— Dis moi, papy, t’en connais beaucoup, toi, des homos ?
— Euh, oui… non… enfin quelques-uns : Elio, Pasolini, Oscar Wilde, Proust, que sais-je, pourquoi cette question ?
— Mais non, papy, qui te parle des gays ! Ce que je cherche, moi, c’est des homos du genre homo erectus, homo australopithecus, homo neanderthalensis.
— Ah oui, je vois, pourquoi tu veux savoir ça ?
— La prof d’histoire m’a collé un travail de vacances.
— Tu veux dire un examen de passage ?
— C’est la même chose.
— Si tu le dis… Il n’y a pas pire sourd que…
— On dit malentendant, papy.
— Il n’y a pas plus malentendants que ceux qui se bouchent les portugaises… C’est quoi ce travail de vacances ?
— Une recherche sur internet sur tous les homos avec une réflexion personnelle à la clef.
— Voyez-moi ça, l’enseignement se modernise. Réforme purement cosmétique si tu vois ce que je veux dire ! Alors mon p’tit, tu l’ouvres ce laptop. La rentrée approche à grands pas.
— C’est pas facile, papy, aide-moi. J’ai déjà homo habilis, homo sapiens…
— « sapiens-sapiens » !
— Pardon ?
— On dit « homo sapiens sapiens » ou « sapiens demens » pour parler comme Edgar.
— C’est qui Edgar ? Un pote à toi ?
— Edgar Morin, le plus grand penseur français vivant, gamin. On ne vous apprend donc plus rien dans toutes ces écoles réformées, mixifiées… De mon temps…
— ça veut dire quoi, papy, « sapiens demens » ?
— Tu fais du latin, que je sache ! La sapience et la démence, ça ne te dit rien ?
— « Sage et fou », mais pas les deux en même temps quand même ?
— Mais si, justement.
— Ah, je vois, un peu comme toi, papy, ou comme Charlot, ou comme Coluche ?
— J’te remercie, moustique. Ou Gandhi pour monter d’un cran, ou… euh… Mandela ?
— Homo invictus ?
— Pas mal, fiston, pas mal du tout ! Tu vois, quand tu veux…
— Ou qui encore, papy ?
— Je ne sais pas moi… Bouddha ou Jésus ou Job ou King Lear.
— C’est qui, lui ?
— Shakespeare, gamin, Shakespeare, décidément, l’enseignement, c’est plus ça du tout.
— L’homo britannicus ?
— C’est malin, poursuis ta recherche au lieu de faire de l’esprit. Et Homo sovieticus, tu le connais celui-là, petit ?
— Homo hibernatus, tu veux dire ?
— Mais non, asinus, ça, c’est de Funès. Tu le fais exprès ou quoi ?
— Homo ridiculus ?
— Pourquoi pas « homo cosmeticus » tant que tu y es…
— Oh oui ! C’est qui, ce zèbre-là ?
— J’en sais rien, je viens de l’inventer. Homo « cosmeticus », c’est toi, c’est moi, c’est nous tous, mon gars. C’est notre fichu Zeitgeist, notre société cosmétique « photoshoppée » sous prétexte que « nous le valons bien ».
— Il m’amuse, ton « cosmeticus », allons voir sur internet, papy.
— Mais c’est insensé, petit !
— Demens-sapiens, papy ?
— Tu as gagné.
— J’y vais, mon papy, j’y vais.
— Vas-y à l’aise, petit, à l’aise.
— Yahoo ne donne rien pour « cosmeticus », ou alors c’est tout en anglais, papy ? Ah si, si, attends, il y a ceci, je lis : « De même que l’homo habilis est devenu homo sapiens, son appréhension de la beauté évolue aussi. L’anthropologie de l’usage cosmétique chez le mâle a de belles heures devant elle… » Il serait temps de t’y mettre, toi aussi mon pépé « cosmeticus » !
— Baliverne, va plutôt voir à « cosmétique », petit.
— Tout de suite : voilà, j’y suis, « cosmétique »…
— Lis, mon garçon, « lis » comme dirait Gabriel à Mohammed.
— Pardon ?
— C’est rien, lis, j’te dis !
— « Cosmétique : ensemble des procédés et traitements destinés à embellir. »
— Jusque-là on est d’accord.
— « On parle de travail cosmétique lorsque quelque chose doit subir un traitement de présentation sans être modifié. ». « Les cosmétiques sont presque aussi anciens que l’homme. » Ça alors…
— Ben tiens, mon garçon, et le maquillage, tu connais ? Les Égyptiennes le pratiquaient déjà, les Phéniciennes, les Romaines et même les Incates.
— Tu as dit Incates ?
— Oui les femmes des Incas.
— T’es sûr, pépé, qu’on dit Incates et pas Incas ?
— « Au ier siècle…
— Arrête de faire ton Wikipédia à toi tout seul, s’il te plaît, papy !
— Néron et Poppée éclaircissaient leur peau avec de la céruse et de la craie…
— De la craie ?
— … soulignaient leurs yeux au khôl et rehaussaient leur teint et leurs lèvres avec du rouge.
— Les matrones latines se mettaient du rouge à lèvres ? Ah les vaches, papy !
— On dit les latrines latines mais les matrones de Rome, si tu veux bien, mon gamin. Continue…
— « Sont des cosmétiques : le masque de beauté, le baume pour les lèvres, les fards, le fond de teint… »
— « Il vendrait bien du fond de teint aux négresses », c’est ce qu’on disait de mon tonton, ho ho, hi hi. Mon tonton cosmétique a inventé le marketing.
— Papy ! Le prof nous interdit de dire négresses !
— Elle dit quoi alors, la dame ?
— Elle dit : « personne de couleur d’origine africaine » !
— Black en somme ! Poursuis !
— « khôl, mascara, poudre, vernis à ongles, crèmes, huiles ou lotions solaires »…
— On a compris, fiston, on a compris.
— « Ne sont pas des cosmétiques : les médicaments (un cosmétique ne soigne pas), les produits alimentaires : un cosmétique ne se mange pas. »
— C’est cela, oui ! On boit le vin et pas l’étiquette, quoiqu’aujourd’hui…
— « Un cosmétique ne doit pas nuire à la santé, la “cosmétovigilance” permet de recenser rapidement toute information relative aux effets indésirables et réactions secondaires, bla, bla… »
— Abrège, gamin, tu me soûles. « Cosmétovigilance » ? Mais où vont-ils le chercher ? Saloperie de société du cosmético-linguistique et pas que linguistique, mon garçon.
— Je note ça, papy.
— Cherche-moi plutôt une ou deux bonnes citations, gros malin.
— C’que tu peux être chiant, papy, avec tes citations à la con.
— « Quand serai-je enfin pour ne plus devoir paraître » – André Gide, Journal. Si ça, c’est pas de l’anticosmétique ?
— Attends, grand-père, j’en ai trouvé une bonne.
— Accouche, fiston, vite, lis-moi ça…
— « Aujourd’hui seule compte l’apparence des choses, et non pas les choses elles-mêmes. Ce qu’on célèbre, c’est la victoire des cosmétiques. »
— Oh sublimissime ! Qui a dit ça petit ?
— Robert Redford !
— Bof ! Tu sais les gens de cinéma… Une autre !
— Ça parle de cinéma, justement ! « Le cinéma n’a jamais fait partie de l’industrie du spectacle, mais de l’industrie des cosmétiques, de l’industrie des masques, succursale elle-même de l’industrie du mensonge. »
— « Société des masques, du mensonge, des cosmétiques ». Mais c’est qu’on est en plein dedans. C’est de qui fiston ?
— Jean-Luc Godard, tu connais ? C’est un philosophe ?
— Un cinéaste, grand sot, le grand Godard soi-même ! Zut alors ! C’est vrai qu’on n’est jamais assez « cosmétovigilants » !
— Je dis quoi alors dans ma rédac ?
— Puisque nous avons les fondements théoriques sur lesquels bâtir notre argumentaire…
— Papy, pourquoi tu parles pas comme tout le monde ?
— … passons donc aux exemples pratiques montrant « homo cosmeticus » en action, sur le terrain, comme on dit en « cosmétiquement correct ».
— « Cosmétiquement correct ». Attends, faut que je la replace celle-là, la prof va « a-do-rer ».
— Elle est bien ?
— Cosmétiquement appétissante, mon pépé, mais c’est pas du spek pour ton bec !
— Décidément, y a pas plus vieux chnoque que ce jeune con ! J’voulais dire comme prof, gros malin, va. Arrête ta zwanze, donne-moi plutôt encore des exemples, des exemples concrets !
— Te fâche pas, papy ! Euh…
— Mais encore ?
— Bon, ben, mettons par exemple Obama qui va nager dans le golfe mazouté à la télé pour faire croire qu’il n’est pas pollué ?
— Classique, mon garçon, trop classique ! Faut se renouveler un peu, mon petit.
— Alors, euh, comment dire… Ah oui, voilà : Obama qu’on dit qu’il est musulman quand on sait qu’il l’est pas mais qu’on répète partout qu’il l’est pour, pour le couler.
— C’est déjà mieux, gamin. Et à qui profite le crime anticosmétique, fiston ?
— Ben, euh, comment dire…
— À ses adversaires politiques, petit, qui lui taillent un costume pour nuire au camp démocrate et leur faire perdre les élections. Aurait-on cessé d’enseigner l’esprit critique à l’école ?
— T’as vraiment que ce mot-là à la bouche, papy. T’es un vrai homo criticus !
— « Le salut ne viendra pas des esprits au garde-à-vous ». Retiens bien ça, gamin.
— Euh, c’est… c’est aussi, par exemple quand on parle de « guerre propre », comme en Irak et que…
— Voilà, parfait, les infâmes bombardements dits chirurgicaux. Chirurgicaux, mon cul, comme dirait Zazie. Y a qu’une saloperie de guerre, partout la même et tout le reste n’est que propagande et maquillage médiatique.
— maquillage cosmétique ?
— C’est comme ce cardinal Danneels qui a essayé de tout étouffer…
— Ou la grande crise, papy ?
— Ah oui, parfait, ça, la « soi-disant » crise financière. Ils ont si bien maquillé les choses qu’au final on socialise les pertes et on privatise les bénéfices.
— Euh…
— T’en fais pas, tu comprendras ça quand tu seras grand.
— Le réchauffement climatique ?
— Bien vu pt’it gars, ça va réchauffer comme en Russie ou mouiller…
— … comme au Pakistan.
— Note bien tout ça, petit. « Tout va très bien, Madame la marquise. »
— C’est quoi, grand-papy, cette vieille scie ?
— Une ancienne chanson pleine de sagesse.
— Sapiens demens.
— Bravo ! Ça résume tout : « tout va très bien, si ce n’est que… »
— « si ce n’est que » on nous cache quelque chose…
— « On ne nous dit pas tout », sois « cosmétovigilant », petit.
— Mais pépé, plus moyen de tricher, avec internet, tout se sait, tu le sais.
— C’est vrai que c’est moins facile que du temps du Dr Goebbels.
— Encore un pote à toi ?
— Et dis ça va, hein, petit analphabète. T’as jamais entendu parler du ministre de la propagande d’Hitler.
— Le mec qui faisait les films sur les Jeux olympiques de Berlin ?
— Non c’est Leni qui les faisait, Leni von Riefenmachin, j’ai oublié, une vraie esthète complètement toquée d’Hitler qui faisait des films sublimes au service de la cause nazie.
— Leni Cosmetica ?
— Si tu veux, non, Leni Riefenstahl, ça me revient. Ah, la mémoire, la mémoire !
— Arrête, pépé, tu me fatigues.
— Ah, elle est belle, la jeunesse. Deux mois de vacances et ça se dit crevé… Tu roupilles petit, vivement la rentrée des classes.
— L’école gratuite, papy !
— Pardon ?
— Je dis que l’école gratuite c’est aussi du bidon.
— Comment ça ? Ah oui, t’as raison, tu parles d’un slogan cosmétique !
— Maman dit que c’est une vraie arnaque avec ses frais administratifs, ces cantines, garderies et voyages scolaires bidon.
— Arnaque mon garçon. Dis-moi, t’es allé où cette année en excursion ?
— Au Sénégal, pourquoi ?
— Au Sénégal !
— Et la cascade de Coo, tu la connais ?
— Bof ! Non, pourquoi ?
— Comme ça ! Ça ne connaît pas la cascade de Coo mais ça va au Sénégal avec l’école ? Mais où va-t-on ?
— Au Pakistan l’an prochain.
— Assez ! À propos de choses sérieuses, tu es inscrit dans une école ?
— T’inquiète, pépé, mais pour ma sœur qui entre en secondaire on cherche toujours.
— Papa l’a inscrite dans quatre écoles. Plus de place, qu’ils disent.
— Faites gaffe qu’on ne vous l’inscrive comme élève alibi dans une école à discrimination positive dans une zone d’éducation prioritaire
— Maman a écrit une lettre au ministre.
— À la ministre, fiston. L’enseignement est devenu le monopole des femmes, mon garçon.
— Mais c’est ça l’égalité des chances, comme dit ma prof, pépé ?
— Encore une arnaque.
— Démocratisation des écoles, qu’ils appellent ça ! ?
— Démocrétinisation, tu veux dire !
— Pépé, calme-toi, pense à ton cœur.
— Il est brisé, mon vieux cœur, quand je vois ce gâchis.
— Mais grand-père, t’y changeras rien.
— Ah tu crois ça, mon garçon ! « Soyez le grain de sable », disait mon prof en faculté, « et pas l’huile dans les rouages, gamin ». C’était pas vraiment un « homo kus mes kl. », çui-là.
— Homo cosmeticus, papy.
— C’était un seigneur, ce mec, un vrai homo cosmopoliticus, fiston !