Syd bouge.

Sa tête penche mollement sur son cou, un filet de bave coule, relie sa lèvre inférieure à son t-shirt, forme une tache gluante ; il essaie d’ouvrir les yeux – il y a de la frayeur, une touche d’incompréhension et un vague soupçon – il est encore un peu dans les vapes (on y a peut-être été un peu fort avec le Lexomil) mais il commence à émerger il gémit tente de dire quelque chose je lui noue un foulard autour de la tête le coince entre ses dents serre serre serre. Il résiste.

Ça le réveille.

Il proteste dit quelque chose mais ne peut articuler – c’est juste ridicule.

Je sue abondamment. Mon front mes tempes mains le bas du dos suintent dégoulinent. J’ai en revanche la gorge sèche, la bouche craquelée les nerfs au bord de la rupture la tête qui siffle. Je vais dans la cuisine. Il y règne un désordre invraisemblable. Des mouchettes s’agglutinent autour des verres de vin, des assiettes trempent dans une eau saumâtre nauséabonde. J’ouvre le robinet d’eau chaude à fond, passe les verres dans le jet brûlant frotte avec un peu de savon, les insectes s’affolent se dispersent se posent sur la porte d’une des armoires, je les pulvérise avec un torchon sale. Je sors la bouteille du congélateur, retourne dans le salon.

Je me rassieds remplis les verres.

Elise boit d’un trait celui que je lui tends.

Elle fait une grimace, parle.

C’est fort.

Ouais.

C’est fort.

Je fais pareil : un coup la tête en arrière et le liquide m’arrache la moitié de la gorge j’en ai les larmes aux yeux je ris. Ça fait du bien, un bien fou. Elle allume une cigarette – une épaisse bouffée s’échappe, monte en volutes poudroie dans la lumière se confond avec l’air ambiant – puis me la passe je tire dessus je la fume jusqu’au bout et l’écrase dans le cendrier.

Max et Tim sont dans la pièce à côté font du bruit causent de je ne sais pas quoi ça m’énerve.

Je me reverse un verre le bois regarde Elise Je sens une tension entre son corps et le mien.

On se fixe.

On se jauge.

On se sourit.

L’autre con essaye de dire quelque chose.

Mais on ne comprend rien.

Que dalle.

Je rigole parle.

Tu l’as pas volé.

Tu l’as pas volé, connard.

Je rigole.

Ça ne signifie rien, mais ça me semble juste de lui dire ça maintenant. Maintenant qu’il est trop tard, pour lui.

Je reremplis les verres et j’appelle les autres.

On a un truc à faire, c’est pas le moment de batifoler.

C’est bon on arrive.

Deux minutes quoi.

Il faut agir.

Ils se pointent ils sont déjà un peu ivres. Max a l’air défoncé. Ils m’agacent tous les deux. Leur complicité de merde. Et leurs disputes.

Il faut qu’on soit ensemble.

Ils s’assoient en face d’Elise et moi, l’un contre l’autre, se touchent.

Faut se décider se lancer je sens un désir une pulsion une boule de violence m’envahir elle me fout les tripes à l’envers ça monte monte monte je me lève. Ça ne s’arrêtera pas avant que tout ne soit accompli, je le sens, je le sais. Je reverse de la vodka dans tous les verres, j’en fous un peu à côté, sur la table, juste un peu sur le bouquin de Tim.

Merde, tu sais pas faire gaffe ?

Je le toise.

T’as qu’à pas le laisser traîner.

Puis c’est quoi cette merde ?

Et où veux-tu que je le foute ? Si je peux pas le laisser ici, dans le salon, je fais quoi ?

OK, ça va j’ai rien dit.

J’ai envie de lui dire de se le mettre bien profond et de ne pas me casser la tête avec ses conneries, mais je la boucle, j’ajoute je dis répète OK, désolé, je suis un peu tendu.

Il parle.

Pas de souci, mec, fais juste gaffe à mes affaires.

L’enculé.

L’enculé.

L’enculé.

Il faut qu’on soit ensemble sur le coup.

Max se lève titube légèrement s’avance près de la chaise sur laquelle est solidement attaché Syd qui essaie vainement de s’agiter mais j’ai trop bien fait ça, j’ai serré serré serré jusqu’à ce que la corde pénètre bien la chair des poignets des chevilles des cuisses du torse ; il est juste vêtu d’un short et d’un t-shirt gris ; en dessous de lui j’ai étendu une bâche de 20 m2 – on a de la marge.

Max le toise lui passe son verre sous le nez boit et parle.

Plus jamais t’en aura, mon vieux.

Tu croyais quoi ?

Que tu pouvais indéfiniment profiter ?

Nous pourrir la vie avec ton caractère de merde ?

Syd regarde Elise avec un air de supplique tente de la railler il sait parfaitement que sa seule et unique chance d’arrêter est entre ses mains mais elle se détourne ne dit rien me regarde, je lui souris me retourne fais un petit signe de la tête : Max lui colle sa main dans la tronche, ça claque.

Il beugle.

Ça commence.

Je me penche vers Elise lui touche légèrement le bras. Je sais qu’elle est habitée par la même pulsion. La même haine. La même colère. La même rage. Je le vois dans le bleu infini de ses yeux.

Vas-y.

Je lui dis vas-y.

Frappe.

Et je lui glisse une cigarette dans la main. Elle se lève à son tour. Syd s’agite beugle de plus. Tim dit qu’un porc ne fait pas autant de simagrées. Max balance son pied dans le bide de cet enculé. Il y met tout son poids. La chaise se reverse, la tête cogne s’écrase sur le plancher. Syd est complètement sonné Max relève la chaise le corps, je l’aide. Ce type est fou. Ça me paraît clair. Mais je sais comment le gérer.

Elise se lève à son tour, Max attrape les cheveux de Syd lui penche la tête en arrière, en lui saisissant le menton.

Il pleure, ce con.

Des litres et des litres de larmes s’échappent coulent.

Coulent sans discontinuer.

Max parle.

Tu vas déguster.

Tu n’es qu’un parasite.

Un parasite, t’entends ?

Et les parasites on les écrase.

On leur explose la tronche.

Et c’est pile au moment où il dit ça qu’Elise s’approche du corps de Syd, écrase le bout incandescent de sa dope dans l’œil qui la regarde avec tant d’insistance et qu’elle ne semble plus pouvoir supporter. Syd se met à hurler s’agiter dans tous les sens se tordre comme un ver. Je vois que Tim n’est pas à l’aise. Je lui dis de boire un coup et de me suivre. Je sors la caisse à outils, je donne des marteaux, une clé à molette, je prends un pied de biche. Max est allé chercher un couteau de boucherie. Après tout c’est son boulot, découper de la viande, je vais pas le contrarier, j’ai pas envie de me prendre accidentellement quinze centimètres de lame dans l’estomac.

Souillure.

Je frappe le premier tenant l’objet à deux mains comme une batte de base-ball mais en plus lourd en plus dur en plus destructeur. J’atteins pile le crâne, qui explose sous le coup.

Des morceaux du crâne volent dans toute la pièce.

Syd a un trou dans la tête, un trou.

Et ça nous galvanise.

Je la sens qui me ronge.

La haine.

La colère.

La colère et la haine.

Puissantes.

Comme des balles.

Elles traversent tout.

Une pulsion primale profonde expiatoire.

Max, Tim et Elise balancent tout ce qu’ils peuvent sur le corps déjà inerte. Max lui enfonce son couteau partout dans le corps en gueulant, tu le sens là, hein, fils de pute, et il rigole de manière hystérique. Les deux autres ont jeté leur outil et lui envoient des coups de pied dans les bras les jambes, ce qui reste de la tête.

Ils frappent.

Frappent. Et frappent encore.

La chaise est foutue, de la chair souillée pend çà et là.

Au bout de deux minutes, il ne reste plus rien le corps de Syd n’est plus qu’amas sanguinolent ; la bâche est entièrement couverte par des bouts de peau de cervelle des morceaux d’os.

On s’assied tous les quatre, essoufflés, la tête en feu.

Je vide la bouteille dans les verres.

On boit.

Elise parle.

C’est fait, on l’a fait.

Ouais.

Maintenant, il faut le faire disparaître.

Ne pas laisser de trace.

Tim et Max s’en vont.

Elise et moi emballons prenons emmenons le corps dans la salle de bains, en essayant d’en foutre le moins possible par terre. On le balance dans la baignoire. On se regarde. On l’a fait. On se regarde. Elle s’avance ma respiration s’accélère elle me saute dessus sa bouche sur la mienne mes mains fouillent sous sa robe j’ôte ce qui pourrait faire obstacle et je la pénètre en regardant la bouillie sanglante qui gît dans la baignoire.

On l’a fait.

Il va falloir découper le tout.

C’est le boulot de Max.

Puis aller enterrer les morceaux.

Signaler sa disparition.

Et après tout ira mieux.

Tout sera comme avant.

Sauf que désormais Elise est à moi.

À moi, et plus à cet enfoiré de Syd.

Partager