La tribulation du jour de François Piquet

Chantal Boedts,

François Piquet n’en peut plus de cette ambiance de ni oui, ni non à la Konstitution.

Notre rendez-vous quotidien, cher auditeur de Fréquence Spatiale, vous a révélé hier que son collègue grec Tsaganos de la division 8 de la spatiale des Kommunautés casse du Turc toute la journée avec le très catholique Comte de Mâchicoulis.

Nous vous rappelons que, François, fils d’un instituteur des Cévennes et de la République a pagayé dur pour décrocher ce poste à Bruxelles.

Il voit d’un mauvais œil les critiques constantes que s’autorisent ses collègues pistonnées par leurs relations sociales ou la rareté de leur langue.

Il parle impeccablement le français, point.

Et dans sa langue, il lui faudra bientôt dire oui ou non.

Il n’arrive pas à se décider, et Fréquence Spatiale a décidé de vous faire part de ses tribulations jour après jour depuis bientôt un mois.

La pression est à son comble, cela fait trois jours que nous voyons François Piquet prendre un cachet pour dormir en jetant un œil oblique à son calendrier.

La baie de Nouméa peut sauter sous de nouveaux essais nucléaires, notre ami François Piquet dort chimiquement, les yeux plombés, pour échapper au ni oui ni non qui l’obsède.

*

Le Comte de Mâchicoulis, un fier malabar franchouillard d’une quarantaine d’années, a lancé ses états généraux du non.

Il est posté devant la machine à café en face de l’ascenseur nord de la section spatiale 8.

— C’est la fuite en avant ! Si on accepte les Turcs nous sommes cuits, la chrétienté est en danger gravissime !

Son collègue Tsaganos, un petit homme nerveux et chauve d’une cinquantaine d’années, soupire.

— Les Allemands se voilent la face. Et votre gouvernement joue le jeu !

— Tsaganos, fils de chèvre de l’Olympe ! Je compte sur vous pour poser un acte fort !

Philippe Busquin vient de surgir devant eux, il triture un ouvrage de Physique Cantique et sort distraitement de l’ascenseur.

Mâchicoulis vitupère.

— Nous descendons tous de la même algue bleue ! Mais le combat contre ces chiens d’infidèles continue !

Il emboîte le pas du Kommissaire Busquin dans le long corridor de verre qui surplombe le square de Meeûs.

Busquin s’arrête, légèrement aux abois.

Il vient se réfugier dans son bureau spatial européen pour échapper au stress BHV d’Elio qui passe ses nerfs sur ses camarades socialistes en chantant du Frank Michael à tue-tête.

Bien évidemment, les Arena, Onkelinx et Lizin trouvent ça drôle comme d’habitude…

Mâchicoulis entre en force dans le bureau du Kommissaire Busquin et lui plante un dossier pistache fluo dans l’énorme ficus qui agrémente son espace catégorie 2 : bureau de Kommissaire.

POURQUOI ÉLARGIR L’EUROPE QUAND LA BANQUISE FOND ?

Le Kommissaire fait oui, oui, de la tête.

— Je vais voir.

Il se replonge dans son ouvrage de Physique Cantique.

Le Comte de Mâchicoulis lui crie dans les tympans.

— Je vous ai préparé un dossier du tonnerre de Dieu ! Vous surpasserez le Général de Gaulle en séance plénière.

Tsaganos arrive en renfort.

— Kalispera Busquinos ! La Tribune d’Athènes a beaucoup apprécié votre article sur la Macédoine. Il faut continuer dans cette voie, vous êtes notre nouveau Sénèque !

*

François Piquet fait un roulé-boulé dans son lit.

— Je m’en fous, je m’en fous, je m’en fous.

Nous voyons François Piquet se lever et brancher Léo Ferré d’un air de vénération béate.

Il fixe la tortue géante qui illumine de ses déclinaisons vertes et savane dorée le mur de sa chambre à coucher.

Son psoriasis le démange furieusement.

Il se gratte furieusement le crâne d’un air mauvais.

Comme chaque fois que notre camarade Piquet essaye de nous cacher quelque chose.

La tortue géante accrochée au mur en face de son lit est bien passée par la valise diplomatique lors de son dernier séjour d’étude climatologique à Madagascar.

Nous le savions, lui non plus n’est pas net dans cette affaire.

Notre camarade Piquet est un bel exemple du syndrome Nimby qui veut que l’Européen s’autorise sans vergogne ailleurs ce qu’il n’accepte pas chez lui.

Grand défenseur de la nature cévenole il doit aussi respecter la nature malgache.

Trop tard, il a bravé l’interdiction de rapatrier une tortue, même à titre personnel.

De plus, nous vous signalons que François Piquet, malgré son militantisme en faveur de l’exception culturelle française, vient d’éteindre Léo Ferré pour allumer Cartoon Network.

*

Urinoir sud de la section spatiale 8.

Le Comte de Mâchicoulis sort son sexe avec ostentation.

— Au fait, mon cher Piquet, nous sommes de la même race, vous et moi, et savez-vous pourquoi ?

— Non, bredouille le Piquet sonné par une nuit de brandouille devant sa tortue et la vue du zizi conforme au nombre d’or de son collègue Tsaganos qui vient de les rejoindre devant la pissotière.

— Mes ancêtres n’ont pas perdu la tête c’est tout. Je vote non, c’est décidé.

Tsaganos aussi abondant que son pipi jaune.

— Mâchicoulis m’a raconté, c’est passionnant l’histoire de France, vous vous appelez Piquet parce que vous descendez d’une famille de décapités.

— Exact, trois fois exact. Mon cher Tsaganos, ce Piquet est tout aussi noble que moi, termine ironiquement Mâchicoulis en remontant sa braguette.

Nous le savons maintenant, François s’appelle Piquet, parce que l’arrière-arrière-grand-père de François a eu la tête tranchée pendant la Révolution. Les têtes étaient plantées sur des piquets pour que les paysans puissent narguer les aristocrates qui les avaient dominés pendant des siècles de famine.

*

Lunch/bar de la spatiale 8.

Conversation de comptoir.

Mâchicoulis, emphatique.

— Cessez donc de nous embrouiller avec vos manœuvres cévenoles et allons faire un tour à cheval en forêt de Soignes, il est déjà 16 h 10.

Tsaganos doucereux.

— Je suis nostalgique de l’odeur de crottin.

Tsaganos et Mâchicoulis ont décidé de concert de piéger leur collègue François Piquet. Ils tentent de l’entraîner dans une promenade à cheval pour le convaincre de voter non. Comment notre ami Piquet va-t-il échapper à cette manœuvre indélicate ?

Piquet diplomate.

— Je n’ai que deux selles de cheval chez moi.

Mâchicoulis le coupe.

— Pas grave !

— Pas vrai, foi de Tsaganos ! J’ai vu quatre selles de cheval chez vous l’autre soir quand nous cassions du Turc.

— Je, non, c’est faux ! s’insurge le Piquet décontenancé.

Mâchicoulis prenant la situation à son avantage.

— Tsaganos, vous fabulez à votre habitude. Notre collègue Piquet a deux selles dans son hall d’entrée. Seulement, les deux selles sont déposées devant le miroir de ce hall.

Tsaganos essayant de blaguer.

— Ce qui fait quatre. Exact, trois fois exact. Mâchicoulis, mon cher collègue, nous sommes sur la même longueur d’onde.

Mâchicoulis bien carré.

— Ça ne résout pas le problème, la réalité c’est que nous n’avons que deux selles.

C’est vous ou le Piquet qui m’accompagnez dans ma promenade. Tsaganos pouffe en pointant Piquet du doigt.

— Ni oui ni non !

— C’est ma selle !

S’indigne François Piquet qui vient de tomber dans le piège tendu par le Comte de Mâchicoulis.

*

En effet, François Piquet est maintenant piqué au vif, il veut à tout prix accompagner le Comte de Mâchicoulis qui l’a traité comme son égal devant la pissotière.

Mâchicoulis va tenter de l’embrigader et le convaincre de voter non.

Piquet au terme d’une éprouvante chevauchée va-t-il réussir à semer le Comte de Mâchicoulis pour échapper à son non ?

Dans un chemin, ombré, tortueux, malaisé de la forêt brabançonne, nous vous rappelons qu’ils risquent le pire : tomber dans une commune à facilités.

La réponse sera maintenue au frigo jusqu’à la conférence de presse par notre huissier de Justice Maître Spirit de Halle.

Nous vous rappelons la règle du jeu : Si vous voulez que François Piquet vote oui à la Konstitution, indiquez le 1. Si vous voulez que François Piquet vote non, indiquez le 2. Si vous jouez le « ni oui ni non » jusqu’à la dernière minute, envoyez votre numéro de carte bancaire par mail :

frequence.spatiale@didreynders.org

Nous vous rappelons que c’est grâce à la carte à puce Europa Magna, accolée au dos de notre ami le citoyen Piquet, que vous pouvez suivre ses tribulations en direct.

*

Notre émission de radio-réalité vient de rebondir.

Contre toute prévision, Tsaganos furieux d’être évincé de l’équipée en forêt prépare sa revanche.

Nous le voyons s’introduire dans le bureau du Kommissaire Busquin, toujours plongé dans sa Physique Cantique.

Profitant de sa béatitude, il rafle sur une étagère la clé du haras des Kommunautés, principalement affecté au délassement des astronautes invités par la spatiale 8.

Dans les écuries royales nouvellement restaurées, nous le voyons prendre une selle de cheval aux couleurs de l’Europe.

Puis Tsaganos pénètre sur la pointe des pieds dans le box 19 où tournique Fiat Punto, l’alezan offert par le Cavalier Berlusconi à l’occasion d’une visite de courtoisie au patron de notre concurrente Bel RTL.

Tsaganos manœuvre discrètement la sortie de Fiat Punto derrière le Palais des Académies.

L’animal piaffe devant l’interminable feu du début de l’avenue de la Couronne.

Libérés de toute contrainte, Tsaganos et sa monture se lancent enfin à la poursuite de Piquet et Mâchicoulis.

Ils suivent les panneaux de signalisation : Bois.

*

Pendant ce temps, nos deux bougres, eux aussi, ont changé leur fusil d’épaule.

Montés sur deux chevaux brabançons loués par les écuries de Boitsfort, Piquet et Mâchicoulis sèment la panique parmi les animaux de la drève de Bonne-Odeur.

Il faut préciser qu’ils ne manquent pas d’allure !

Ils portent de longues capes en velours bordeaux et or et des casques gaulois prêtés par la troupe du théâtre qui répète une parodie de Lohengrin dans les écuries de la Maison Haute.

Mâchicoulis, équipé d’une redoutable arbalète récupérée sur le plateau, vise un écureuil à la queue touffue.

Piquet, astucieux, ouvre grand ses mandibules et les referme, vorace, sur l’animal en chute libre de sa branche.

Il faut voir la scène, la queue de l’animal lui balaye la joue gauche comme un pan de moustache de Vercingétorix.

Mâchicoulis contemple Piquet avec bonheur.

— Nous sommes en pleine exception culturelle française !

*

Juché sur Fiat Punto aux flamboyantes couleurs du oui, Tsaganos le fourbe les rattrape à la hauteur de Notre-Dame-de-Bonne-Odeur.

Piquet et Mâchicoulis sont en train de déposer cérémonieusement l’écureuil sur les bougies votives en signe d’offrande à Vierge.

Alerté par ce barbecue improvisé, un groupe de seniors (les joyeux joggeurs de la forêt flamande) s’attroupent, ébahis, devant cette scène étrange. Ils broubèlent entre eux.

Mâchicoulis aperçoit Tsaganos.

— Traître ! Vendu de la Kommission ! Piquet, en route.

Piquet, galvanisé, enfourche son cheval poussif et monte sur le

Ring, suivi de Mâchicoulis.

Tous deux, apercevant le panneau Waterloo, crient :

— Vive l’Empereur !

Escortés par les joyeux joggeurs flamands, persuadés de suivre une parade de l’Ommegang, nos deux héros du non reprennent l’avantage.

*

Fiat Punto tousse, sa constitution ne lui permettant pas de supporter les gaz d’échappement du Ring Ouest, ni la circulation dense des biens d’équipement automobiles.

Il commence à tricoter des sabots et bave sur la vitre arrière d’un véhicule qui affiche un autocollant : « Belge et fier de l’être ».

Tsaganos, dépité, descend de sa monture d’apparat et la tire hors du Ring embouteillé. Il reprend son souffle sur un talus à ras de la circulation des travailleurs navetteurs. Fiat Punto flagada se frotte contre un hêtre et lâche un crottin liquide.

*

Pendant ce temps, Mâchicoulis et Piquet poursuivent leur marche triomphale.

Arrivés à la hauteur de l’hippodrome de Groenendael, ils décident de participer au tiercé quarté du jour.

Mâchicoulis donne un coup d’éperon d’or à son canasson placide.

— Piquet notre heure de gloire a sonné !

Piquet, euphorique :

— Nous allons remporter ce tournoi, mon cher Comte !

Nous vous signalons que notre rédaction ne domine plus la situation.

Nous venons de recevoir un coup de fil du Ministère de l’Intérieur nous demandant d’arrêter immédiatement la retransmission de ce désordre public.

C’est avec regret que nous vous proposons la chanson « Liberté » de Georges Moustaki suivie de « I have a dream » de John Lennon pour respecter la parité culturelle franco-anglaise.

La rédaction de Fréquence Spatiale se concerte de toute urgence cet après-midi.

Faut-il oui ou non continuer cette expérience de radio-réalité ?

Le débat est ouvert.

Nous attendons vos réactions par mail à l’adresse :

constitutionouinon@bhv. org

Nous vous prions de ne pas tout confondre, et de poser vos questions de la manière la plus concise possible dans un souci de clarté et de citoyenneté bien maîtrisé.

Partager