Bien sûr, nous n’aimons pas les clichés, les préjugés, les lieux communs, donc, les Fia les Fia les Flamands, je sais qu’ils ne sont pas tous des bulldozers comme l’ancien Premier Ministre ou des vilains maigrelets sympas comme Factuel Premier Ministre, je sais qu’ils ne sont pas tous comme le type rougeaud assis à côté de moi dans cette église de Bruges où j’écoute avec autant d’ennui que lui la musique de la contre-Réforme, (sa tête qui tombe dès les premières vocalises du ténor, et sa femme qui lui jettera des regards courroucés pendant tout le concert), il a de petits cheveux Filasses, pas tout à fait propres, bien sûr que je sais cela, je le sais parce que j’ai beaucoup d’amis flamands qui ne sont ni des bulldozers, ni des vilains maigrelets, ni des rougeauds, mais quand je dis cela, que j’ai beaucoup d’amis flamands, je pense immédiatement à la blague juive, celle du type qui assure qu’il n’est pas antisémite, la preuve, il a même un ami juif ! non, ce que je veux dire c’est que ce n’est pas si simple, les Flamands et nous, d’abord parce que j’ai beaucoup de points communs avec eux, c’est vrai, les Ardennais et les Flamands se ressemblent, caractères bien trempés, économie de la parole, solides au travail, goût pour une nourriture rustique, mais aussi parce qu’eux et moi, on est différents, dès lors les clichés, les préjugés, on en trouve au Nord comme au Sud, exemple, dès l’enfance je n’ai pas aimé les Flamands parce qu’ils étaient mal vus dans ma famille, comme ça, en vrac, pour la raison que, pendant la guerre, les Allemands ont été plus gentils avec eux qu’avec les Wallons, et de rire à la scène maintes fois racontée où mon père, prisonnier des Allemands, avait constaté que ces derniers divisaient leurs prisonniers en deux colonnes, une de Flamands, une de francophones, et qu’il a réussi, lui avec son accent français, à se faire passer pour un Flamand, ja, nee, zeker, et hop ! le voilà libéré, et moi, plus tard au Lycée, parce que je suis sensible au physique des gens, je serai nulle en néerlandais, je serai première en mathématique, en physique et en français, mais je serai nulle en chimie (la professeur enfilait des pantoufles rouges dès qu’elle était dans le labo, et ses pantoufles faisaient krwîîîk, krwîîîk pendant toute l’heure) et en néerlandais (la professeur, ronde, rouge, avec des cheveux jaunes, des doigts boudinés et des ongles laqués rouge vif), c’était trop pour moi, alors, c’était ça, la Flandre ? Une grosse dame rouge et jaune ? c’était plus que je ne pouvais en supporter, donc blocage, résultat, aujourd’hui, je comprends le néerlandais, mais je n’ose pas le parler avec mes amis du Nord, c’est la honte, ma présence les contraint à parler français, oh la ! la ! que c’est gênant, « con de Wallon » que je leur dis pour m’excuser, pour les faire rire, et ils rigolent de ma capacité d’autodérision, la jugeant plutôt sympathique, ils me trouvent des excuses, ou ils m’aiment comme je suis, j’apprécie vous pensez, ce n’est pas si souvent qu’on m’aime telle que je suis, mais eux, mes amis flamands, ils me prennent telle quelle, parmi eux, sur mon lieu de travail, j’ai un collègue du Nord avec qui je parle volontiers de littérature flamande, on échange des informations, ce qui crée une amitié et une complicité comme seuls les livres peuvent en créer entre deux personnes, par exemple tous les deux, nous aimons beaucoup Mulisch, aïe, Mulisch n’est pas flamand, aïe, voilà que débarque un Hollandais, or, on sait qu’entre les Flamands et les Hollandais, il existe une histoire d’amour à données variables, exactement comme nous avec les Français, ah, ce n’est vraiment pas simple avec les Flamands, on dérape si facilement quand on parle d’eux, autre exemple, Cees Noteboom, comment faut-il prononcer le c de son prénom ? c comme dans kaas, ou c comme dans l’expression wallonne « tu l’avais dit, sees », et puis Noteboom, il est hollandais lui aussi, et puis, et puis, j’écris ceci non en Flandre, mais en Hollande, à Waterlandkerkje, à « la petite église du pays de l’eau », vous voyez que je peux traduire, ah les Fia les Fia les Flamands, eux aussi, ils ont des préjugés comiques au sujet des Wa des Wa des Wallons, c’est mon collègue du Nord qui m’a raconté, il avait invité à Bruxelles des amis campinois, et ceux-ci n’en revenaient pas de ne pas être agressés par les Bruxellois quand ils se promenaient en ville, stupéfaits de pouvoir emprunter les trottoirs sans être mordus en tant que Flamands, évidemment, j’ai répondu à Michel qu’il aurait dû leur faire croire que les Fia à Bruxelles ne pouvaient marcher que Anns les rigoles, histoire de voir s’ils allaient gober cela, enfin, ce n’est vraiment pas simple, les Fia et les Wa, et nous les Bru, en prime !, en tout cas, je ne sais qu’une seule chose, autant les flamingants m’exaspèrent, autant je grince devant les crânes rasés et tatoués d’un certain café à Bruges, autant ceux qui attaquent systématiquement les Flamands me crispent. Bêtises, des deux côtés, bêtises. Ga maar voort !