Les 6lex, sed lex, des 7 frondeurs

Jacqueline De Clercq,

Qui ne connaît l’histoire du bûcheron et de la bûcheronne qui abandonnèrent lâchement leurs sept gamins dans la sombre forêt pour n’avoir plus à les nourrir ? Racontée aux petits enfants pour les endormir… cette scandaleuse aventure s’est fortement édulcorée au fil du temps et des récits ; chaque conteuse ou conteur veillant à en retrancher les traits les plus effrayants, elle devint l’ heroic fantasy du cadet de la fratrie, le Petit Poucet, et reçut une fin heureuse et aussi soporifique que la berceuse, dors mon petit ange, dors !

C’est oublier un peu vite que pour être entré dans le royaume des doux songes enfantins, le conte n’en véhicule pas moins son lot de mensonges et que la vraie histoire, elle, n’est pas finie…

Les sept fils du bûcheron ont grandi, roulé leur bosse, leurs bottes et leurs rolling stones de par le monde et, ce faisant, transmis un curieux legs dont nous sommes les héritiers. Certes, il y a encore quelques farouches réfractaires qui résistent, dur comme pierre, au nom de la défense de la meilleure et de la pire des choses et s’appliquent à la tourner sept fois dans la bouche avant toute émission, il n’empêche…

Pour comprendre comment la chose se produisit, il faut retourner dans la forêt de tous les dangers : sept mômes terrifiés errent dans les ténèbres, se croyant perdus à jamais et voués à une mort atroce, alors que leurs indignes géniteurs, les auteurs de ce crime soigneusement prémédité, ont regagné le logis en catimini.

C’est alors que Poucet a une idée lumineuse : le salvateur recours aux petits cailloux blancs qu’il a ramassés sur les sentiers forestiers. Trop connu pour être rappelé, cet épisode ? Pas sûr du tout !…

Après avoir entendu – de ses oreilles, entendu – le bûcheron et la bûcheronne ourdir leur crime odieux et les avoir vus – de ses yeux, vus – le mettre à exécution, pensez-vous vraiment que Poucet allait utiliser ses cailloux pour ramener la petite troupe au logis paternel ?… Allons, soyons sérieux… autant se jeter tout cru dans la gueule du plus sanguinaire des loups ! Pas si bête, le petiot !…

Quand Poucet s’adresse à ses aînés et leur dit : « Suivez-moi, mes frères, je sais comment nous sauver », ce n’est pas à leur retour au bercail qu’il fait allusion – ça, c’est la version fais dodo… –, mais à la démarche inverse : leur rupture définitive avec l’assassine famille biologique et leur entrée dans une communauté d’élection au sein de laquelle de telles monstruosités n’auraient pas cours. C’est cela qu’il propose à ses frères, et pas seulement à eux, à tous leurs semblables, leurs frangins d’adoption, comme eux trahis par ceux qui auraient dû les chérir et les protéger, comme eux en révolte contre le monde de brutes où la fin justifie les actes les plus odieux.

Comment s’y prend-il pour se faire connaître et reconnaître de ses pairs ? Tout simplement, avec les cailloux dont il a bourré ses poches dans la forêt…

Écœuré par les mots du mensonge appris à la mamelle maternelle, Poucet en invente d’autres, plus courts, plus durs, plus rugueux et râpeux, moins polis, plus secs, que la bouche devenue fronde lance à tout va. Des mots-cailloux qui filent à la vitesse d’un tir automatique et font mouche. Des mots-silex qui claquent d’être mis bout à bout sans artifice ni article, font des étincelles qui mettent le feu aux poudres et des éclats tranchants comme des lames, qui ne connaissent ni règle ni contrainte, se foutent des usages, des normes, des formes et des jolies tournures, détestent les fioritures, les transitions, les précautions, les formules et autres fatras encombrants, bref des mots bruts de décoffrage qui font des phrases rapides et bien serrées qui disent fissa c’qui ya à dire, et basta !

Les mots de cette langue-là, les potes à Poucet l’apprirent en un tour de casquette et son code crypté tissa entre eux des liens à la fois défensifs et offensifs, boucliers et projectiles d’une nouvelle Intifada. On cria aux barbarismes… les nouveaux barbares s’en frottèrent les pognes !

Aux cailloux de Poucet et de ses frangins succédèrent ceux de leurs jeunes pousses : un peu différents, nouvelle génération oblige, mais nourris au même ras l’bol et à la même rage de se faire entendre. Avec eux, la langue-pierre s’infiltra partout, squattant un à un les canaux de communication : pub, rap, slam, skat, texto, graf, tag, chats et blogs du web… perdant un peu de son mystère, mais pas un chouia d’inventivité. Pour preuves, l’explosion d’onomatopées et de néologismes, l’usage des smileys, les économiques du SMS, les gestes codés de la conversation qui remplacent les mots et font de ces parleurs des pseudo-signeurs. En hommage à qui, croyez-vous, qu’ils lèvent le pouce en signe d’accord ?…

C’est ça, la vraie histoire de ses frères et de leurs 61ex.

πg 7x ? OK ! A+ 🙂 XXX

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