Le goût immodéré des fleurs

Chantal Boedts,

La lumière croquait crue les visages, nous nous sentions bourdons avides dans un printemps avancé.

La marche nous faisait envahir les collines, dévorer les espaces verts, échapper aux feux déclinants de l’actualité.

Chaque jour, le petit Tom et moi relevions un défi : découvrir une nouvelle plante incongrue et bénéfique, nous amuser d’un petit rien, théâtre d’ombres, jeu de marionnettes.

La nuit s’avançait et dans ses sortilèges, toujours les mêmes gnomes hideux se disputant terres, héritages et places en vue.

Une invasion de petits choux nous surprit dans notre pré-sommeil, le petit Tom et moi.

« Tu aurais pu me prévenir, le fond d’eau sous la passoire s’est évaporé ! »

Les petits choux brûlaient, leurs petites feuilles trapues devenaient brunes, sèches, âcres, Tom et moi nous nous mîmes à tousser.

À peine sortis de nos plumes en catastrophe, la fumée envahissant la cage d’escalier, je reçus en pleine face un steak surgelé, je serrais la main de petit Tom affolée, il semblait amusé par ma soudaine métamorphose.

L’après – midi nous étions encore dans un espace flottant empli de délicats magnolias, les pétales tombaient délicatement sur le gazon, nous entendions respirer l’écorce des arbres.

J’avançais le visage envahi par le froid du steak qui s’accrochait comme un givre visqueux sur ma face endolorie, j’essayais machinalement de me débarrasser de ce masque hideux, plus moyen de faire machine arrière.

La cuisine était en pleine révolution, le sous-plat en bambou bouchait l’aéra, les petits choux collés au plafond tels des étoiles en chewing-gum suaient leurs dernières vapeurs.

L’alarme incendie se déclencha stridente, petit Tom se bouchait les oreilles en hurlant comme un goret, je lui vis pousser des petits pieds de porc, chaque cri accentuait sa mue.

J’essayais de nous dégager de cette ambiance malfaisante et toxique, je parvins à grand – peine à grimper l’escabeau, je ne voyais plus rien, seul le son me guidait, je désamorçai la stridente en débloquant la pile au lithium.

Revenus de notre peur, petit Tom et moi nous nous regardâmes bien déconfits.

Les dégâts semblaient irréparables, nous nous mîmes à nous accuser mutuellement, dans un long caca nerveux post-traumatique.

Terrés dans la cuisine, le torchon sur la tête pour oublier.

Tu étais en terrasse au loin, à Saint Adresse probablement, tu te gavais d’huîtres fines claires face à l’océan, petit Tom et moi entendions l’écho de l’harmonique épellation de tes vins blancs, le claquement des drapeaux tricolores dans le vent de la Manche.

Tu regardais passer les éoliennes flottantes, elles dansaient sur l’eau équilibrées par des tonnes de béton armé.

Je promis des choses insensées à petit Tom. « Tout redeviendra comme avant, ou même mieux, nous irons en croisière sur le Nil, nous visiterons Alep et ses savonneries millénaires, les vacances n’auront plus de fin… »

Hélas le lendemain, petit Tom se réveillait de mes mensonges et j’avais beau parfumer la pièce, changer les draps de son lit, il faisait toujours la moue.

Je finis par renoncer à promettre, tentative hasardeuse et donquichottesque qui n’effleure probablement pas l’homo politicus avidus.

Plus sagement je le déposais à l’école le matin et glissais une banane ou une pomme dans son cartable.

Les invariants sous contrôle, je repartais en quête de montagnes et d’horizons.

Je marchais sur des dunes de plastic, j’enjambais des cadavres de vieux matelas, à peine arrivée haletante en haut de la vague d’immondices, je cherchais des yeux les jacinthes sauvages, long cordonnet bleu rêvé qui me faisait tenir la semaine. Les clients de l’hôtel entraient, préposaient leurs bagages, j’appelais le liftier, comme d’habitude.

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