Le jour où Johnny a croisé ma route

Yves Wellens,

Parfois, il en coûte de raconter.

Quand Troch nous a dit que « Johnny avait croisé sa route », naturellement nous lui avons demandé si ce n’était pas plutôt le contraire : absolument pas, a-t-il répondu avec détermination, et instinctivement nous l’avons cru.

De toute manière, cela lui ressemblait bien.

Troch faisait partie, selon ses propres mots, de ces « anonymes » dont parlent les journaux, qui « suivent le cortège funèbre » d’un « mort célèbre » ou s’agglutinent devant l’église où « aura lieu l’office religieux », en se tordant le cou pour apercevoir et reconnaître « un invité », une « personnalité », un « grand de ce monde ». En même temps, Troch s’était comme extrait de cette « masse », car il exerçait une grande attraction, une aura presque, sur ceux qui l’approchaient, de quelque grade ou rang qu’ils fussent. Et cela s’est maintes fois vérifié, au fil du temps.

Car il y en a eu bien d’autres que Johnny. Eh non, il n’y avait pas que « l’idole des jeunes » qui avait croisé la route de notre ami. Un jour, devant l’hôtel Conrad (l’actuel Wiltcher’s) avenue Louise, Mick Jagger l’avait aperçu et s’était précipité pour lui serrer la main – mais la manœuvre n’avait pas échappé à ses gardes du corps, qui l’avaient fermement remis sur le droit chemin. De toute manière, le temps que le chanteur des Stones arrive jusqu’à lui, Troch était déjà parti – il n’est même pas sûr qu’il se soit retourné.

Jagger en fut donc pour ses frais : comme des tas de personnages du même genre, qui s’y sont également essayé sans succès – la liste serait trop longue, mais elle comporte nombre de noms illustres, dans tous les domaines. À quoi cela tenait-il ? Peut-être tous ces gens aux existences hors norme, qui avaient tout et pour qui on faisait tout, percevaient-ils chez lui quelque chose qui leur était désormais inaccessible, inatteignable : et que leur renommée si immense ne leur ouvrirait pas cette porte-là.

Cela ne voulait pas dire que Troch passait dans la vie comme si de rien n’était. D’ailleurs, quand Johnny a croisé sa route, c’était pour Troch littéralement un « jour sans », un off-day total, à un point rarement atteint. Et il savait bien que ce n’était pas ce Jean-Philippe Smet qui allait l’améliorer. C’est bien ce qui arriva.

On vous l’avait bien dit, que parfois cela ne va pas de soi de raconter.

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