Il va falloir qu’on s’habitue
À faire sans
Le travail le travail le travail
Au fond : une perte de temps
Qu’est-ce qu’on va en gagner
Pas de l’argent non non
Mais du temps
Pour en dépenser
C’est excellent pour l’économie
La consommation des ménages
En antidépresseurs en autocuiseurs
En calmants
Qu’est-ce qu’on va claquer
Le temps libre généralisé
Quel progrès camarades quel progrès
1936 au cube ça fait bien plus que 2006
les congés payés toute l’année
C’est le bonheur sans les factures
Le bronzage sans l’aventure
1936 au cube : ça fait combien
Il va falloir qu’on s’habitue
À compter jusque-là
Le travail
On va devoir faire sans
Comme le pétrole
Et les fins de mois difficiles ou pas
La fin du moi
La fin du tu
La fin du nous
Il n’y a plus que le nombril qui compte
On finira bien par distribuer à tous
Les tickets-repas les chèques-culture les tickets cadeau les bons de vacances
Les logements assistés le sport obligatoire la carte Happy Life
Fonctionnaires universels du berceau à l’hospice
Plus de chômeurs rien que des électeurs
Tout frais payés tout muselés
Suffit de quelques élus pour bien gérer tout ça
Le progrès il y en a qui connaissent
À coups de congrès de coups de force de coups d’épée dans le dos
Et de discours dans l’eau
On voit leur nœud dans le poste
Leurs sourires à la radio
Passés maîtres dans l’art de baisser leur froc et de baiser leur monde
Ou bien l’inverse
Triste espèce
On aimerait tant pouvoir faire sans
Ces encravatés qui pissent dans leur propre soupe
Pour ne pas la partager
Il n’y aura bientôt plus de travail que pour eux
Ministre-Président en charge de l’ONEM
Vice-Premier pilote des CPAS
Grand Chambellan à la reconversion régionale
Haut Commissaire à la simplification politique
Un seul parti une seule case un seul job
Un peu comme pape ou roi avec l’hostie en moins
Encore une fois
Il va falloir qu’on s’habitue à faire sans
Dire qu’ils avaient promis d’en créer deux cent mille
Et de jurer fidélité aux lois du peuple belge
Avant de s’asseoir dessus avec leurs larges fesses
Le cumul des mandats
La présence au Sénat
Le respect du débat
Il va falloir qu’on s’habitue à faire sans
Tant qu’on n’est ni à feu ni à sang
Je suppose qu’on doit se taire
Sous peine de passer pour un de ceux d’en face
Les grands bruns les grands noirs
Que l’on montre du doigt
Dans l’ombre où ils ne conspirent même pas
Tandis que sous les spots on vote
Pour des photos retouchées et des logos chamarrés
Pour trois couleurs interchangeables
Superposées comme des lits pour mieux nous endormir
Ça reste joli tant qu’on les mêle au rouge
C’est le secret du grand coloriste
Il n’y a que les verts qui sont gênants
Vert et rouge ça donne du brun
Autant dire le lisier de Flandre l’étron national
Il faut rester dans le ton voyons
Rester dans le rang
La politique c’est dans le sang que ça se règle
De père en fils on se charcute
Œdipe Carolo
Hamlet upon Flemalle
Ce ne sont pas les remakes qui manquent
Ni les pères d’orphelins Il faut rester dans le rang voyons
Dans le sens de la longue marche
Dans l’ombre du progrès
Celui qui emboîte le pas du chef encaisse aussi les pets
Dit le proverbe
Mais il va falloir faire sans l’odeur
Nous sommes trop nombreux
Pour tous en profiter
Il va falloir qu’on s’habitue à faire
Sans culture sans pauvreté
En Wallonie
On n’a plus de quoi se les payer
Toute la collecte est versée au Maréchal Plan
Et à ses copains de l’industrie
On investit comme ça dans la reconversion
D’un plein-emploi faisons un plein chômeur
D’un minimex formons un demandeur
Ça ne coûte pas grand-chose
Tous demandeurs d’emploi qui n’existent pas
La reconversion c’est juste la magie des chiffres
Comment veut-on que ça marche
Les francs-maçons ne croient pas aux miracles
Et il nous en faudrait plus d’un
Ah si on mettait les budgets européens
Pour acheter des cierges et des cierges
Et quelques paquets d’Union Match qui font la force dit-on
Des poupées vaudoues au professeur savane
Une constellation astrale régionale à Mademoiselle Soleil
Et des billets d’Euromillions
On aurait peut-être une chance
De sortir de la crise
D’identité wallonne De fierté locale
D’enseignement communautaire
D’atterrissage fédéral
Qui sait
Hein
Au fond
Qui sait
Pas moi en tout cas
Je n’ai pas cette prétention
Il va falloir qu’on s’habitue à faire sans
Les miracles et les petits boulots
Les lendemains qui chantent
Et les surlendemains à Marbella
La pension on ne connaîtra pas
À moins de l’avoir long comme ça
Le bras
Et deux bonnes couilles en or
C’est toujours bien utile
Héritées d’un cousin éloigné
Ou d’une intercommunale
On vient de passer vingt-cinq ans à nous apprendre à faire avec
Le magnéto le fax le mail et le GPS
Le micro-ondes la console de jeu et le siège chauffe-fesses
Internet la carte Proton la télécarte
J’en passe et des meilleurs dont on se passerait bien
Le DVD plasma feu Amiga V-2000 Betamax et les racloirs à langue
Renovcuir et les bipeurs l’air con et l’air conditionné
La télé de cuisine la station météo encastrable et le climatiseur
Tout ça, c’est bien fini
Il va falloir qu’on s’habitue à faire sans
La carte de parti le carnet mutuelle
Le carnet syndical
On ne s’en portera pas plus mal
Mais on doit faire avec
Encore et toujours avec
Comme des boulets
Mais sans les frites
Continuer continuer
De faire semblant qu’on est heureux de faire avec
Avec leurs fils aussi avec leurs filles et avec leurs filleuls
On garde le nom et on ne change rien
La nouvelle politique a des airs d’ancien régime
Sans la guillotine
Mais qui donc a éteint les lumières
Le libre choix le libre arbitre et les libres supporters
Mais qui donc a éteint les lumières
Il ne reste que les phares de leurs berlines de fonction
Pour éclairer la nuit wallonne
La buvette à côté du terrain de foot
La salle des fêtes
La place communale
Oui ça donne envie d’y foutre le feu
Mais on se retient
Tout fout le camp
Non pas tout
Pas les colleurs d’affiches pas les jetons de présence pas les heures de permanence au café de la buvette au comptoir majorette pas les rubans coupés et les premières pierres pas les noces d’or pas les grands prix wallimoteurs
Pas le plan maréchaussée
Pas le plan incliné
Pas le premier plan
Juste l’arrière
On ne demande rien de plus
Juste le droit de préférer le fou au roi
Le type qui rit à celui qui pisse droit
Le con qui a des idées au con qui a des relations
Et le bras long
On ne demande rien de plus que de figurer à l’arrière-plan
Là où l’image est floue et où on a la place de se mettre à tout plein
Avec ceux qui sont partis de loin pour arriver ici
Avec ceux qui sont nés ici qui voudraient aimer autre chose que des joueurs de foot et des tenniswomen
Avec ceux qui n’ont pas de voix
Ceux qui n’ont pas de haine
Avec ceux-là
Du fond de votre photo de famille
Je vous dis non
On ne s’y fera pas
On ne marchera pas aux œufs sur le plat de la main
Aux chopes à l’œil et à la grippe aviaire
Au pacte camarade
Au pacte avec le démon de midi entre les bof générations
Entre Flamoutches et Ballons
Je dis non
Il va falloir qu’ils apprennent qu’ils ne peuvent pas
Faire sans
Les gens
Même si ça arrange leurs chiffres
Et leurs copains pleins de cravates
Qui ne vivent que de ça
Des chiffres et des petits arrangements
Avec les mots
Il va falloir qu’ils apprennent qu’ils ne peuvent pas
Faire sans
Les gens
Sinon on leur montrera
Du bout du doigt
Comment on peut très bien faire sans eux
Des omelettes, du lard et du pinard
Sans qu’ils paient la tournée
Et nous les pots cassés
Puis on leur montrera encore
Que c’est dans le fumier que la nature germe
Que c’est là où leurs copains comptables ne voient rien
Qu’il y a tout à imaginer
Et tout à reconstruire
Mais sans eux
Nom de Dieu
Mais sans eux pour de bon
Ça nous fera du travail
Nom de Dieu
Mais on aime ça ici
Avoir du pain sur la planche
Et des tyrans à étriper