La révolte des poissons

Kenan Görgün,

Je suis révolté. Que je sois un poisson n’excuse en rien le traitement qu’on me fait subir. Ah… Je sens que je vais m’emballer.

Laissez-moi reprendre depuis le début.

Je suis révolté. Que je sois un poisson n’excuse en rien

Bref : mon statut actuel de poisson (je dis « actuel » car j’ai la particularité de croire en la réincarnation), ma qualité rare de réincarné poissonique donc, ne justifiait pas cette rudesse. Alors que j’éprouve encore la morsure de l’hameçon dans ma chair, je revis, dans toute leur cruauté, les instants au cours desquels je fus arraché aux flots de la Marmara, au pied des contreforts du pont de Galata, en la glorieuse cité d’Istanbul.

J’ai de ma situation une vision périphérique assez claire pour savoir comment mener les manœuvres de rébellion que j’ai l’intention d’initier dans l’espoir de mettre un terme définitif aux abus de certains êtres humains qui nous dominent de leur méprisante hauteur – j’emprunte cette dernière formulation au discours que fit un vaillant syndicaliste du temps jadis (sa race s’est éteinte depuis, un peu à l’image de certains d’entre nous) pour qualifier l’attitude détestable d’un groupe d’homme d’affaires responsables d’une restructuration qui laissa des centaines de milliers de travailleurs sur le carreau (bon, peut-être pas autant d’un coup mais sûrement pas loin). D’ailleurs, parmi les hommes piteux qui nous pêchaient, mes semblables et moi, pour se confectionner une pitance à peu de frais, j’ai reconnu certains de ces chômeurs, ces chevaliers à la triste figure luttant contre les moulins à vent de la pauvreté. Car ici la pauvreté est une bête astucieuse, une brume qui assombrit la Corne d’Or, impossible à circoncire, elle s’agrippe à vos organes pourrissants telle une infection juste comme votre assurance maladie n’a pas été renouvelée !

Pardon. Je frétille un peu trop vite, je le vois bien. Calme-toi donc un peu.

Je sens que je suis sur le point de négocier un des nœuds majeurs de cette affaire et je ne voudrais pas m’y prendre mal par excès d’excitation. J’en frissonne jusqu’à la pointe de mes écailles. Le trac, la soif de justice, me balaient de leurs vagues.

 

C’était le soir.

Une soirée venteuse qui ridait de crénelles le détroit de Marmara, et tout autour la cité brillait de mille feux. Le pont de Galata, reliant la Vieille Ville, berceau d’Histoire, de mosquées, d’églises devenues mosquées et de palais devenus musées, à l’Istanbul moderne, qui réunit tout ce que le capitalisme a inventé d’enseignes vulgaires, était comme tous les jours occupé par des dizaines de pêcheurs alignés le long des garde-fous, des deux côtés de la chaussée qui traverse le pont, et tout autour les lumières faisaient briller la cité comme une malle remplie de diamants.

Les cannes des pêcheurs déployaient leurs tiges par-dessus les flancs, comme si le pont avait été orné d’un chapeau à paillettes, et que cela répondait directement aux paillettes dont rayonnait la cité même.

Je n’ai personnellement jamais eu cette vue d’ensemble du pont du Galata et de ses alentours (bien que j’aie été ébloui plus qu’à mon tour par le panorama des rives d’Istanbul) ; je n’aurais pas pu, depuis ma niche au fond de l’eau, et je ne me permettrai certainement pas de divaguer pour les simples besoins esthétiques de la narration. Je rapporte ici la description qu’une mouette me fit récemment de notre cadre de vie commun, elle qui peut l’embrasser depuis les nuées.

Je parle de mouette et ceci est bon car les mouettes, qui font partie intégrante du ciel de Marmara tout comme nous les poissons le faisons de ses eaux, sont parmi les protagonistes principaux de cette affaire que je m’en vais vous conter.

Ils furent pour nous des prédateurs d’abord, des alliés ensuite.

Il faut dire ici que la nécessité de se nourrir pousse à des comportements qu’on ne saurait définir par la seule morale. Ceci est vrai pour les bêtes comme pour les vingt millions d’âmes peuplant la métropole. Les mouettes ont ainsi incarné une menace pour nous pendant très longtemps. Elles fondaient sur la surface des eaux et piochaient leurs dîners dans nos rangs avant de reprendre leur envol. Je me souviens d’un cousin germain qui venait de se faire hameçonner et qui, sur le point d’en réchapper à la sortie de l’eau, avait fini dans le bec d’une mouette rieuse. C’en fut de mon cousin comme de bien de parents avant lui. Les hommes sur la terre et, juste au-dessus, plus vigilantes, se dressaient donc les mouettes, implacables.

Puis cela changea ; mais restons dans la chronologie, c’est mieux.

 

Ce soir de grand vent fut celui où je mordis à l’hameçon.

Cela n’a rien de drôle. C’était une première pour moi, un baptême du feu en quelque sorte (!). On m’a rapporté que j’avais déjà réussi une évasion dans mon enfance, me tortillant si vigoureusement que j’avais suscité l’extraction du crochet hors de ma gorge sans abîmer d’organe. Mais je n’en garde aucun souvenir, ce qui revient dans mon système de valeurs à n’avoir quasiment pas vécu l’épisode, la mémoire étant définitivement le prisme par lequel notre vie gagne du relief. Certes, mais d’autre part, qu’est-ce qui nous garantit qu’un évènement ait eu lieu si sa seule preuve est le souvenir qu’on en garde ? Et si les souvenirs collectifs peuvent éventuellement servir de telle preuve, je doute en revanche que l’on puisse trop se fier au souvenir d’un seul individu. La mémoire et la vérité ne sont pas des sujets qu’on prend à la légère le long du Galata et au-delà. Si on y songe, les implications de cet axiome sont énormes. Imaginez-vous que l’Histoire est possiblement parsemée de Grands Faits Officiels Indiscutables, trouvant leur source dans les dires d’un homme ou de quelques-uns, alors que nous savons tous que si la chair est faible, la pensée ne l’est pas moins. Dans mon cas, si je mets cette anecdote passée en corrélation avec ce que je m’apprête à vous dire, j’en déduis au mieux que ce que je m’apprête à vous dire devait m’arriver tôt ou tard (ce qui n’est déjà pas si mal).

Ayant mordu à l’hameçon, maudissant l’appât qui l’ornementait et ma faiblesse d’y avoir succombé, puis m’expliquant que j’avais été tenté par la possibilité de me nourrir (et que certaines hiérarchies exigent que l’on dévore cela à quoi même on a fait semblant de donner à manger), je sentis une puissante attraction, exercée sur mon corps par la force motrice à l’autre bout du fil.

Pendant un peu plus d’une seconde, nous avons été, le pêcheur et moi, complices parfaits, plus proches que des amants, que des amis, que des parents. Par ce fil qui nous reliait dans un rapport de force à l’issue relativement prévisible, fil semblable à un long ver luisant, nous étions prisonniers et gardiens l’un de l’autre, sous le signe d’un conflit qu’il nous tardait de faire exploser. L’énergie de mon pêcheur, sur le pont de l’autre côté des eaux, vibra alors dans le fil et se transmit à moi par le crochet, ce fut comme si j’étais traversé par une décharge électrique de cent mille volts. En proie aux affres d’une douleur sans nom, je fus happé, tiré vers le haut, en une répétition, je suppose, de la montée imminente de mon âme palourde au ciel des poissons. C’est ce qui s’appelle fendre les eaux !

J’avais déjà pratiqué ce type de déplacement pour épater quelque demoiselle.

Entouré de compagnons de bordée, je me livrais à des crawls flamboyants, imbu de mon agilité j’en faisais des tonnes pour faire nik-nik aux thons peu graciles. Ce soir, il était bien loin, ce temps des insouciances. Alors qu’au bout de l’hameçon je faisais pareil, mais malgré moi, et que les thons peu rancuniers me voyaient partir en vrille avec des lueurs d’inquiétude, je sentis que ma vie, dans tous les sens du terme, ne tenait qu’à ce fil et qu’il me fallait urgemment unir mes forces et mes idées au service d’une action immédiate. Un seul mot d’ordre : sauve qui peut !

La fatalité paraissait néanmoins plus rapide que moi car elle garda l’avantage et je me retrouvai cerné par les flamboyances de la nuit stambouliote, à tourbillonner cul par-dessus tête selon les oscillations du fil. Je sentis que le vent poussait nord-sud-ouest et que la pression atmosphérique, en ce qui me concerne, n’allait pas tarder à monter en flèche. En flèche je montai moi aussi et vis pour la première fois à quoi ressemblait mon prédateur humain.

Il était effroyablement ordinaire.

Mal fagoté, la peau mal rasée sur des os mal emboîtés, cramponné au manche de la canne avec l’énergie du désespoir, ses yeux débordaient presque de larmes de gratitude ; j’eus la pensée méditative que je me serais volontiers laissé manger par ce pauvre hère si mon instinct de survie n’avait pas été aussi pressant.

J’aurais préféré un adversaire qui inspirât moins la pitié et davantage la colère.

Mais le fil nous reliait et c’était quitte ou double.

Reste que mon homme n’était pas un pêcheur très habile et qu’il manipula sa canne avec une telle maladresse que je lui passais bientôt au-dessus de la tête en un arc de cercle pour aller me réceptionner en catastrophe sur le pavé ! Un choc qui n’avait rien de drôle – je le dis pour ceux que j’ai entendu rire à ce moment-là, dont un jeune de type européen qui baragouinait un inceste douteux de turc et d’anglais.

Tandis que mû par une idée fixe je glissais sans cesse entre les doigts du pêcheur, les lentilles chatoyantes de mes yeux alarmés emmagasinèrent un certain nombre de détails. Je me rendis compte que je voyais pour la première fois ces fameux êtres humains de si près, hors de l’eau et de ses trompe-l’œil ondulatoires. Et si quelques filets d’eau continuaient de dégringoler sur mes lentilles, ils ne m’empêchèrent pas de voir qu’il se trouvait sur ce pont un bel échantillon de la population d’Istanbul.

Je vis ainsi de vieux bonshommes qui semblaient débarquer à l’instant d’un très lointain village anatolien peu touché par la civilisation moderne ; je vis des jeunes couples venus là pour s’amuser un peu et que j’avais du mal à distinguer du jeune européen, tant par leurs attitudes et leurs habits que par un je-ne-sais-quoi qui les apparentait en profondeur à l’Occident ; je vis un homme dans la quarantaine, muni de deux seaux pleins de poissons, se diriger vers un chariot en bois monté sur roulettes, équipé d’une plaque chauffante, d’un bac à crudités, d’un autre à pain, et qui avait peint GALATA FIŞBÜRGER en lettres grossières sur son véhicule ; je vis un homme au teint cireux d’employé de bureau dans un costume minable à cravate molle, en compagnie de son fils en uniforme d’écolier, acheter au même homme, pour cinq livres chacun, deux sandwichs au poisson grillé ; je vis une femme voilée accompagnée d’un enfant trop jeune qui me fit songer que je lui aurais ressemblé si j’avais été un humain, et cette femme aussi, comme les autres, tentait d’attraper un petit morceau à faire rissoler dans une casserole qu’elle avait trimballé avec elle ici même. Et il y avait aussi, sur le pont de Galata, cernés par la cité miroitante, de jeunes vendeurs de thé qui portaient, sanglés aux épaules, des réservoirs thermos dont le robinet délivrait de la boisson chaude sur pression, une livre et demie le gobelet, sucre et touillette inclus ; des vendeurs de semoule en ravier appelé pilav, la modique somme de trois livres comprenant un gobelet de yaourt à boire ; un gosse portait sur sa tête un plateau de pains en forme de couronnes aux grains de sésame et criait « Simiiiit ! » d’une voix nasillarde ; un homme barbu, habillé d’une tenue religieuse, poussait un chariot de desserts abrités sous une paroi de verre et il eut pour moi un regard moins amer que celui qu’il décocha aux jeunes turcs occidentalisés. Tous, si différents par ailleurs, avaient quelque chose à vendre, des petites choses peu chères, à boire, à manger, des choses que n’importe qui pourrait s’offrir. Leurs chariots avaient pour la plupart une lanterne d’éclairage ficelée à une tige de bois. Mais, cernées par des lumières aussi triomphantes que celles des trois rives de la cité, leurs lucioles peinaient à éclairer quelque obscurité que ce soit.

Enfin libéré de l’hameçon, j’eus moins d’un instant de répit que déjà les mains de mon pêcheur, plus habile de seconde en seconde, me cueillaient du pavé pour me porter vers un seau dont le couvercle avait été troué au centre, une méthode économique et ingénieuse devant permettre de m’y glisser comme une pièce dans une tirelire et m’empêcher de tenter le voyage en sens inverse, car une pièce bien sage ne cherche jamais à quitter sa tirelire sans consentement. Je pensai que c’en était fait de moi, je déplorais la brièveté d’une vie et, par-dessus tout, son absurde, absurde fragilité. La mort n’avait rien d’une cérémonie pompeuse. Elle survenait sans élégance, sans s’annoncer, et la plus mauvaise plaisanterie pour une créature vivante était de découvrir en fin de compte à quel point elle avait été créée dans la fragilité et vouée à celle-ci jusqu’à son dernier soupir. Voilà, cette leçon était tout ce que j’avais le loisir d’emporter. Bien trop mince, me disais-je.

Puis mon corps argenté franchit le puits percé du couvercle de plastique bleu ciel et je fus dans le fond bleu ciel du seau, à baigner dans quelques centimètres d’eau ayant pour but sadique de me maintenir dans un état de vie léthargique jusqu’au moment de passer à la casserole. J’entendis mon pêcheur famélique accepter la bourrade et les félicitations d’un semblable. Je l’entrevis à nouveau lorsqu’il se pencha pour m’examiner en vitesse avec un sourire mi-victorieux mi-chagriné de ce qu’il m’infligeait pour son propre salut. Il avait un visage très expressif, d’épais sourcils broussailleux, et son ossature nasale était marquée par une courbure assez proéminente, différente des nez plus fins ou plus ronds que j’avais vus au visage d’autres humains au teint plus clair. Il avoua à son voisin que les rares poissons qu’il parvenait à capturer constituaient son unique menu depuis deux semaines qu’il avait été relâché. Il parla ensuite de détention pour des causes politiques que je n’ai pas très bien saisies, il avait eu une assez bonne situation avant d’être jeté au violon. Cela dit, ce n’est que grâce à la réflexion de son interlocuteur que j’ai compris que le sujet était la prison, car le concerné, mon pêcheur, préférait dire qu’il avait été « retenu comme invité un long moment », une formule énigmatique que j’ai trouvée pleine de dignité. Un homme touchant, à vrai dire.

Hélas, dans nos rapports naissants et déjà finis, il y avait eu le fil luisant de la canne à pêche et le quitte ou double qui mettait nos malheurs dans la balance et m’interdisait de m’appesantir sur les siens. Je me remis alors à frétiller. Non, en fait, je fis bien plus que cela, je me convulsai, me contorsionnai, me débattis dans le seau comme un beau diable des sept mers, et sautillant, me hissant de toutes mes forces vers le haut, je réussis à cogner à moult reprises contre le couvercle au point de le démettre de sa position et d’échapper au seau, échouant un peu plus loin sur le pavé clapotant tandis que le couvercle, ersatz de ciel bleu, roulait de son côté sous le vrai ciel noir et lunaire.

En apercevant l’eau à travers les barreaux du garde-fou, je sentis la vie souffler à nouveau dans mes bronches à la manière d’un vent salvateur gonflant comme une seconde chance les voiles d’un navire en perdition. Je ne devins plus alors qu’une extension physique d’une pure volonté de me mouvoir vers l’eau. La seule fois où les mains du pêcheur se refermèrent sur moi, je bénis le dieu des poissons d’être tombé sur un novice et je n’eus pas trop de mal à me soustraire à ses doigts. J’eus quand même un pincement terrible en l’entendant se lamenter, puis je fus quitte des barreaux aussi et l’immensité des eaux scintillantes de la Marmara m’appela de la voix chantante de ses profondeurs amies.

Alors que je m’apprêtais à bondir, j’aperçus une mouette qui me survolait avec des intentions sans équivoque. Or je me souvenais maintenant de mon enfance, de ce retour à la vie que j’avais déjà accompli une première fois et que je venais à l’instant de répéter, et je perçus soudain au-dessus de moi, plus impressionnante que celle de la mouette, l’ombre mythologique de la destinée qui m’enjoignait à reprendre confiance. J’eus pour la mouette, qui piquait la gueule déjà béante, un regard impératif qui la mit en demeure de me laisser la vie sauve. Et, à ma surprise, je vis mon souhait s’exaucer. Je décelai même une pointe d’admiration perplexe dans les yeux de l’oiseau. Il me croisa en piaillant qu’il ferait passer le message à ses congénères et que je pouvais désormais compter sur leur vision plongeante du territoire dès qu’il s’agirait de nous préserver des intrus et nous indiquer les plus proches couloirs sous-marins par où fuir, cela en échange de l’autorisation de se nourrir de nous en quantités raisonnables, ou à défaut, des sédiments nutritifs que nous ferions remonter à leur usage depuis les fonds… J’étais étonné par l’effet que ma témérité avait eu sur ce volatile, qui me proposait à mots à peine couverts d’organiser une résistance concertée contre les oppresseurs. Je dois à cette mouette radicale, au moins autant qu’à mes propres aspirations, les germes de la révolte qui gronde à présent dans le fond des mers. Cela étant, son échange de bons procédés me parut des plus corrects en regard des valeurs de la nature (bien qu’il impliquait que nous sacrifiions certains d’entre nous, selon des critères biaisés comme c’est si souvent le cas dès que nécessité fait loi.)

Dans ma chute vers l’eau, et dans ce courant qui traversait mes écailles enivrées, j’aperçus aussi, croisant au large du port industriel, d’énormes engins de pêche, conçus pour ratisser très large. Je reconnus, arrimés aux flancs des appareils, les systèmes de filets sophistiqués ainsi que les griffes en acier que j’avais déjà croisées dans le monde d’en bas, sur le théâtre de certaines des pires tragédies qui avaient frappé ma race. J’avais vu que ces griffes étaient responsables de la destruction de tant de nos nids, ôtant la vie à des millions de mes semblables, causant à notre lignée des gâchis incomparablement plus graves que tout ce que pourraient jamais nous infliger les pêcheurs du pont de Galata. J’étais sûr que si je nageais jusqu’à ces griffes, je verrais les résidus écrasés de ces millions d’œufs entacher leurs surfaces comme un blâme indélébile, celui qu’un avenir condamné lançait à la face éhontée d’un présent trop égoïste et avide.

Dans ma chute, je compris qu’en dépit des aspects terrifiants de la situation que j’avais vécue, je venais de rencontrer mon destin et que je commettrais une fatale erreur de ne pas le reconnaître. Dans le monde de l’autre côté du miroir des eaux, des requins, similaires à ceux que nous redoutions au fond de l’océan, imposaient leur loi aux bancs craintifs des poissons plus petits. Dans les derniers instants de ma chute existentielle, alors que l’eau m’enveloppait de son parfum épicé, des voix célestes s’élevèrent au sommet des minarets qui hérissent le mémorable paysage de la cité, et je sentis que j’étais désormais en mesure de comprendre le besoin d’un si grand nombre d’êtres humains, lorsque les choses vont mal sur la terre ferme, de croire que des ombres bienveillantes et mythiques planent au-dessus de leurs têtes et veillent sur eux. Tout, durant ces instants, au milieu de la chorale aérienne des appels à la prière, me parut plus calme.

L’espace, les esprits, l’océan – un calme qui précédait la tempête.

 

Une tempête qui s’appelait changement.

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