George II, the king liar

Vincent Engel,

George II : ô rage, ô désespoir, ô jeunesse ennemie ! Ai-je donc si peu vécu pour subir une telle avanie ! Mon père avant moi a subi cet affront et je devrais à présent boire au même calice !

Le fou : Vous remettre à boire serait-il sagesse ou folie ? Certains diront qu’il eût fallu ne jamais vous arrêter, et d’autres pleureront que vous sombriez à nouveau.

George II : Faites dire des messes, sortez les missels ! Ah, ce pays mérite mille morts de me traiter ainsi !

Le fou : Pour les morts, le compte est bon, et largement.

George II : Que sont donc ces bruits ? Et que sont ces gens ?

Le fou : Les déménageurs, car si je déménage du caisson, d’autres ne s’en prennent qu’aux caisses, les vôtres, excellente excellence. Il appert qu’il vous faut plier bagage et vous en retourner dans votre beau Texas ; un autre en ces lieux va s’installer pour quatre ans, au moins.

George II : Mais quelle ingratitude et quelle félonie ! Je voudrais à jamais le noyer, cet immonde, ce rival intrigant qui me vaut l’avanie de ne plus contrôler le destin de ce monde ! Que jamais il n’ose se produire devant mes yeux ! Quoi, est-il vrai que ce traître a su séduire la vile populace et me ravir des voix qui me revenaient de droit ? Car sache-le, bouffon, Dieu en personne m’a confié cette mission de sauver l’Amérique et le monde !

Le fou : Lui avez-vous parlé récemment ?

George II : Au félon ? J’ai eu la faiblesse, il est vrai, d’accepter quelques entretiens avec lui devant des caméras…

Le fou : Je parlais de Dieu. Le qualifiez-vous de félon ?

George II : Arrière, démon ! Comment oses-tu ?

Le fou : Votre excellence ne doit se forcer. Il n’y a pas de témoin.

George II : En es-tu sûr ? N’y a-t-il point de caméra cachée ? Ils ont eu Nixon de la sorte !

Le fou : Sûr et certain.

George II : Dans ce cas… Que veux-tu que je te dise, à toi, fou, seul témoin du secret de mon cœur ?

Le fou : Quelle joie d’apprendre qu’il vous reste un cœur ! Je veux que vous me disiez, à moi qui le sais, que vous vous souciez de Dieu comme de votre première cuite.

George II : Au bourbon. J’ai toujours défendu mon pays.

Le fou : Il eut été dommage que votre foie fût gâté par du vin français.

George II : Ma foi est intacte ! Et si je le pouvais, j’ordonnerais que les prêtres de mon pays changent le vin de la liturgie en bourbon !

Le fou : Ou en Coca-Cola. Mais vous pourriez prendre du vin californien, plutôt que de prendre le risque d’apporter la preuve qu’en matière de miracle, vos prêtres ne sont pas plus doués que vous.

George II : La Californie vote à gauche !

Le fou : Elle s’est choisi pour gouverneur l’un de vos fidèles chevaliers.

George II : Ils m’ont tous trahi, le fou ! Pas un n’est là aujourd’hui pour me rendre ma dignité, mon pouvoir, ma couronne ! Plus un pour dire : « In George we trust » !

Le fou : Sauf les trusts des marchands d’armes et des grandes industries, ne l’oubliez pas. Ils pleurent dans leur palais d’acier…

George II : Que me servent leurs larmes !

Le FOU : Elles vous offriront une retraite paisible auprès d’amis sincères.

George II : Mais que sont ces bruits ?

Le fou : Des bruits ? Votre éminence deviendrait-elle aussi folle que le fol qui lui parle et reste seul à le soutenir dans l’épreuve ? Les déménageurs sont partis, la pièce est vide comme vos déclarations publiques.

George II : Tais-toi et écoute !

Le fou : Il est vrai. Quelqu’un vient.

George II : Qui ose ?

Le fou : Il me semble reconnaître le gros Chenney, l’indispensable organe de votre pouvoir…

George II : Ce bon Dick ! Quelle nouvelle m’apporte-t-il ? Se pourrait-il que l’espoir renaisse ?

Le fou : Avec lui ? Voilà qui serait vraiment miraculeux.

Dick, essoufflé : George, tout n’est pas perdu !

George II : Qu’est-ce que je te disais, fou !

Le fou : Dans sa bouche, cela veut juste dire qu’il y a encore des choses à perdre.

Dick : Tous les résultats ne sont pas encore arrivés, des recomptages de voies ont été ordonnés. Nous avons été avisés de ne mettre en place aucune des réformes promises après votre élection en 2000 !

Le fou : Si c’était les seules promesses restées dans les oubliettes…

Dick : George, pourquoi tolérez-vous la présence de cet idiot qui remplit vos oreilles d’un fiel calomnieux nauséabond que les pires terroristes lui dictent certainement ?

Le fou : Moi, un suppôt d’Oussama…

Dick et George II : Horreur ! Ne prononce pas ce nom !

Le fou : On se croirait dans Harry Potter ; celui dont on ne peut dire le nom, ce monstre obscur qui se cache partout et que vous aviez armé en son temps avant de lui tailler une légende sur mesure pour justifier vos desseins bellicistes…

Dick : Prépare-toi, Tom Dooley ! Demain tu vas mourir !

Le FOU : Il est vrai que vous avez ramené l’Amérique au temps des westerns et que vous avez assis votre politique et votre pouvoir sur les craintes les plus irrationnelles et une stratégie de la peur et du pire qui n’aura profité qu’à vos seigneuries…

Dick : Hang him high and low !

George II : Allons, Dick, calmez-vous… Ce n’est qu’un pauvre fou. C’est de surcroît le seul artiste de ce pays qui accepte de me parler.

Dick : Lui, un artiste ? Ça confirme ce que je pense de cette racaille communisto-islamo-terroriste !

George II : Nous réglerons ça plus tard. Vous parliez des élections, c’est plus important, mon bon Dick.

Dick : Soit. Nos avocats ont déjà introduit, à cette heure, deux cent trente-trois recours. Ceux de Kerry, à peu près autant. Il se peut qu’être ou ne pas être élu ne soit pas la question : les procédures dureront sans doute aussi longtemps qu’un nouveau mandat. La chambre vous est acquise, de toute manière. Faite quérir Kerry et sommez-le d’abdiquer et de collaborer avec vous, ou faites-le condamner pour haute trahison !

Le fou : On frappe.

Dick : Oui, on frappe ! Et fort ! C’est la seule politique qui marche !

Le fou : Non, je disais simplement que quelqu’un frappait à la porte.

George II : Qui est-ce ? Entrez !

Dick : Il ne répond rien ! George, couchez-vous sous le bureau, c’est sûrement un terroriste !

George II : Mon Dieu tout-puissant ! Papa ! Priez pour moi !

Le fou : Et dire que le président et le vice-président vont périr ensemble ! Sans parler de moi… Mais qui s’en soucie ? Pas ces deux-là, qui se blottissent à présent sous le bureau présidentiel… Qui est là ? Il faut tout faire ici…

Le fou ouvre la porte et un homme blessé à mort, titubant, entre dans le bureau ovale.

L’homme : Je dois voir le président, vite !

Le fou : Qui es-tu ? De quel réseau terroriste ?

L’homme : Je ne suis qu’une allégorie…

Dick : Il a tué nos gorilles !

George II : Vas-y Dick ! Tu dois te sacrifier pour sauver ton président !

Dick : Je préfère attendre le résultat des recomptages.

George II : Pour sauver le monde libre !

L’homme : Mister President, je sais que vous êtes là !

George II : Il n’y a personne ! Rien que Dick !

Le fou : Et voici le capitaine Achab qui traque la dernière baleine… Mais celle-là est tout sauf blanche !

L’homme : Écoutez-moi car mes forces s’en vont…

Dick : Il a envoyé des troupes ! C’est un chef de réseau ! Il faut le faire sauter !

George II : Pas dans le bureau ovale, voyons !

Le fou : Mais de qui ou de quoi es-tu l’allégorie ?

L’homme : Mais de la démocratie, évidemment ! Cela ne se voit-il pas ?

Le fou : Tu es en piteux état…

L’homme : Exactement. J’agonise…

George II : Il est mourant… Vas-y, Dick, un coupe-papier suffira à l’achever !

Dick : George, pas d’égorgement sur le territoire national !

L’homme : Je vous vois, je vous ai trouvé ! Vous vous cachez, lâche comme toujours ! Relève-toi, président, et fais face à celui qui te réserve ses dernières paroles !

George II : Je cherchais mon crayon… Que me voulez-vous ?

L’homme : Te mettre en garde ! Je suis le spectre qui te hantera, George ! À Kerry, j’ai donné ma voix mourante ; mais je veux, si tu triomphes malgré tout, que mon crâne orne ton bureau et hante tes nuits !

Dick : Un crâne sur le bureau ? Ce serait d’un goût…

Le fou : Quoique… comme pense-bête… Quelle nouvelle terreur instiller auprès du public aujourd’hui ? Combien de condamnés à mort exécutés à l’aube ? Quel nouveau désastre écologique pour la prospérité des entreprises qui financent ma campagne ? J’y piquerai des fleurs séchées.

George II : Allons, vous n’allez pas mourir ici, ce serait maladroit. Nous allons vous faire conduire à l’hôpital, vous verrez, tout ira bien.

Le fou : Si vous avez pu cotiser une assurance privée…

L’homme s’effondre.

George II : Mon ami, allons, relevez-vous !

Dick : Vous êtes devant le président des États-Unis d’Amérique ! Un peu de décence, nom de Dieu !

George II : Un mort à mes pieds ! Jésus ! Est-ce compromettant ? Le fou : Connaissant l’Amérique telle que vous l’avez façonnée, moins qu’une secrétaire !

DlCK : On dira que c’est Zarkaoui qui a fait le coup.

Le fou : Dans le bureau ovale de la Maison-Blanche ?

Dick : On l’expédiera par la valise diplomatique.

George II : Sacré Dick, il a réponse à tout ! Le fou ! Rappelle les déménageurs ! Qu’ils ramènent mes affaires et me débarrassent de ceci ! Et je prouverai à papa que je suis pire que lui !

Dick : Vous voulez dire : meilleur ?

George II : Meilleur, pire… on ne va pas ergoter, quand même ! Vienne Kerry, sonne l’heure, les voix s’en vont, je demeure… Venez, mes amis, prions ! Louons le Seigneur !

Le fou : Vous ne l’avez pas loué, vous l’avez vendu à vil prix…

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