La poubelle accepte tout, au contraire de l’homme. Qui pratique le tri sélectif, y compris dans les miracles de la vie. On ne s’étonnera pas que l’homme soit si seul et si vide. C’est la revanche de la poubelle de ne l’être jamais. Un rien la comble, tout la déride.
Un mégot, un programme télé : à lui seul, ce conclave libère une fumée vaticane.
C’est un moment intime, à l’abri des regards, et d’une portée si mystérieusement commune qu’on dirait de la religion.
L’énigme du jour, c’est le mouchoir en papier abandonné par une amoureuse aux ongles carmin. Suivi d’une boîte ayant contenu des pastilles pour garder l’haleine blanche et l’esprit sain. Sans doute un fumeur de cigares que le risque de l’infarctus poussait vers une table de prince, d’évêque ou de jury littéraire.
La poubelle, il est vrai, rassemble toutes les histoires dans sa corbeille de fer. C’est une grille des programmes en désordre, où tout semble dépassé, déjà. On y fouille surtout dans le feuilleton de genre. Le boudin et la compote font dans l’érotisme de trottoir. La canette et la clé anglaise pratiquent l’énigme policière. La seringue et l’élastique ont choisi le roman médical. Le bâton de glace et la petite culotte frayent avec le roman rose. Le bâton et la carotte préfèrent à tous ces errements médiatiques l’odeur de sainteté.
Quant à la lettre d’amour, froissée avant d’être lue, la voici tout imbibée de sauce tartare et de ces dialogues qu’on n’entend que dans les feuilletons télé.
Tout à une fin, et la poubelle est là pour le rappeler à nos distractions cathodiques.
Regarder dans une poubelle, c’est regarder à la suite de l’homme.
La télévision est une boîte qui s’aplatit au fil du progrès tant elle est creuse.
La poubelle n’existe pas davantage, mais elle donne à penser, sur l’humanité et la création. En raison des mouches et des asticots qui la peuplent, qui s’y gavent, qui s’en écoulent. Mais aussi parce qu’il y a plus de surprises dans sa corbeille que sur une chaîne commerciale.
Pourquoi cette pelure de patate enlace-t-elle une boîte de cassoulet ? Et que penser de cette huître fécondée par un sachet de camomille ? Quelle pose prendre devant ce tabouret surmonté d’une roue de bicyclette ? La poubelle aime les questions sans réponses à l’inverse du présentateur de variétés. Elle connaît la vanité des choses et le sort de la chair. Car l’ordure finit dans un enfer de flammes ou recyclée en canette de bière, tandis que la télévision fait croire à la réincarnation en rediffusant des séries, l’été, quand il fait beau et que le ciel s’élargit jusqu’à la Méditerranée.
Quinze jours pour se désenchaîner, en maillot, sur la plage.
Et pratiquer la balade avec vues, le coït à l’anisette, le stage de poterie. Sans rien que la peau sur les os, et l’air qui tremble comme une jeune fille qui va embrasser.
Au lieu de cette bise, de cette haleine dans les bronches, le téléspectateur reste en cage, lapin crispé dans un halo blême où flambent un autocar éventré sur l’autoroute et la garrigue survolée par des avions canari et l’amour dans une série si paresseusement américaine qu’on va terminer dans le coma.
La poubelle se gorge ; le monitoring bat la mesure du temps qui passe.
C’est une stratégie de serpent de mer que d’hypnotiser sa proie, de la bercer d’illusions, puis de l’étouffer dans les tentacules des jeux et de la publicité.
La télévision est un goutte-à-goutte à télécommande.
Ce qui remue, c’est l’index.
Et l’œil gauche qui attend le tirage du Lotto.