Claudia et Vincent veulent faire une surprise à JDD pour son anniversaire. « N’en parlez à personne, pas même à votre chat », écrit Vincent. Trop tard ! Eurydice lit toujours le courrier en même temps que moi. Elle saute sur la table ou, plus précisément, elle s’élève dans les airs comme une plume portée par le vent jusqu’à ces papiers que je déploie (le journal), que j’ouvre (les lettres), que je froisse (les pubs), que je déchire (les « Bravo, madame Lalande, vous avez gagné 1 000 000 FB »), oui, cette chatte aime le papier, l’imprimé, le manuscrit, dès qu’il y en a sur mon bureau, elle les mesure du bout de ses moustaches tendues en arc de cercle, les cadastre de son museau précieux, elle avance une patte prudente en direction du texte, puis une autre patte, guettant ou redoutant mon rejet, mon refus, un éventuel agacement, progressant malgré tout parce que sa volonté est impérieuse, se couchant enfin sur le texte que je lis, celui-là et pas un autre, ronronnant sa satisfaction à se trouver là, au centre des choses, captant mon regard, l’interrompant à son profit.

Alors, voilà, Eurydice a lu la lettre de Vincent en même temps que moi et lorsqu’elle a vu qu’il s’agissait de JDD, elle s’est mise à baver, comme elle bave lorsqu’elle fait son mashed potatoes sur mon ventre, pattes qui tricotent, scandent, martèlent un souvenir d’enfance, un bien-être de nouveau–né, de chaton sensuel, ses pattes s’enfoncent dans la chair douce de mon pull, oui, alors Eurydice bave un maximum, elle dégouline et je ne parviens jamais à découvrir si l’eau lui sourd de la bouche ou du nez qu’elle a si joli, oui, tout le museau est humide, elle ronronne et suinte comme les murs d’une maison de pêcheur, quand je me mets à écrire pour JDD, à la manière de l’ami Perec, mon « je me souviens » à moi, quelques souvenirs que j’ai rangés dans ma tête au fil du temps, depuis le temps que je connais JDD…

Je me souviens de sa voix. Cela me frappe à l’instant, mais cherchant une image de JDD dans ma mémoire, c’est d’abord la voix qui s’impose. Une voix claire et nette. C’est aussi cette voix que j’entends lorsque je le lis.

Je me souviens de JDD attendant ses amis à la sortie d’une de ses pièces, souriant, confiant, heureux comme un enfant.

Je me souviens de JDD lors d’une Foire du livre au Québec, une année où je me sentais malmenée dans ma vie privée et dans ma vie d’écrivain. J’avais l’impression que personne ne s’occupait de moi. Mes livres n’étaient pas arrivés à temps pour l’exposition. Au sein de la délégation belge, les autres s’amusaient et moi, j’étais triste. En outre, j’ignorais qui réglerait les frais de mon voyage (la communauté française ? l’éditeur ? moi ?), ce point était laissé dans un flou qui me tourmentait. Je me souviens que c’est JDD qui s’est occupé du problème, mine de rien, il a posé la question que je n’osais pas poser au responsable : « Pour Françoise, qui prend les frais en charge ? » Il a obtenu la réponse qu’il attendait : « L’éditeur ».

Je me souviens d’une soirée entre amis au cours de laquelle JDD fut pris à partie par un metteur en scène qui lui reprochait sa générosité. Alors, il s’est mis à crier, JDD, à crier, à crier, il est devenu tout rouge. Il criait sa fatigue devant le scepticisme, l’avarice, le mépris systématique de ce qui se fait en Belgique. Il criait et il avait raison de crier comme ça. Je me souviens que ce soir-là, j’ai pensé à son cœur, j’ai eu peur qu’il ne lui arrive quelque chose, car on peut se fracturer d’indignation.

Je me souviens d’une photo de JDD où il offre un regard incroyablement dur. Je me suis demandé quelle inquiétude ou blessure secrète le photographe avait captée chez cet homme toujours si discret.

Je me souviens, je me souviens…

Soudain je me rappelle que Claudia et Eurydice ne se connaissent pas encore. Faudra réparer ça !

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