Il fut un temps, pas si lointain, où les « Rouges » étaient dépeints par leurs adversaires sous les traits de monstres à la mine patibulaire, un couteau planté entre les dents, les yeux injectés de sang-dragon… Dans cette caricature, la couleur traduisant la colère nourrie par les uns à l’égard des sanglants desseins imputés aux autres et, le révolutionnaire projet prolétarien de ces derniers, est la même, ce qui est un peu confondant, quoique…

Plus récemment, rejouant la chute de l’antique cité de Jéricho, les murs de la forteresse communiste s’effondrèrent et le haut teint carminé des tenants de la révolution d’Octobre pâlit sous les coups de sévères anémies endémiques. Les « Rouges » devenus rosâtres, l’habitude de les associer à de terribles effusions d’hémoglobine s’affadit un peu elle aussi, sans toutefois se déliter complètement : la mémoire picturale et celle du soupçon obligent… Lire la suite


Qui ne connaît l’histoire du bûcheron et de la bûcheronne qui abandonnèrent lâchement leurs sept gamins dans la sombre forêt pour n’avoir plus à les nourrir ? Racontée aux petits enfants pour les endormir… cette scandaleuse aventure s’est fortement édulcorée au fil du temps et des récits ; chaque conteuse ou conteur veillant à en retrancher les traits les plus effrayants, elle devint l’ heroic fantasy du cadet de la fratrie, le Petit Poucet, et reçut une fin heureuse et aussi soporifique que la berceuse, dors mon petit ange, dors !

C’est oublier un peu vite que pour être entré dans le royaume des doux songes enfantins, le conte n’en véhicule pas moins son lot de mensonges et que la vraie histoire, elle, n’est pas finie… Lire la suite



Trace cicatricielle en forme de boutonnière ou de bouton de bottine, c’est selon, le nombril signe organiquement la séparation de l’enfant et de la mère. Mais, pour que séparation rime avec autonomisation, encore faut-il que les deux protagonistes entérinent symboliquement la coupure. Et ça, c’est une autre affaire ! Combien n’auront dû se résoudre à passer des heures sur un divan à se le regarder, pour que tombe, enfin, ce sacré bout de cordon. C’est dire le rôle primordial que le nombril occupe dans la psyché et la conscience qu’un nombre croissant de personnes en ont.

J’irai jusqu’à avancer l’hypothèse selon laquelle la mode du T-shirt extra-court, laissant la partie du corps comprise entre la poitrine et le bas de l’abdomen à l’air, est emblématique de la charge symbolique que revêt, en la dénudant, cette portion de notre anatomie. Ce n’est pas tout : songez aussi que l’ombilic est au nombre des endroits de prédilection du piercing. D’où vient cette idée de percer un corps, sorti d’un corps, pour y placer un corps étranger, sinon de cet infatigable briscard d’Œdipe qui marche sur la route, encore et encore. Il en aura fait du chemin celui-là et il n’est pas rendu… Lire la suite


Ô toi, Seigneur de Babylone, qui règnes, à l’égal des dieux, sur le pays d’entre les deux fleuves pour le plus grand profit de son peuple, reçois ce poème, modeste contribution du scribe Kalakh, ton fidèle serviteur.

Jamais je n’oublierai ces jours funestes : J’en ferai toujours mémoire !… c’est par ces mots que mon ancêtre Uta-napishti avait, dit-on, l’habitude de clôturer le récit de la terrifiante aventure dont il fut, à la fois, le témoin et facteur. De génération en génération, mes aïeux en ont perpétué le souvenir par la parole, soucieux d’empêcher, à jamais, l’oubli de la recouvrir. Aujourd’hui, je suis heureux de pouvoir m’inscrire dans cette filiation de la mémoire en lui offrant un nouveau gage de continuité, puisque, initié par les prêtres du dieu Nabû à l’art de l’écriture, je suis en mesure de graver ce témoignage dans l’argile. Le poème que j’ai l’honneur de déposer à tes pieds n’a d’autre ambition que de restituer les événements tels qu’ils furent vécus et racontés, pour la première fois, par les survivants du drame. Un drame effroyable qui reçut le nom de Déluge. Jamais, auparavant, pareille catastrophe ne s’était produite – jamais plus, elle ne se reproduira à cette échelle – et c’est ici, en terre de Shin’ar, qu’eut lieu ce qui devait être la fin du monde, peu de temps après que les dieux aient créé les hommes pour les servir. Lire la suite


Sol, la, do, ré… Les quatre notes rituelles viennent de retentir et déjà obturent l’espace sonore de la salle du Grand Conseil.

« Les travaux d’été de l’Assemblée des Sages sont ouverts », déclare le Grand Majordome lorsque l’accord de quarte s’éteint, faisant place au silence. Un peu à l’étroit dans la Loge des Scribes, initialement prévue pour accueillir six porteurs de calame, mais qui en compte deux fois plus depuis le nouveau découpage du Monde, mes collègues et moi sommes prêts à consigner les dires des Sages, tous leurs dires et rien que leurs dires, ainsi que nous l’assigne notre mission. Lire la suite


Je le dis haut et fort, mes congénères et moi-même sommes victimes d’une entreprise de dénigrement caractérisée qui, aujourd’hui, a pris des dimensions planétaires.

Sans doute ne nous a-t-on jamais portés aux nues, mais on nous tolérait. Nous étions vus comme un aléa de la vie, quelque chose de l’ordre du coup de dé… oserai-je, mallarméen ?… Un aléa automnal, ni plus ni moins. J’en connais même qui sont allés jusqu’à nous souhaiter, c’est dire… Lire la suite


Le Bushland est le pays des aigles USA. De tous les aquilidés, les USA sont les plus grands, les plus forts, les plus puissants du monde. Ils règnent dans les airs, sur la terre et sur les mers. À l’arrivée des USA, le pays était habité par des oiseaux au plumage chatoyant à dominante rouge, qui vivaient en petites colonies et en très bonne intelligence avec les bisons alors fort nombreux. Les USA détestèrent ces oiseaux indigènes au premier coup d’œil, leur firent une chasse impitoyable et parquèrent les rares survivants, complètement déplumés, dans des cages. Lire la suite


Un feu descend du ciel et les dévore

Apocalypse 20-9

Se peut-il…

Qu’en japonais kamikaze signifie : vent divin ?

Que les hommes aient créé des dieux qui engendrent le vent de la mort ?

Qu’Aristophane évoquait déjà « un dieu adverse » dans sa pièce La Paix ?

Qu’il y a deux mille ans un lettré du nom de Jean annonçât l’effondrement de Babel ?

Que notre amnésie soit incurable ? Lire la suite


Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis son retour, lorsqu’elle reçut une enveloppe brune, cartonnée au verso, format A4, affranchie en Roumanie. L’envoi contenait trois feuillets issus d’un même bloc de papier grisâtre, représentant des scènes dessinées aux crayons de couleur. La qualité médiocre du papier affadissait singulièrement les couleurs ; l’un des dessinateurs s’en était sans doute agacé, insistant tellement sur son crayon rouge qu’il en avait percé la feuille. Toutefois, les dessins se voulaient joyeux : le jaune des soleils était d’une pâleur maladive, mais l’astre, présent dans chaque dessin, occupait une place si démesurée que le souci des auteurs de rendre la scène lumineuse était patent. Lire la suite