Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota
lève la queue et saute en bas…
Je suis en retard, je suis en retard.
Une poule sur un mur…
Vais encore me faire gronder.
Une poule sur un mur…
Concentre-toi, regarde juste tes pieds, avance plus vite.
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur…
Pourquoi cette poule fait toujours la même chose ? On recommence la chanson et elle fait toujours la même chose : elle picore. En plus, elle picore toujours la même chose : du pain dur.
C’est pas bien… c’est pas bien pour elle… manger toujours la même chose… une accumulation des mêmes substances, ça peut devenir toxique… ça peut engorger les tissus… ça peut provoquer des douleurs… des crampes abdominales qui lui font croire qu’elle a encore faim… alors, elle continue à picorer.
Concentre-toi, ne te laisse pas distraire, ce que tu dois faire, c’est avancer, plus vite, ne pas être en retard… comme hier, avant-hier… et trois autres jours la semaine passée… et 47 jours lors du premier trimestre, avec une moyenne de trois minutes seize de retard quotidien, ça fait… 164 minutes 32 secondes… 2h7386666666667…
Arrête ! Ne te laisse pas distraire, avance !
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota…
Que du pain tous les jours ! Et il vient d’où, ce pain ? Il est frais, sec ou moisi ? L’accumulation de substances toxiques dans l’organisme induit aussi des troubles mentaux… comme la dépression ou l’instabilité émotionnelle… ce qui accroît le besoin de se raccrocher à une action répétitive, rassurante…
Picoti picota…
C’est bien la preuve : répétition, incohérence… certaines affections chroniques entraînent la prolifération d’agents pathogènes… alors, le système immunitaire est activé en permanence, provoquant une humeur déprimée.
À picorer sans cesse, cette poule va grossir, immanquablement… or les obèses font bien plus de dépressions que les autres… 25 % en moyenne… 14 % pour les autres… c’est beaucoup même pour les autres, mais bon. Ce sont les cytokines, produites par le tissu adipeux, qui affectent le système nerveux.
Stop ! Tu recommences. Tu perds ta moyenne ! Ne pense plus à rien et cours maintenant !
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur…
Oh ! Le feu du passage pour piétons est encore en panne ! Si on installait un groupe électrogène mobile ça n’arriverait plus… avec des panneaux solaires et une éolienne, on aurait toujours de l’électricité… même ici…
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur…
En fait… le pain, c’est pas mauvais… tout dépend avec quoi il est fait. S’il y a de l’orge ou du seigle, c’est pas mal… alors il contient des prébiotiques qui contribuent à la prolifération des probiotiques dans l’appareil digestif… les probiotiques, c’est drôlement important, ce sont de bonnes bactéries, naturellement présentes dans notre appareil digestif… surtout dans le côlon… il y a cent milliards de bactéries dans notre intestin… les bonnes peuvent contrôler certaines pathologies… il faut s’intéresser aux oligosaccharides… on ne le fait pas assez ! J’ai essayé d’en parler à maman, elle m’a dit : « On voit bien que c’est pas toi qui fais les courses ! »
Une poule sur un mur…
Allez ! S’il n’y a pas trop de monde au carrefour et que j’arrive à traverser sans m’arrêter, je vais pouvoir rattraper mon retard… une minute et vingt-trois secondes de moins qu’hier, c’est jouable.
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota…
Et si on rapprochait les cent milliards de bactéries, contenues dans l’intestin, des cent milliards de galaxies qui ne constituent pourtant que 4 % de la masse globale de l’univers, ça nous mènerait où ? À penser que notre univers n’est qu’un élément d’un système digestif bien plus grand…
Ha ha… trop drôle !
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur…
La structure profonde de la matière visible est décrite par la physique des particules… et pourtant, personne ne comprend comment les particules subatomiques acquièrent leur masse… or, sans masse, chaque particule voyagerait seule, dans un coin de l’univers, à la vitesse de la lumière et ne se constituerait jamais en atome… les atomes ne formeraient jamais de galaxies, d’étoiles ou de planètes… aucune vie possible… pas de poule. Ni de mur. Ni de pain.
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota…
Ou alors… un champ magnétique invisible permettrait à certaines particules d’évoluer et en freinerait d’autres… car elles acquerraient plus de masse… ce champ serait constitué de particules particulières…
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota
Et l’antimatière ? Elle se cache où ? Lors du Big Bang, elle a été créée en même quantité que la matière… elle est où, maintenant ? Et le reste… la matière noire, l’énergie noire… on n’en sait presque rien…
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota
lève la queue…
Est-ce que ça lève la queue, une poule ? À moins que ça soit une chimère ! On a bien réussi à mélanger dans l’œuf des cellules de caille et des cellules de poulet… et si c’était le cas… ça perturberait son comportement… alors, cette poule chimérique picorerait sans arrêt puis lèverait la queue…
Une poule sur un mur…
Après tout, elle est née dans un œuf ! À l’heure actuelle, l’utérus artificiel n’est pas une utopie… mais ça en pose des questions sur le plan de l’éthique ! L’embryon peut se développer sans tare physique dans une machine, mais ce mode de gestation artificiel entraînerait sans doute des risques psychiques.
Alors… quid de l’œuf ? Cette poule, comme toutes les autres, a peut-être souffert d’un manque de contacts maternels… ce qui expliquerait son comportement psychotique.
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota
lève la queue et saute en bas…
Par exemple l’acrophobie… la peur du vide… peut-être cette poule est-elle dépourvue d’amygdales… vivre sans amygdales, structures cérébrales bilatérales, annule cette crainte !
Chez les acrophobes, les régions cérébrales d’alerte sont sollicitées en permanence… la plupart présentent des perturbations du système vestibulaire, une déficience de l’oreille interne… leur hypersensibilité face au vide peut résulter de la prise de conscience de leur propre vulnérabilité… ils s’imaginent en permanence être en train de tomber… ce qui peut amener à la paralysie… ou au contraire provoquer la chute.
Une poule…
Zut ! Il y a un policier au carrefour. Il va m’empêcher de passer entre les voitures et me dire que ce n’est pas prudent de me promener toute seule. Je regarde mes pieds… si je ne le vois pas, il ne me voit pas… il me laissera peut-être passer…
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota
lève la queue et saute en bas
Une poule…
Et si cette poule souffrait d’un manque d’œstrogènes qu’elle croyait combler en mangeant ?
Et d’abord pourquoi une poule et pas un coq ?
Un coq agirait-il avec plus d’intelligence ?
Beaucoup le croient encore et rechignent à confier aux femmes des postes à responsabilité… malgré la charte de l’égalité, signée en 2004… faut dire qu’en 1832, le viol était reconnu comme crime, mais de façon restrictive : on considérait alors que le père ou le mari étaient lésés… ce n’est que depuis 1946 que les femmes ont le droit de voter… que depuis 1966 qu’elles peuvent travailler sans l’autorisation de leur mari… que depuis 1972 qu’elles peuvent entrer à l’école Polytechnique… Alors, quand on est une fille, ici, faut se tenir à carreau… peut-être que cette poule, par crainte des représailles, a choisi de rester dans le moule… de ne pas faire de vagues…
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota
lève la queue et saute en bas…
Ça y est, j’y suis presque… je me ferai pas gronder aujourd’hui… papa sera content… faut que je réussisse, pas comme l’année passée… y m’avaient rendu ma copie… disaient qu’ils n’y comprenaient rien, que j’avais dû recopier ça quelque part… faut faire attention… pas trop en dire… juste assez… maman sera contente aussi… avec cette histoire de crise… la baisse de l’euro, la dette publique grecque, bientôt le Portugal, l’Espagne, l’Italie… depuis 2007, la crise financière qui a frappé l’Amérique et tout le système financier international… enfin bref, avec tout ça, maman aimerait bien que je puisse trouver un travail… plus tard… caissière ou quoi… c’est pas évident ici… alors, je fais comme la poule… je ne fais pas trop de vagues.
— Ah bravo ! Presque à l’heure aujourd’hui, ma petite ! Rejoins vite les autres et mets-toi dans le rang.
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota
lève la queue et saute en bas…
— Arrête de chanter ces comptines ridicules ou je devrai encore te mettre en retenue à la récréation !
— Oui, Madame.
Pourtant, elle devrait savoir que les chansons, même les plus bêtes, sont d’une grande importance dans l’existence… un thème musical peut influencer autant qu’un thème astral… c’est le cortex auditif qui emmagasine l’information… le mécanisme de l’obsession fait le reste… en tant qu’institutrice, elle ne devrait pas oublier la dimension psychanalytique : dans le ventre maternel, la voix du père établit la ligne de basse, les pulsations cardiaques de la mère donnent le rythme… on a tous notre mélodie première…
Moi, pour pas faire de vagues, pour pas me laisser distraire par toutes ces idées bizarres qui me passent par la tête, faut bien que je me raccroche à quelque chose… faut que je canalise…
Une poule sur un mur
qui picore du pain dur
picoti picota
lève la queue et saute en bas…