Haute fréquence

Chantal Boedts,

(Nouvelle du corps bandant de Rosa Lenoir)

2003, septembre, lundi : le malheur est universel, le bonheur individuel.

Je passe, tu croises.

Sur le mur, ton dos, mon dos, ça roule et lève la jambe.

Lèvres en feu, tu n’es pas de bois.

Mes mains sur l’éclair, main dedans, pas mâle, essai rapide.

Baise-moi, Delete Ordinator !

Mains sur les vitres, buée, hautes fesses, langue tendresse, creux avide.

Tu ris, c’est joli, je fais des choses à genoux, j’avale toutes tes foutaises.

Vendredi, tu me jettes sur un lit, je me débats en attendant le grand blanc.

Plus haut, plus bas, plus longtemps lààààà.

Tout à coup, paf, je jouis, t’es content.

Je continue de gueuler, c’est bizarre, j’ai envie de te casser la gueule.

Ta force clique mes chevilles à blanc, plus d’escapade possible.

Pour me venger je parle des autres : des fantômes pour me défendre.

Tu me retournes comme une crêpe molle, tu mets ton chapeau et tu rentres.

La visite est longue, plus possible de faire semblant de rien.

Je cours toute seule.

Assise métro Duplex, lui me regarde.

Clichy.

Je dis, une semaine sans téléphone, tant pis pour toi.

Toi trop occupé avec elle sans doute.

Hôtel, carte de crédit, j’ai suivi.

Lui me regarde avec les mains, c’est doux, je suis contente.

Je mets les cheveux devant, moi pas trop voir lui.

La tête dans le coussin, j’attends, je pense, les chaussettes de lui sont moches.

J’aime entendre dire qu’il aime, pas moi… lui.

Clichy final.

La voiture et le bois de Vincennes.

Tu racontes, toi, les lumières sont aussi pornos que nos phantasmes. L’excitation de deux culs affamés fait craquer les sièges.

Dedans du dedans, l’heure a tourné, t’es cassé, en sueur, encore danser ?

Blablabla dans l’froid, comme tu vois rien n’a changé, je suis

toujours avec elle.

Kim, Justine en couverture tout l’hiver, blablabla dans l’froid…

Je te donne un livre, beau, idéal.

Le livre qui permet de croire quand rien n’est gai dehors.

Tem, tem pas ?

J’attends patiemment.

D m’appelle, m’invite, je me dis pourquoi pas, tu n’es pas tout seul. J’ai tant aimé D, des heures à flipper, j’étais si jalouse.

Bruxelles by night après Thalys.

Il me dit, rien réalisé, tu cachais trop ton jeu, draculi-dracula, mes petites lèvres en feu !

Il m’embrasse au-dessus du couscous, bouscule la table, le serveur sourit.

D et moi, on descend toujours aux toilettes à ce moment-là.

Il me dit, regarde la glace on a les mêmes yeux, puis aaah toi !…t’as un amoureux !

Je tire D devant la cuvette, il m’arrache tout, grogne, mords, oooh oui !

Je jouis grave, comme une délivrance, je n’aime plus D c’est une victoire !

Back, black août.

(Nouvelle du corps défendant de Rosa Lenoir)

Delete Ordinator, le malheur est universel, mon bonheur à zéro !

Trois mois que j’ai Nico à l’intérieur, le coup de foudre fait encore mal.

Tout pour oublier Nico sur les remparts d’Avignon.

Nico, bric-brac, sa vieille caisse pourrie, ses 25 printemps.

Des bisous, rien que des regards et des bisous.

J’écris le scénario, Nico tourne.

J’adore mater ses jambes qui tricotent sous son short, le voir bricoler sa caméra DV, me servir une mauresque, bidouiller les sons sur la mixette avec Julien.

Je fonds de trop, je l’sais, tant pis.

J’offre un gros cadeau à Nico, ses yeux éclatent d’étoiles, il m’embrasse dans la rue, velours de bouches.

Je m’en vais précipitamment, goût trop violent.

Je me terre chez moi, j’attends qu’il appelle, rien, rien, rien.

Mon crâne fait mal à hurler à force de fixer l’Nokia.

Jamais eu si peur, si une fois, la première, très longtemps, il s’appelait M.

Big-burger comptoir, rencontré l’homme tranquille intra-muros, vachement beau et tranquille.

Celui que tu n’oses pas, sauf si tu en aimes un autre.

L’homme tranquille a une belle voiture marine/airco en plein cagnard, un mas avec des volets lavande au milieu des lavandes, l’homme tranquille a fait le tour des beautés de sa région.

Il s’encanaille romantiquement.

J’aime qu’il m’aime dans ma robe rouge, nu-pieds et sans culotte.

Il mange mes boucles d’oreilles en terrasse, me roule dans les sables aux Saintes ; là je me sens ronde, dorée, jolie.

Nico nous voit, il filme dans la rue, au culot, il avance le micro, un petit mot sur les intermittents.

L’homme tranquille n’a pas bronché, j’ai froid aux bretelles dans mes mensonges.

Deliriumbar, le soir, Nico furieux.

Presque à poil sous un machin blanc, je bois un cocktail, me sens très mal.

Accroché au comptoir, un super brun me fait des signes, fatal error, je drague P pour faire bouger Nico.

Pas la bonne méthode du tout.

Julien vient me voir, Nico t’aime, pourquoi tu fais ça.

Je crache : qu’il vienne Lui !

Un bouquet de glaçons fondant, Nico sort d’un film italien d’avant-guerre, jamais vu tant de charme, il rigole et crève l’écran de mes nuits frustrées, je craque tellement que je m’enfuis.

J’habite chez Chaab, le syrien-nain, réal de courts.

Pour oublier Nico, je regarde Chaab qui regarde les GI’s envahir l’Irak.

Il fume tant qu’il voit plus l’écran, il me raconte son père à Damas, l’ambassade à Madagascar, puis Paris, puis… plus rien… plus de régime de faveur.

Restent les herbes de son jardin, et les souvenirs du Moyen-Orient sur sa grosse cheminée.

La maison est peinte en ocre, à ras du TGV Méditerranée, Chaab disparaît des jours et des jours dans sa fumée, les Anglais, les Espagnols, et les Italiens débarquent.

« Ils courent à perte » dit le grand Jacques sur les écrans ; noir sur blanc dans le journal national.

Chaab me dit : c’est bien, les Belges ont bouclé leur espace aérien.

La nuit il fait cracher sa verge dans sa chambre noire, il voudrait que je le pipe pour changer.

Pas question, je paie déjà un loyer, j’ai bouclé ma chambre.

L’homme tranquille passe me chercher pour faire un tour en péniche sur le Rhône.

L’homme tranquille dévore mes épaules, je pense : Nico !

L’homme tranquille me fait un cunnilingus, je fais un vacarme de pute.

Je rencontre Nico partout avec son micro, j’ai envie de chialer.

Le prince charmant n’est pas pour moi, le prince charmant est sombre et muet de reproches, j’ai vraiment l’impression d’être dégueulasse.

Batophare fin août, nuit rencontre, Delete Ordinator, Paris.

Le malheur est universel, mon bonheur entre parenthèses.

Je traîne avec G, un chic jeune type comme Nico, mais rien à faire pas Nico.

Aucun des mecs de Paris n’a les boucles châtaigne de Nico, son rire nature et sa fantaisie.

Non, mais je danse avec quelque chose de tout à fait différend et c’est peut-être intéressant.

Grand blanc, histoire discrète racontée plus haut.

Mai de l’an plus tard.

(Nouvelle du corps alarmé de Rosa Lenoir)

Le malheur est universel, mon bonheur une promesse électorale.

Lâcher le cœur, lâcher-prise dans les bras de Fawad l’Afghan.

Sur les toits de Bruxelles, il raconte les groseilles perdues de Kaboul, les groseilles au goût de pêche.

On écoute Johnny H sous la tabatière de la chaussée de Haecht, Johnny c’est grand, mondial, Universal, c’est le seul qui gueule l’amour semblant plus fort que moi.

C’est pour ça qu’on l’aime, Universal/Sabam.

Fawad raconte Bush père, Bush fils, les explosions de terre dans les jardins afghans, et les groseilles perdues de Kaboul.

Veuve Clicquot, champagne, la photo de sa mère en burka sur l’étagère en face du lit, Fawad l’Afghan recommence sa vie à trente ans, en Occident.

Chez le bouquiniste il a acheté des vieux Match, trois Flarlequin, il fait l’amour en souriant, avec des mains persiennes, c’est le printemps qui vient.

Il escamote les capotes comme un magicien, il apprend la modem life.

Attention, danger d’enceinte de Fawad l’Afghan !

Je vais peut-être me voir gonfler dans la fontaine du parc de Bruxelles.

Gonfler et tout oublier, l’euro, les pétrodollars, le Rwanda et Dutroux, les infos-vraies, la ferme des téléabrutis, la politique commune à 25, les sharonchars, le grand Art et mes propres scénars.

Je retourne en juillet dans les rues d’Avignon, je sens monter les vacarmes pavés, la rumeur et la grève, et j’ai peur.

Nico, et son micro…

L’été de tous mes dangers !

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