L’orage couvait depuis quelques jours, on sentait flotter dans l’air une moiteur particulière, les gens avaient trop chaud.

Ils s’agglutinaient aux terrasses, curieusement immobiles, prostrés, n’ayant plus la force, semblait-il, de tenir une conversation.

Cela faisait plusieurs jours que Marie-Ange n’était plus sortie de chez elle, elle n’en avait pas envie, il fallait attendre que le temps redevienne bon, on pourrait alors songer à prendre l’air.

D’ici là les gens restaient enfermés, ça valait mieux, même les pigeons du quartier languissaient, on les retrouvait au matin, morts d’épuisement, Marie-Ange en avait découvert trois ce matin sur le balcon, raides.

Les carpes des étangs elles aussi se ramassaient par grappes, et les canards c’était la même chose, les animaux se mouraient et les humains se traînaient comme si leur fin était proche.

Marie-Ange avait l’habitude d’écouter les nouvelles à la radio, ce matin-là aucune émission n’était programmée, seulement un appel : il disait aux gens de rentrer chez eux, de se calfeutrer.

Elle pensa alors que la situation était grave, bien plus grave qu’on ne l’avait laissé entendre ces derniers jours.

Se rappelant alors les récits de ses grands-mères au sujet de la dernière guerre, elle se résolut à faire quelques provisions.

Elle descendit le plus vite qu’elle pouvait les quelques volées d’escalier et voulut entrer à l’épicerie la plus proche, le magasin de Monsieur Ahmed.

Le magasin était fermé, Monsieur Ahmed avait punaisé un papier à la devanture :

Chers clients, nous sommes fermés.

Sans autre explication.

Alors qu’elle hésitait à s’engager dans la rue un violent bruit de sirène se déclencha.

Nous demandons à la population de rentrer chez elle, c’est un ordre de police.

Effrayée Marie-Ange fit demi-tour et regrimpa à toute allure les escaliers.

Son premier geste en rentrant dans l’appartement fut d’ouvrir la radio.

Le même message passait en boucle, tous les autres programmes étaient interrompus.

Impossible d’en savoir plus.

Elle risqua alors un œil sur le palier.

Ses voisins immédiats, un couple de Péruviens, avaient disparu, c’est vrai que ça faisait quelques jours qu’elle ne les entendait plus se disputer, des éclats fréquents, elle en avait l’habitude, cela faisait de la vie dans la maison, Ce bruit lui manquait maintenant, elle avait fini par s’y habituer.

Elle descendit alors un étage, une porte était condamnée, le silence régnait partout.

Elle sonna à l’autre et entendit un bruit furtif quelqu’un venait lui ouvrir

On ouvrait difficilement le loquet, une silhouette craintive s’encadrait dans l’entrée, la femme, car c’était une femme que Marie-Ange n’avait jamais vue, lui demanda à toute vitesse qui elle était et lui dit qu’il ne fallait pas parler longtemps car les conversations étaient surveillées et interdites.

Mais interdites par qui ? lui demanda Marie-Ange, pour toute réponse la porte claqua et Marie-Ange se retrouva à nouveau seule sur le palier.

Il n’y avait décidément aucune réponse à attendre de personne.

Dehors l’orage faisait rage.

Un éclair déchira le ciel et on en avait mal à la poitrine.

Une pluie torrentielle s’abattait sans relâche, un chien hurlait à la mort dans le lointain, çà et là le son lugubre des hurlements de sirène ajoutait sa note de terreur.

Un sentiment de désolation et d’impuissance s’empara de Marie-Ange, elle se laissa tomber dans le divan après avoir refermé les portes de son appartement.

Elle ferma les yeux.

On l’a retrouvée morte le lendemain matin.

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