Je parlerai du critique.

Alors que l’on devrait admettre, une fois pour toutes, que c’est la critique qui est malaisée cependant que l’art, en ces temps un peu fluides, est décidément la chose la plus facile qui soit, il reste de bon ton de dénigrer ce qui devrait être considéré comme un apostolat. Jacques le pratique à ravir.

Il m’est arrivé, je le confesse, de lui trouver parfois une assez forte propension à l’indulgence. D’autant que cette tendance naturelle n’était de sa part ni détachement, ni dédain, ce qui aurait pu, en ces temps un peu âpres, la rendre acceptable.

Mais enfin pour en avoir bénéficié moi-même ainsi que quelqu’un et quelqu’une que j’aime, je me suis accommodé de cette bienveillance. Et n’y ai vu, en définitive, qu’une magnifique aptitude à apprécier correctement, admettre intelligemment, comprendre subtilement et aimer. Généreusement. Ce qui, en ces temps un peu économes, n’est pas à dédaigner.

En tout cas qu’il soit admis que le critique ne peut être, pour Jacques, ni donneur d’ordres formels et littéraires, ni souverain pontifiant, ni professeur imbu de suffisance. Mais plutôt, comme le suggère Ionesco, un « élève de l’œuvre ». Avant d’en devenir, le cas échéant, à force d’attention polie et de connivence perspicace, un décrypteur et un révélateur plus lucide parfois – pourquoi s’en étonner ? – que l’auteur lui-même.

Parmi les qualités nécessaires et probablement suffisantes pour exercer le métier de critique, j’en citerai trois dont Jacques me paraît splendidement pourvu.

La première est le goût du style, hors de quoi point de salut. On pourrait croire que le style est, pour un écrivain, la moindre des élégances, la plus élémentaire des politesses. À lire ce qui s’écrit, ce n’est pas sûr.

En tout cas Jacques, lui, écarte les disgracieux et les malpolis. C’est à porter à son crédit.

La deuxième est la curiosité. Elle ne s’est jamais démentie. Elle ne sera jamais rassasiée. Elle le fait surgir ici, alors qu’on vient de l’entrapercevoir là. Elle démultiplie les heures de ses longues journées et de ses courtes nuits pour mieux lui permettre de vaquer, de flairer, de « chiner » et de trouver. De lecture publique en colloque, de tribune en tréteau, ubiquiste, attentif et effervescent, il nous épuise rien qu’à le suivre de l’œil. C’est le furet du Bois Joli…

La troisième qualité, la plus exquise, est son goût du plaisir. Qu’il soit hédoniste, gourmand de saveurs tout autant sensuelles que spirituelles, nous le savons tous. Et ce rapport-là, celui que spontanément il entretient avec les choses et les gens, c’est aussi celui qu’il a établi avec les livres. Ces livres qu’il tâte, qu’il flaire, qu’il déguste, avant de nous prendre par la main, délicat échangiste, pour nous conduire vers les meilleurs.

Et c’est ce plaisir, sans aucun doute, qui lui fait l’œil si brillant et la bouche si gourmande.

Un plaisir pas près de s’éteindre.

Comme dit Jules Renard, que nous aimons tant lui et moi, « quand je pense à tous les livres qu’il me reste encore à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux ».

Sois-le, Jacques.

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