Macha d’Outremeuse

Christian Libens,

Liège, le 5 septembre 2004

A l’attention du Docteur

P. C***

4000 Liège

Cher confrère,

     Comme vous en avez exprimé le souhait lors de notre dernière rencontre, je vous adresse une copie du journal intime de M. Pierre R***.

     Sachant votre temps compté, je limite cet envoi aux pages qui me paraissent les plus significatives. Bien entendu, l’intégralité du document est à votre disposition si vous jugiez utile de le parcourir entièrement.

     En vous remerciant déjà pour votre avis éclairant, je vous prie d’agréer, cher confrère, l’expression de mes meilleurs sentiments.

(signature)

Docteur A. D***

Journal de Pierre R***

(le patronyme a été rendu illisible)

Lundi 5 avril 1999, le soir

Voilà, Mère est revenue. Une ambulance l’a ramenée cet après-midi. Et le docteur Delcour vient de passer pour organiser les soins à domicile. Une infirmière la visitera chaque jour, matin et soir. « Votre maman s’en tire plutôt bien », a répété Delcour. Il en a de bonnes ! Elle ne marchera plus, elle ne parlera plus, mais elle s’en tire plutôt bien

Le docteur prétend aussi que son aphasie ne l’empêche pas de me comprendre et que je dois continuer à lui parler « pour garder son esprit en éveil », que je dois l’aider à ne pas « sombrer dans la dépression morbide ». Ce sont ses mots. J’ai dû avoir les larmes aux yeux parce qu’alors il a changé de ton.

Il m’a conseillé de prendre du recul. « Je ne vais pas vous dire de sortir, je sais que ce n’est pas votre genre, je vous connais depuis trop longtemps… » Pourquoi a-t-il dit trop ? Parce qu’il soignait déjà mes maladies infantiles ?

J’ai retenu chacun de ses mots : « Vous qui vivez dans les livres, pourquoi n’écrivez-vous pas vos sentiments, vos impressions ? Mais oui, pourquoi ne pas tenir une sorte de journal intime où vous noteriez aussi les progrès de votre maman ?»

Et voilà pourquoi je noircis ces lignes…

Commencer un journal intime à cinquante-neuf ans est parfaitement ridicule, je le sais bien. Mais le docteur a raison, c’est encore la meilleure façon de me soulager sans embêter personne. Je ne vais tout de même pas me plaindre à mes plus fidèles clients, ce n’est pas le moment de les faire fuir !

Bon, assez déconné, mon vieux Pierrot… Au dodo ! Et sans te relire, sinon tu risques de foutre ton journal au feu dès le premier jour.

Mardi 6, midi

L’infirmière est arrivée comme j’ouvrais le magasin. Elle n’est restée qu’un bon quart d’heure près de Mère. Elle repassera pour son coucher. Elle a laissé son odeur dans tout l’appartement, un parfum au patchouli qui m’a rappelé mes années d’étudiant ! Elle a un doux sourire et les cheveux frisés teints en roux, est plutôt rondelette et s’appelle Mariam. « Mariam, avec un a », a-t-elle insisté (je n’ai pas bien compris son nom de famille, un nom arabe, et je n’ai pas osé le lui faire répéter).

En fait, ce cahier est mon troisième journal. Ou plutôt le troisième début de journal dans lequel je me lance. C’est dire si je suis un diariste plus velléitaire qu’obstiné. Je n’ai jamais su tenir la distance, paraît-il. En rien !

La première fois, j’avais douze ou treize ans. La deuxième, dix-sept. Bien sûr, il s’agissait alors de confier au papier ce qu’il fallait taire: le premier baiser, puis la première fois que j’ai respiré la vie sous les jupes d’une fille… (Quel lyrisme soudain ! Attention, Pierrot !)

Cette fois-ci, combien de temps tiendrai-je ces pages, tiendrai-je le coup ?

Et surtout : combien de temps tiendrai-je le coup avec Mère ? Pratiquer certains soins sur sa propre mère m’apparaît décidément impossible. Il me faut convenir d’une visite supplémentaire avec cette infirmière… Qu’elle passe matin, après-midi et soir, au moins !

Mardi soir

Je suis un peu soulagé. Quand Mariam a été partie, après les soins du coucher, j’ai eu tout à coup l’idée de faire la lecture à Mère. C’est en voyant les deux « Pléiade » des contes de Maupassant qui traînaient toujours sur la desserte depuis le jour de son attaque que ça m’est venu. J’ai choisi L’Auberge, une nouvelle qui se déroule en pleine montagne, et que mon père nous avait lue sur place, à la Gemmipass, lors de vacances dans l’Oberland bernois. Mère doit la connaître presque par cœur mais ma lecture lui a fait plaisir, c’était visible. Elle me souriait avec les yeux.

Je ne suis pas trop convaincu de l’utilité de ce journal intime, mais bon ! Surtout résister à l’envie de me relire …

La nuit

Il est trois heures du matin. Je termine la Lettre à ma mère de Simenon. Les 122 pages d’un seul coup, sans boire ni pisser.

Je suis frappé par ces lignes, à la page 85 : « Nous sommes deux, mère, à nous regarder ; tu m’as mis au monde, je suis sorti de ton ventre, tu m’as donné ton premier lait et pourtant je ne te connais pas plus que tu ne me connais. » Comme c’est vrai, profondément !

Je n’avais plus ouvert ce livre depuis mes quinze ans. Je l’avais pêché dans ce que mon père appelait son Simenonaria. Logique que La bouquinerie de Saint-Pholien ait tout un département consacré à l’illustre enfant d’Outremeuse  et que le bouquiniste soit un spécialiste de Simenon ! Je n’arrive pas à la cheville de mon père en sciences simenoniennes… Faudra que je ranime sérieusement le rayon en vue du centenaire de 2003 !

« Tu peux le lire, fils, mais ce n’est pas un Maigret, pas même un roman. Ca risque de ne pas trop te passionner ! » J’avais été un peu vexé. Ce n’était pas dans ses habitudes de me détourner de lectures plus difficiles, bien au contraire.

Mon père s’est pendu quatre jours plus tard.

Mercredi 7, avant-midi

Ce matin, Mariam m’a demandé son aide pour sortir Mère du lit :

– D’habitude, je me débrouille toujours seule, mais mon dos est tout bloqué. J’ai dû me faire un tour de rein, hier, en couchant Mohammed dans son petit lit. C’est bête, moi qui ai tellement l’habitude de remuer des malades toute la journée.

J’ai ri à ce « remuer des malades ».

Je me sens plus rassuré quand Mariam est là. Et quand elle est partie, il reste encore son odeur, son odeur démodée et envoûtante.

Mercredi soir

Elle est entrée comme je m’apprêtais à fermer. Je l’avais déjà aperçue plus tôt dans l’après-midi, tête nue sous l’averse, le front collé à ma vitrine et les mains en œillères. J’avais alors eu l’impression qu’elle regardait moins les livres de l’étalage que l’intérieur du magasin. Son visage m’avait frappé : une figure en noir et blanc. De longs cheveux noirs, des yeux noirs et des pommettes blanches, presque livides.

J’étais tellement fasciné par ce visage que je l’ai accueillie d’un « Mademoiselle » avant de me rendre compte qu’un ventre énorme débordait de son pantalon de sport.

Elle se met aussitôt à baragouiner :

Please, monsieur, please… my baby !

Elle pose les mains à plat sur son ventre.

My baby… Many killers outdoor !

Je réalise alors que ses lèvres tremblent. Elle contourne mon bureau, se glisse entre les étagères du fond, me fait signe de la rejoindre.

Please, monsieur, help me ! Killers…

Presque une voix de basse, rauque, fatiguée.

Killers for me and baby ! Yes, killers in the town, but no police, please, don’t call police !

Je n’ai pas le temps de bafouiller deux mots qu’elle s’agenouille à mes pieds, me prend les mains. Elle m’embrasse les doigts, souffle :

Save me ! please, save me !

Alors, sans réfléchir, je me suis précipité pour fermer la porte, baisser les volets et l’emmener au fond de la réserve.

I’m cold !

Elle retire ses tennis trempées et s’assied en tailleur sur mon divan de lecture. Elle masse ses pieds nus entre ses paumes Je lui tends le vieux plaid écossais. Elle s’y enroule, me sourit timidement.

My name’s Macha, from Kichinev in Moldavia.

Are you thirsty ? Do you want wine ? Sorry but I haven’t tea…

Comment aurais-je pu expliquer à Mère que je m’étais subitement converti aux boissons chaudes ? Je continue comme je peux avec mes dix mots d’anglais :

Red wine… it’s warm, better for you !

Je brandis une bouteille de gigondas tout juste entamée, lui verse un verre. Elle l’avale d’un trait. Puis un autre et un autre et encore un autre. Je la regarde boire, la tête penchée en arrière, le ventre posé entre ses cuisses. Je suis trop bouleversé pour l’accompagner, j’ai trop peur de me noyer dans le vin, pour une fois. Et puis ce trouble : ses orteils si petits, ses chevilles si blanches, toute cette peau nue… Toute cette chair jeune, cachée sous mon vieux plaid, si près de moi !

Je chuchote, le doigt levé vers le plafond :

 You may sleep here this night but silence ! My mother sleeps upstairs… Total silence !

Je lui ai encore montré les toilettes et la façon de rétablir l’eau courante au petit lavabo –fichu robinet !

I sleep very few. Often, I stay in the bookshop during the night. If you are sick, call me !

Puis je lui ai offert mon plus beau sourire et un good night que j’aurais voulu serein. Alors, sans que je puisse faire un pas de plus, elle s’est agenouillée devant moi, m’a pris les mains et les a embrassées.

– Thank you, Sir, oh ! thank you very much…

La nuit

Ce soir, j’avais choisi de lire les quatre pages de L’Ordonnance à Mère. C’est le conte le plus court de tout le recueil… J’étais tellement pressé de redescendre !

Maintenant Macha dort paisiblement. Elle a parlé plusieurs fois dans son premier sommeil. Un moment, elle a crié et j’ai eu peur que Mère ne l’entende.

Mes mains ne tremblent plus, je les ai soignées avec du gigondas. Par contre, je culpabilise toujours : ressentir un tel trouble devant une femme enceinte agenouillée à mes pieds… Bien sûr, c’est aussi de sa faute (quelle horreur, ce mot ! Toujours tes vieux démons, Pierrot !) : a-t-on idée de remercier quelqu’un avec autant d’impudeur ?

Mais c’est moi, c’est bien moi qui ai un tel désir d’elle !

Comment ne pas penser à son corps allongé dans la pièce voisine ? Les pieds nus, les chevilles blanches, ce ventre qui roule l’élastique du pantalon, qui m’éblouit comme une pleine lune… Combien de centimètres de panneau de porte entre nous ?

Et combien d’années, vieux con ?

Jeudi 8, avant-midi

– Books, books, books everywhere… It’s wonderful ! It’s magic !

Elle tourne sur elle-même, les mains tendues vers les rayonnages, vers les caisses qui encombrent la réserve. Elle me sourit. Je devrais plutôt écrire qu’elle sourit aux livres, tant j’ai l’impression que les milliers de volumes entassés autour d’elle la rassurent.

Ce qui me paraît magique à moi, c’est qu’avec Macha, j’ai tout à coup l’impression de connaître l’anglais ! A baragouiner chacun de façon si basique, nous ne nous comprenons pas si mal que ça. Elle me raconte que son grand-père maternel était maître d’école et qu’elle adorait s’asseoir au pied de la bibliothèque dans son petit bureau.

Elle repose son ventre sur un rayon du Judaïca, touche le dos d’une torah, caresse du doigt les caractères hébraïques de la pièce de titre avec une moue contente.

– Are you Jewish ?

Pourquoi ai-je d’abord hésité à lui poser la question ?

The grand father of my mother was a rabbin but the father of my father was gipsy.

L’après-midi

Mariam a fait la conquête de Mère. Je l’ai bien vu à la façon dont elle la regardait ce midi.

Il faut bien que je me l’avoue : je préfère m’occuper de Mère quand Mariam est là. Sinon je me sens mal à l’aise. (J’ai tellement peur de devoir la toucher !) Pour le dissimuler, je n’arrête pas de lui parler du magasin : un habitué qui cherche tel titre, tel rabatteur qui a déniché un bon lot, telle référence trouvée pour valoriser un livre sur le prochain catalogue…

Mariam avait apporté des baklavas. « Pour votre dessert, Madame Delcour, une petite pâtisserie maison ! » Après son départ, je me suis efforcé d’en faire avaler quelques bouchées à Mère.

J’ai emporté le reste pour le partager avec Macha. Quand je suis entré dans la réserve, elle avait les yeux rougis mais elle m’a souri quand même. Je lui ai tendu l’assiette. Avant de prendre un baklava, elle a tapoté le coussin pour que je m’asseye à côté d’elle.

Ca m’a fait tout drôle de me retrouver dans mon vieux divan avec une jeune femme inconnue, là où j’ai passé tant de nuits à lire des milliers et des milliers de pages, seul toujours. J’ai vite enfourné le gâteau pour me relever aussitôt et me précipiter vers les toilettes, mains tendues et doigts écartés.

– C’est bon mais ça colle ! Euh… it’s good but

J’ai laissé la porte grande ouverte pour me laver les mains bien ostensiblement. (Je me demande maintenant : pourquoi ce malaise ? pourquoi tout ce cinéma ?) Puis j’ai dû lui grimacer un sourire en mâchouillant :

–  Sorry, but this bathroom is really too small !

Quel con ! Mon vieux Pierrot, tu as dû être parfaitement ridicule !

L’après-midi, toujours

Je m’en doutais depuis ce matin : Macha m’a demandé pour rester une nuit de plus. Je suis peut-être un gros naïf mais elle avait l’air si sincère en suppliant :

– Just for one night, Sir ! Please… killers for me in the street !

Comme je ne répondais pas tout de suite, elle a posé les deux mains sur son ventre.

– Please, Sir, my baby, my baby !

Je restais toujours planté là comme un con, la bouche ouverte. Alors, elle a soulevé son sweet-shirt jusqu’au soutien-gorge.

– Look ! Look at my baby ! Oh, Sir, please, baby in my body, here !

Je suis sorti presque aussitôt, hoquetant des « okay ! okay ! okay ! » éperdus et grotesques, emportant l’image de cet énorme ventre rond, de toute cette chair si nue parce que si blanche. L’image d’une mappemonde veinée d’étroites mers bleues. L’image d’un monde à protéger.

Le soir

Au moment de sortir, Mariam m’a fait un grand sourire complice.

– Ca sent bon les frites jusque dans votre magasin, monsieur Pierre. C’est une bonne idée de vouloir faire remanger votre maman en lui donnant ce qu’elle aime, mais méfiez-vous quand même des frites… C’est fort lourd avant de dormir !

J’ai bafouillé qu’elle n’en avait avalé que quelques-unes. Et j’ai maudit in petto cette idiote de Mariam. D’abord pour le mot magasin ! Et puis, de quoi elle se mêle ? Je peux bien manger des frites dans ma librairie, bon Dieu !

Macha a dévoré toute sa portion et une bonne partie de la mienne. Ses yeux pétillaient comme ceux d’une petite fille à Noël.

– Good ! It’s hot, good for me and my baby

Nous avons aussi partagé trois canettes de blonde. Entre deux bouchées de frites mayonnaise, elle a montré la bière puis a touché ses seins.

– Bier is very good for my milk.

Yes, but brown bier is better for you.

En guide de dessert, je suis allé lui chercher une Chimay à la cave. J’ai pris des airs de prestidigitateur pour la lui verser dans mon dernier verre calice intact. Elle a aspiré la mousse brune les yeux fermés.

La nuit

Tout à l’heure, pendant la lecture, j’ai eu l’impression que Mère me regardait d’un autre œil. Est-ce qu’elle se fatigue de Maupassant… ou se doute-t-elle de quelque chose ? Qu’aurait-elle bien pu entendre ? Macha fait moins de bruit que les souris de la réserve !

Mère en haut et Macha en bas… J’ai parfois l’impression que je vais devenir fou. Pauvre Macha ! Elle a l’air en même temps si courageuse et si malheureuse avec son gros ventre qui s’échappe de son training…

Ca me vient tout à coup, là, maintenant !… Et si je lui achetais des vêtements convenables ? Et si je lui offrais une belle paire de chaussures ? Ce ne serait pas un luxe non plus, ses tennis sont pourries.

C’est décidé ! Demain, si je file tôt, entre le passage de Mariam et l’ouverture de la librairie, j’ai une petite heure pour lui trouver quelque chose de bien.

Vendredi 9, avant-midi

Tant pis pour l’heure, j’avais trop besoin de mon petit gigondas pour me calmer ! Après trois verres, je suis encore tout tremblant. Et tout trempé !

Acheter des souliers pour une femme… Je ne me rendais pas compte que ça me ferait autant d’effet. J’ai tout de suite repéré la paire idéale dans la vitrine : des escarpins noirs avec une lanière à la cheville. Mais quand la vendeuse m’a demandé la pointure « de la personne », je me suis évidemment mis à bafouiller. Quel con ! Comme si je ne devais pas m’attendre à la question ! J’ai pris du 38, on verra bien.

J’étais vexé et furax en sortant de la boutique. Est-ce ça qui m’a donné le courage d’entrer à côté ? Au moins, dans un grand magasin de vêtements, pas de vendeuse pour me traumatiser avec des questions ! J’ai choisi moi-même : chemisier blanc et jupe plissée en tissu écossais. La jupe, je l’ai prise en taille extra-large, pour qu’elle ne soit pas trop serrée au ventre.

J’ai déjà entrouvert deux fois la porte de la réserve mais Macha dort toujours J’espère que ça va lui plaire !

Vendredi soir, tard

Quelle journée ! Les clients, ma mère, Mariam … A croire qu’ils s’étaient tous arrangés pour me tenir la jambe ! Je  n’ai pas eu cinq minutes pour noter plus tôt combien Macha a aimé les cadeaux.

J’avoue : pour la première fois, je suis content de retrouver ce journal. Y écrire, c’est un peu revivre l’émotion de ce matin.

J’avais déposé les paquets au pied du divan, à côté des restes de croissants. Macha s’était déjà recouchée avec un livre (l’originale de Three men in a boat, je crois). J’ai juste dit « Cadeaux ! Gifts ! » puis je suis ressorti.

Après des heures, j’ai enfin entendu un « Okay » étouffé et je me suis précipité dans la réserve…

The shoes are nice, very nice, but…

Macha souriait avec les lèvres, avec les yeux, plus que jamais petite fille à Noël. Et moi, je devais être rouge comme le bonnet du Père Noël !

Elle s’est plantée devant moi, pieds nus, avec les chaussures à bout de bras.

My… euh… my body is too big for…

Elle montrait son ventre, elle riait, les escarpins dansaient dans ses mains.

Help me please !

Elle est allée s’asseoir sur le divan et je me suis accroupi devant elle.

Je tremblais comme un ado à sa première étreinte… C’est idiot, je sais bien qu’il ne s’agissait que de l’aider à enfiler des chaussures, seulement ça !

Puis, très vite, je ne me suis plus posé de questions, aucune. Je crois même que j’ai vécu ce moment-là comme une cérémonie religieuse.

Oui ! c’était une sorte de rite… Me pencher vers ses chevilles. Les entourer des fines lanières de cuir noir. Toucher la peau nue de ses mollets (leur blancheur est encore renforcée par les petits poils si noirs!). Si près, voir les plis de la jupe s’ouvrir et se fermer avec le mouvement des cuisses (un vrai kilt de collégienne!). Voir le chemisier se tendre sur le ventre (entre deux boutons, le nombril joue au cyclope !), sur les seins (entre deux autres boutons, leur chair veinée palpite !). Voir la cotonnade révéler les mamelons (le sombre de l’aréole paraît si large et les tétons si pointus !).

C’était naturel. Tout était normal. Je n’étais plus un vieux garçon maladroit. Je ne pensais plus à rien d’autre. Seulement à cette femme enceinte qui portait une jupe et un chemisier que je venais de lui offir. Seulement à ce corps dont je respirais l’odeur inconnue.

Samedi 10 matin

Je relis ma page d’hier et je me dis que j’aurais peut-être pu écrire autre chose dans ma vie que des catalogues de bouquinerie. Même si elles sont plutôt romantico-nunuches, mes « belles phrases » sur le corps de Macha me troublent encore… Si c’est pas du style ça !

Demain, c’est dimanche et je pourrai passer toute la journée avec elle (enfin, il y aura la lecture de Mère, et puis lui donner à manger à midi puisque les week-ends Mariam ne vient que pour la toilette du matin et le coucher). Et puis aussi, je dois absolument avancer dans mon prochain catalogue (si je continue comme ça, je ne serai jamais prêt pour l’envoyer avant mai).

Samedi soir, tard

Quelle journée ! Entre les clients du samedi et Mère, je n’ai guère eu le temps de m’occuper de Macha. Pourtant je n’avais pas envie de la quitter. Quel plaisir de la regarder dormir ou lire dans le divan ! Comme elle me fascine, abandonnée derrière son bouquin avec sa jupe en corolle sur ses cuisses écartées et son gros ventre par-dessus ! J’ai mis le radiateur à fond pour qu’elle ne prenne pas froid. C’est vrai que mon chemisier ne doit pas lui tenir trop chaud… Mais elle est tellement belle, habillée comme ça !

Je lui ai déniché une anthologie de poésie en roumain et une édition russe de Crimes et châtiments. Elle a eu l’air folle de joie :

– You’re merveillous ! Many many thanks.

A nouveau, elle m’a embrassé les mains comme si j’étais le pope de sa paroisse. Et moi, j’ai dû à nouveau avoir mon plus bête air cramoisi !

En cherchant de la lecture pour Macha, j’ai retrouvé une rareté que je vais mettre dans le catalogue. Ce sont deux volumes d’addenda au Journal de Jules Michelet. J’ai commencé à les parcourir et je comprends mieux pourquoi ils ont seulement été publiés dans les années cinquante… Sacrément transgressifs, les rapports entre le vieil historien et sa très jeune épouse ! Athénaïs (elle s’appelle vraiment Athénaïs !) est une institutrice de vingt ans et Jules a alors cinquante balais. Il écrit :

J’étais de plus en plus avide de son corps virginal; et plus j’y entrais, plus j’en sortais plein de désir.

Après les règles, chaleur extrême. Je brûlai de me plonger dans cette fontaine de vie. Orage imminent. Je la trouvai elle-même brûlante, délectable, savoureuse… Pluie. J’arrosais tous les soirs. Comme Brahmâ dans le lotus, j’étais tout entier dans ma fleur.

Quand je sors d’elle, je me sens plus purifié et unique, sublime…

Le ventre de la femme est pour l’homme un foyer de l’inspiration…

Sacré Michelet ! Moi, c’est le gros ventre de Macha qui m’inspire !

La nuit

Impossible de fermer l’œil ! J’ai la fièvre d’avoir lu ce Journal. A toutes les pages, Michelet ne parle que de son besoin « de palper de la chair de femme et de manier la femme aimée »…

J’avoue que je reprendrais bien la phrase à mon compte. Encore que, « femme aimée », pour Macha-l’inconnue, est très excessif. Mais « femme désirée », sûrement, absolument, irrépressiblement !

Michelet, toujours :

Moi à vos pieds, baisant vos petits pieds, les réchauffant de mes mains, les mettant sur mon cœur

Les petits pieds de Macha, ils sont bien là, sur ma page, en trois dimensions. Au point de bander vraiment !

Il me reste le gigondas pour m’aider à dormir. Ou, au moins, à ne pas déconner…

Dimanche 11, avant-midi

De quoi étais-je le plus embarrassé ? D’avoir à peine frappé à la porte de la réserve, d’être entré sans guère attendre, de balbutier « excuse me » après avoir claironné « breakfast, Macha, wake up ! », de rester planté là avec mon sachet de croissants ou de ne pouvoir détacher mon regard de ce corps tout nu ?

Macha, elle, ne manifeste aucune gêne. C’est pour se laver plus à l’aise au petit évier des toilettes qu’elle a laissé la porte grande ouverte, voilà tout !

Elle me sourit :

It’s nothing, really… Come in !

Je ne bouge toujours pas, je peux juste répéter :

Breakfast, croissants for breakfast…

Oh ! good, I like it… Thank you ! But you… sit down, I finish my toilet and you eat with me…

Okay ! And thank you, Macha

Oui, je lui ai dit merci. Merci pour ce regard reconnaissant et pour ce sourire confiant. Merci pour son corps si nu, si blanc, si lumineux.

Dimanche après-midi

Est-ce que Mère se doute de quelque chose ? Ce midi, j’ai eu tout à coup l’impression qu’elle me regardait d’un drôle d’air. C’est vrai que je n’ai pas passé beaucoup de temps avec elle depuis que Macha est là… Heureusement que j’ai l’excuse du catalogue. Et, pour Mère, la parution régulière du catalogue, c’est sacré !

Pour l’amadouer, je lui ai lu quelques pages de Maupassant après lui avoir donné son repas. (Maupassant a aussi servi à lui faire avaler quelques bouchées de thon… Je crois bien qu’elle se fatigue de mes éternelles conserves ! C’est de ta faute, Mère, tu m’as toujours si bien préparé à manger… Et moi, je ne sais rien faire !)

Tout à l’heure, Macha m’a réclamé du travail. J’ai commencé par rire et je lui ai conseillé de plutôt se reposer, « for your baby ». Mais elle a insisté vraiment. Alors je lui ai montré comment on protège un livre avec du papier cristal.

Maintenant, elle est toujours assise à la petite table, derrière une pile de curiosa, sage comme une écolière qui recouvre ses cahiers à la rentrée des classes.

(J’avoue que mon regard à moi n’est pas si sage… De ma place, je ne parviens pas à me concentrer sur les notices de ce fichu catalogue. Mes yeux sont sans cesse attirés par ses jambes nues sous la table. Hypnotisés ! J’en ai une boule dans la gorge.)

Dimanche, après le goûter

Je suis rassuré, Mère s’est régalée de tarte au riz… C’est que tout va bien pour elle quand même !

Quand j’ai rejoint Macha, elle était toujours assise à sa table mais elle avait écarté le papier cristal pour mieux feuilleter un in-octavo illustré. J’ai tout de suite reconnu l’édition dix-neuvième du Sade, que j’avais sorti pour le catalogue. Les gravures en hors-texte y sont particulièrement hard !

J’ai dû avoir l’air d’un gamin rougissant qu’on surprend en train de lire Play Boy puisque je me suis senti obligé d’expliquer :

Oh, Macha, this book… It’s here for sale !

This pornographics pictures are terrifics, but very nice too… And very true ! This is also the real life today…

Une drôle de moue lui a chiffonné les traits, juste un instant, puis elle m’a souri :

– Thanks for all, Pierre !

Elle prononce mon prénom comme personne…

Dimanche, tard le soir

Macha dort. Moi, je la regarde dormir. Elle s’est enroulée toute dans le vieux plaid. Il n’y a que son front et son nez qui dépassent.

C’est une chose étrange et mystérieuse que cette vie de désir.

Je ne sais pas si j’ai bien fait de reprendre Michelet… Sa phrase est juste, bien sûr, mais ce n’est pas lui qui va t’aider à calmer ton désir à toi, mon vieux Pierrot !

D’autant qu’il est sacrément obsédé par le corps de son Athénaïs ! Ce n’est plus un journal, c’est une prière, une psalmodie :

Mon amour, mon inquiétude, mon cher coeur, mon cher con, mon cher ventre, mes chères entrailles…

Me verser tout en elle, moi, c’était mon idéal…

Plus loin, il parle du « bonheur de la voir pisser », de « la forte et jolie cascade – on eut bu volontiers ». Il raconte qu’il l’aide dans « son petit ménage de femme », qu’il sait « jour par jour, sa vie intestinale », qu’il la connaît « comme si j’eusse vécu dans ses entrailles ».

Tout ce qui déplairait sans doute à celui qui n’aime pas, est suave à celui qui aime…

Je n’ai pas envie de me moquer du pauvre Michelet. Au contraire, comme je le comprends au plus profond ! Lui, au moins, il pouvait toucher son Athénaïs. Tandis que moi, Macha, je me contente de la toucher des yeux ! J’en ai presque des visions… Son corps nu, sa chair pâle, ses jambes, ses cuisses, son ventre, ses bras, ses seins, son ventre, son ventre…

J’ai tellement faim d’elle que j’en ai des crampes à l’estomac !

Combien de verres de gigondas pour me soigner, pour me nourrir ?

Et pourquoi je vais pas me blottir contre elle ? Me blottir tout contre son ventre, là maintenant ? Pourquoi ?

Pourquoi mon père s’est pendu ?

(J’entends encore Mère dire que c’était à cause de la maison, que la maison avait porté malheur à mon père, que Joseph Kleine aussi l’habitait lorsqu’il s’était pendu à l’église Saint-Pholien.)

Lundi matin

Grande décision : je n’ouvre pas ce matin ! Ce n’est pas pour deux ou trois clients… Ils n’auront qu’à revenir !

J’ai trop envie de goûter un peu de temps avec Macha. Elle vient de m’émouvoir aux larmes. J’en ai encore des frissons rien qu’à me raconter la scène… (Bon d’accord, Pierrot, tu es un vieux sentimental, mais merde, c’est comme ça, assume-toi !)

J’entre dans la réserve avec les croissants. Macha se redresse, me fait une place à côté d’elle sur le divan. Je m’assieds et, Dieu sait pourquoi juste à ce moment-là, alors qu’elle est ici depuis cinq jours, je lui demande :

Your baby, boy or girl ?

I don’t know but I prefer a boy…

Elle ajoute avec une moue :

– The life is too difficult for a girl !

Puis elle me fait un grand sourire, prend ma main et la pose sur son ventre nu.

– And for you, Pierre, little boy or little girl ?

Sa peau est chaude et douce, comme vibrante. Moi, j’ai l’impression que ma paume va fondre et que mon cœur va exploser.

Alors, elle plonge ses yeux graves dans les miens et appuie ma main plus fort encore.

– The name of the baby… Now, my choice is Pierre… Not Peter, but Pierre, in french ! For you…

Depuis quand ne me suis-je plus senti aussi vivant ?

Lundi après-midi

Je me demande pourquoi j’ouvre encore le lundi. Je n’ai vu que Staline, qui est venu m’emmerder pour trois fois rien, juste quelques pièces de belgicana, et qui m’a tenu la jambe une bonne demi-heure. (Bon, je suis sans doute un peu injuste avec Staline, il m’apporte souvent de la bonne marchandise. D’ailleurs, les deux addenda au Journal de Michelet, c’est lui… Merci, Staline !)

J’avoue : je n’ai plus envie de voir personne en dehors de Macha. Même les visites de Mariam me pèsent. Quant à Mère… !

Le ventre de la femme est pour l’homme un foyer de l’inspiration.

La phrase de Michelet me tourne dans la tête… Oui, le ventre de Macha est vraiment devenu mon foyer à moi. D’ailleurs, il réchauffe ma petite vie tiède. (Ta vie de vieux con gelé, Pierrot !)

Son gros ventre m’inspire de sacrées questions, aussi. Du genre : comment je vais faire quand Macha va accoucher ? Et comment faire avec Mère ?

Bon Dieu, arrête de te torturer, Pierrot ! Surtout devant un aussi beau tableau… Un chef-d’œuvre ! Macha endormie sur le canapé. Chaque minute passée à la contempler est une minute gagnée…

Lundi soir

Quel con ! Mais quel con je suis !

Et puis merde ! Maintenant, c’est trop tard, ça ne sert à rien de me morfondre. J’aurais dû prévoir que Mariam pouvait entrer dans la réserve. Elle me cherchait pour me prévenir d’une modification d’horaire ou d’un truc comme ça, je ne sais même plus.

Elle a vu Macha…

Qu’est-ce qu’elle a pensé ? Comment je vais pouvoir lui parler, demain ? Même simplement soutenir son regard… Si au moins elle ne m’avait pas surpris à genoux devant Macha !

Macha cristallisait des livres à la petite table depuis un bon moment. Elle s’est mise à se masser les orteils. Je lui ai demandé si elle avait froid, si elle voulait mettre ses chaussures. Sûr qu’alors je n’ai plus pensé que Mariam était là-haut avec Mère, moi ! Une seule chose comptait : aider Macha à enfiler ses pieds nus dans les escarpins…

Là, je dois avoir une drôle de sale gueule parce que Macha me jette de brefs regards inquiets. Je sèche sur mon catalogue pendant qu’elle lit Dostoïevski, allongée sur le divan.

La nuit

Ma main ne tremble plus. J’ai descendu deux bouteilles de gigondas. Maintenant, j’écris sans problème. Je dois mettre sur le papier ce qui s’est passé ce soir, ça m’aidera à y voir clair.

Depuis l’irruption de Mariam, Macha avait l’air de plus en plus nerveuse. Elle a fini par me demander :

This woman… the nurse of your mother… she works for why ? She speaks offen with the police ?

Je me suis efforcé de la rassurer comme j’ai pu, avec mes dix mots d’anglais et mille sourires.

Puis je lui ai servi pas mal de vin. On était là, assis côte à côte sur le divan, à ruminer chacun le nez dans notre verre.

Après un siècle, elle m’a pris la main. Je n’osais même plus respirer. Après un autre siècle, elle a chuchoté :

Thanks, Pierre, thanks for all !

Elle avait des larmes dans les yeux, dans la voix.

Je bafouillais des « It’s nothing » en chapelet quand elle a mis les mains à mon cou. En reniflant comme un gosse, elle a attiré ma tête sur son ventre.

Kiss my baby, Pierre, kiss him !

J’ai glissé du canapé pour m’agenouiller devant elle, devant eux, la mère et l’enfant.

Sa jupe s’est ouverte comme son chemisier, ses cuisses comme ses bras. Seuls ses yeux étaient fermés. Alors j’ai posé les lèvres au doux de sa peau, j’ai embrassé cette peau blanche, et bleue, et noire, et rouge, partout cette chair si blanche, alors j’ai respiré ce corps, j’ai respiré Macha au rouge, au noir, au bleu de son corps si blanc.

Puis je ne sais plus…

Je me vois devant son ventre puis directement devant mon verre. Comment suis-je passé de la réserve à la librairie ? Ce qui est sûr, c’est que je me suis retrouvé bien trop vite dans ce putain de magasin à caresser cette putain de bouteille !

Pourquoi je me suis enfui d’elle ?

Maintenant, elle dort. Je viens d’entrouvrir sa porte. Sa respiration est une petite musique de nuit.

Mardi, tôt le matin

Ce qui passe par son corps sacré, ce qu’elle rend enrichi d’elle n’est nullement indifférent, on le reçoit avec amour. Quand on songe que sa vie est tellement mêlée à cela, on a regret au torrent qui emporte chaque jour une part de la personne aimée, et on voudrait le retenir.

C’est du Michelet, bien sûr. Je viens de noter ça et j’entends Macha qui tire la chasse d’eau….

Comme l’amour est mystérieux ! Pauvre Michelet, comme je le comprends !

Bon Dieu ! qu’est-ce que je vais faire quand Mariam sera là ? Je sais bien qu’elle ne dira rien à Mère, mais comment soutenir son regard ?

Je vais aller acheter les croissants de Macha, ça me distraira…

Mardi, 8 heures 47

Mariam vient de partir et Macha n’est toujours pas rentrée.

J’avoue que je suis inquiet. Quand je suis rentré de la boulangerie, elle n’était plus là. Depuis son arrivée il y a huit jours, Macha n’a jamais mis un pied hors la librairie. Pourquoi elle est sortie ? Elle devait avoir une bonne raison, elle qui a si peur du monde extérieur. Mais pourquoi elle m’a rien dit ?

Mardi midi

Je n’ai jamais passé autant de temps sur le seuil ! J’ai vu mille passants mais pas de Macha. Je suis malade d’angoisse.

Maintenant, Mariam est près de Mère. Elle m’a dit bonjour comme si de rien n’était. Je n’ose pas monter les rejoindre sinon je devrais fermer. Et si jamais Macha arrive sur la porte…

Elle a dû sortir avec son survêtement de sport et mon chemisier parce que la jupe est posée soigneusement sur le dossier du divan.

Mardi soir

Je me force à poursuivre Michelet mais je ne comprends pas ce que je lis tellement je pense à Macha. Son image m’obsède. Je ne vois qu’elle !

L’amour comme tous le connaissent, c’est une maladie, une crise; l’amour, en moi, ce sera un mouvement, un progrès, un renouvellement, une fécondation de chaque heure.

Michelet, toujours.

Quand Macha reviendra, je l’épouse ! Et j’élève le bébé avec elle !  Pierre… Le petit Pierre… Tant pis pour ce que Mère dira !

Mardi, la nuit

Michelet note le 3 janvier 1849 à minuit :

J’ai le cœur si malade, si tremblant, si ému, sans que rien puisse en calmer les mouvements, que je me remets à écrire. Ah ! chère, que deviendrai-je étant à ce point dans tes mains ? Ah ! qu’elles me soient bonnes et douces, ou autrement je meurs.

Si Macha était partie pour toujours, elle n’aurait pas rangé si soigneusement sa jupe. Ou alors elle l’aurait emportée…

A moins qu’on ne l’ait enlevée ! Ces hommes qu’elle craignait tant ont peut-être retrouvé sa trace. Mais comment ? Personne ne l’a vue ici, à part Mariam.

Michelet raconte que Louis XV avait acheté une fillette de neuf ans. Jusqu’à ses treize ans, le roi l’avait cloîtrée dans ses propres appartements…

Il nourrissait, soignait, comme un petit animal domestique, la gentille créature (c’était une fille). Nulle femme de service. Il la servait lui-même. En même temps, il lui faisait l’école et lui apprenait ses prières, gâtait, grondait, caressait, corrigeait.

Quand Louis XV s’aperçoit qu’elle est enceinte, il la renvoie. A treize ans !

Comment peut-on faire une chose pareille ?

Sans Macha, comment je vais traverser toute cette nuit?

Mercredi matin

Macha, où es-tu ?

Macha. Macha. Macha. Macha.

Ecrire son prénom me soulage.

Quand j’avais douze ans, je copiais des pages entières de Marie-Béatrice…

Marie-Béatrice occupait le banc voisin du mien, à la troisième rangée, du côté de la fenêtre. Elle avait de longs cheveux châtains retenus par un serre-tête blanc. Dans mon souvenir, elle portait presque toujours une jupe plissée et des socquettes blanches.

Reviens, Macha !

Macha, mon amour, si tu veux, je te donnerai tout… Tout ce que j’ai, mon amour ! Moi, je ne te demanderai que de te voir, de te regarder vivre. De t’admirer toute !

Le soir

Michelet aussi devait l’attendre, son Athanaïs, quand il écrit :

Est-ce que tu ne sens pas encore dans quel abîme je suis tombé? Est-ce que tu ne vois pas que je ruse avec le monde, que je fais semblant de vivre, d’agir, d’écrire, de parler?… L’amour, en un sens, c’est la mort même.

Mais si Macha ne revient pas ? Comment je vais pouvoir vivre sans elle, moi ?

(sans mention de date)

Pourquoi continuer, alors ?

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