L’orage couvait depuis quelques jours, on sentait flotter dans l’air une moiteur particulière, les gens avaient trop chaud.

Ils s’agglutinaient aux terrasses, curieusement immobiles, prostrés, n’ayant plus la force, semblait-il, de tenir une conversation.

Cela faisait plusieurs jours que Marie-Ange n’était plus sortie de chez elle, elle n’en avait pas envie, il fallait attendre que le temps redevienne bon, on pourrait alors songer à prendre l’air. Lire la suite


Elle m’énerve elle m’énerve celle-là.

On n’entend plus qu’elle y en a plus que pour elle à la radio à la télé partout elle est présente avec ses cris ses appels elle me rappelle sa mère du temps de l’Eurovision.

Qu’est-ce que j’ai pu en avaler de ses grimaces. Lire la suite


Marcinelle 1956. Curieux jardin d’enfants, les murs de ma classe de maternelle ne présentent plus des oisillons de couleurs, partis les pommiers roses, les visages noircis et épuisés des mineurs du Bois du Cazier, qui recherchent leurs frères dans les souterrains de la mort, visages noircis et hagards, punaisés à la diable, ont remplacé les canards et les fleurs et resteront à jamais dans les mémoires des enfants que nous étions.

Plus tard, le 9 août 1982, une fusillade éclate au restaurant Jo Goldenberg, rue des Rosiers à Paris, on déplore de nombreuses victimes, j’y déjeunais la veille… Paris n’aura plus jamais la même couleur. Lire la suite


Comme chaque dimanche ils ont pris leur lunch debout, dos à dos dans la grande cuisine.

Après, Dick est sorti s’installer au volant de sa 4X4, un verre de vin rouge entre les mains, comme il fait toujours, pour réfléchir à l’aise, immobile, à regarder les culbutes des écureuils.

Pendant ce temps, Jessie en profite pour passer le coup de fil hebdomadaire aux enfants qui étudient à Washington. Lire la suite


Il pleuvait comme il peut pleuvoir en Belgique. Une bruine entêtée, grise, glacée. Un vrai temps de cimetière. L’enterrement d’une vieille dame. Ne me demandez pas son nom. Je l’ai oublié. Car curieusement, tous les gens qui suivaient le corbillard ce matin-là volèrent la vedette à la défunte. Ils s’avançaient à pas lents, en file indienne, formaient un long défilé de têtes connues. Sans doute des parents ou des amis de la morte. Je devais bien la connaître moi aussi, étrange que même à l’heure actuelle, je ne parvienne pas à me souvenir de son identité. Par contre, je revois clairement ceux qui étaient présents ce jour-là. Je doute cependant de les avoir fréquentés intimement, pourtant certains me semblaient faire partie de mes proches amis et, c’est bizarre, je ne me souvenais pas de les avoir jamais invités chez moi.

Il y a des gens comme ça que l’on ne croise que dans les cortèges. Mariages ou enterrements, c’est selon. Des liens parfois se créent. Tiens, mais c’est Untel. Nous nous sommes rencontrés la semaine dernière au mariage des Bazar. À moins que ce ne soit aux funérailles de Chose. Tous les cortèges se ressemblent. Sévères au départ. Festifs à l’arrivée. Autour des mariés et des morts, les invités trinquent et plaisantent. Au fond, on enterre toujours quelque chose : un être cher, une vie différente, une illusion… Lire la suite


Maria ne va jamais à la mer. Pourtant c’est pas loin. Dix minutes de bagnole à tout casser. Mais ici les gens se déplacent à vélo. Des gros machins noirs, lourds, encombrants, mais fiables je dis pas. C’est pas comme nous, les Bruxellois en vacances. On quitte rarement les bagnoles. Même pour aller chercher le pain à Bulskamp. Tout juste si on utilise nos pieds pour se balader parfois le long du canal. C’est ce qu’ils doivent dire de nous, les Flamands du Zwaantje. Pour autant qu’ils parlent, parce que dans le genre taiseux on fait pas mieux. Le Zwaantje c’est le canal, en forme de cou de cygne, noir et plein d’anguilles, c’est là, dans la ferme en face, que Maria est née. C’est là aussi que mon père loue une maison de pêcheurs où je m’ennuie chaque été. Maria, je la vois le matin quand je vais chercher le lait à la ferme. Elle me le verse tout tiède dans un bidon de fer, on dirait une bouillotte, je le serre contre moi et elle empoche l’argent, tout ça sans un mot. Elle doit avoir à peu près mon âge, quelque chose comme dix-sept ans. J’ai bien essayé de lui dire deux mots au début. Rien à faire, j’ai l’impression de l’embêter, elle ne répond à rien. Pourtant elle comprend le français, comme tous ici, mais elle fait semblant qu’elle ne sait pas, pour que je la laisse tranquille je ne sais pas, elle est hyper timide. « Vous n’allez jamais à la mer, je lui dis, pourtant ce n’est pas loin. » Elle hausse les épaules. Limite impolie. Rien de mes copines. Pas vilaine pourtant. Blonde. Tiens, elle me rappelle une peinture, de Memling je crois. Un dimanche, à Bulskamp, je l’ai vue. Incroyable. Tout autre. Dans une procession. La Sainte Vierge, c’était elle. Avec la robe bleue et tout. Depuis l’église elle paradait, plus fière que ça, tu meurs, et autour d’elle, vous auriez vu, des troupeaux d’anges et des curés. Et puis ces gamins qui lui lançaient des pétales de rose. Dingue. Lire la suite