Pauvre petite stagiaire, séduite et abandonnée par l’homme le plus puissant du monde, héroïne d’un roman-feuilleton.

Vaillante jeune fille qui a fui, dit-on, un mariage arrangé avec un barbon polygame, héroïne d’un drame romantique.

Misérable créature, utilisée, manipulée, à des fins politiciennes et financières, héroïne d’un scénario hollywoodien de politique-fiction.

Courageuse petite bonne femme, réfractaire à l’enfermement et au rapatriement, héroïne d’une comédie-guérilla à la Mocky[1].

Pitoyable suceuse, piteuse enfilée du cigare, héroïne d’un roman porno signé Kenneth Starr.

Héroïque insoumise, victime de son refus, héroïne d’un thriller dont l’arme est un coussin.

Héroïnes de romans, de tragédies, d’opéras, de films, de faits divers, de cours d’assises et de grands jurys…

Héroïnes de l’Histoire comme la Pompadour et Jeanne d’Arc, Cléopâtre et Cléo de Mérode, la Brinvilliers et Violette Nozières, Marilyn Monroe et Théroigne de Méricourt, Mme Récamier et Louise Michel, Sappho et Antigone, Eva Braun et Anne Frank, Lady Diana et Mère Teresa, Mata Hari et Florence Nightingale, Mmc Claude et Ulrike Meinhof…

Héroïnes de tout temps, de tous pays, hétaïres et amazones, intrigantes et libertines, favorites et tricoteuses, espionnes et résistantes, grisettes et cantinières, stars et suffragettes, gredines et dolle mina, gagneuses et libertaires, tigresses et pasionarias, bombeuses et guérillères[2]

Héroïnes, héroïques quelquefois, victimes souvent.

Elle ne m’émeut pas, la petite robe bleue tachée de sperme présidentiel. Elle m’arrache un sourire sceptique. Que la stagiaire ait voulu la garder en souvenir, d’accord. Mais pourquoi diable l’a-t-elle confiée à sa maman ? Voilà bien l’incohérence des femmes sentimentales ! Si je ne parviens pas à pleurer sur son aventure, j’ai ri aux larmes à lire quelques extraits du fameux rapport, d’une parfaite obscénité, comme tout ce qui touche au pouvoir et à l’argent.

Elle me met en colère, la mort de la jeune révoltée. Piètre consolation de l’imaginer mordant la main du gendarme et hurlant sa rébellion aux oreilles délicates des passagers et de l’équipage. Elle a payé de sa vie sa lutte pour la liberté. Devenir à ce prix le symbole fin de millénaire de l’insurrection réprimée, je trouve que c’est honteusement cher. Je suis furieuse et me sens coupable d’inertie.

Héroïque et victime, cette héroïne.

Pas héroïque, l’autre héroïne, peut-être victime, victime consentante. Qu’est-ce qui pousse une stagiaire dans les bras d’un président ? Miroir aux alouettes. Que vaut l’honneur perdu de Monica face à une menace de destitution ? Quant à son séducteur, qu’on passe ses passades à l’homme qui tente de réconcilier Israël et la Palestine ! Il n’est pas Kennedy et elle n’est pas Marilyn, diable merci pour elle.

Me bouleversent davantage les héroïnes de supermarché qui poussent leur caddie d’un air las, les héroïnes du métro et des files de pointage, les héroïnes de Clabecq et de Vilvorde, les femmes de ménage polonaises et les Africaines qui voudraient devenir femmes de ménage, les petites filles qu’on enlève, qu’on viole et qu’on tue, les Maghrébines qui portent le voile et les réfugiées algériennes qui ne le portent pas, les fillettes qui glandent dans les rues avec de méchants garçons et les dames qui trônent fort déshabillées dans les vitrines, les vieilles qui chapardent des boîtes pour leur chat et celles qui glissent dans leur poche un petit pot d’œufs de lump pour leur Noël, les infirmières à domicile et les institutrices maternelles, les sans-papiers, les sans-logis, les sans-diplôme…

Toutes des héroïnes, des victimes, parfois héroïques, parfois superbement fâchées, insurgées, enragées, prêtes à tout pour vivre, pour vivre libres. Comme Sémira.

[1] Expressions empruntées à Noël Godin in Anthologie de la subversion carabinée, L’Âge d’Homme, 1988

[2] Bombeuse : « Femme jeune portée à la rigolade et à la bombe » (Colette, citée par N. Godin)

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