femme infidèle Poétesse des roses

Mère ou grand-mère maternelle et nourricière, graphologue, avocate, reine éclatante de bordel, reine des nuits chaudes de Lesbos, tueuse en série Comment savoir

Comment remonter le cours de ses lointaines étreintes Et ce zinc qui a l’air de chavirer au-dessus de cette ville imprenable et invisible

Sofia – sagesse perdue d’un autre âge Portant le nom de mes rêves naufragés

Amours volés au vol, gonflés de sel et de lumière aveuglante Et je parle d’un temps où je n’avais que vingt ans Juste après l’Expo et les doucereuses confitures de roses de ma chère petite maman

Et Stoïchkov, brute géniale, soulier d’or et de violence portant l’âme de tout son peuple au bout de ses crampons Sofia, Sofia

Et le gus à ma droite musant de plus en plus en plus fort

La peur du dernier saut

Valse de Vienne sur la ville vitrifiée

Clichés en cascade Et écrire

Et la voix traînante de Petko Minkov au téléphone À quoi il ressemble

Qu’est-ce qui me fait croire qu’il ressemble à Stoïchkov Vous avez bien fait, vous ne pouviez pas mieux choisir, c’est une ville si radieuse, si chaude, si

Et puis, croyez-moi, les femmes bulgares

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