« Chi parla male, pensa male, chi pensa male, vive male. »

Nani Moretti, Palombella Rossa (1989)

Une beurette sexy est attablée à l’étage du Café Beaubourg avec son ordinateur portable. Seule. Je la remarque en choisissant une table avec Barbara Polla — on ne va pas inventer de noms.

moi : Oui, depuis qu’on s’est débarrassés de l’étalon or, on peut dire que les trous de balle ont rendu opalescente la menace de se faire enculer par une bite de cheval.

barbara polla : Excuse-moi, je dois répondre au téléphone.

Et là, Barbara Polla commence à parler, au téléphone. Lire la suite


La création et la ville ont en commun qu’elles possèdent des zones. Les zones sont des espaces, denses ou non, sombres ou non, des espaces plutôt « non » que « oui », qui, lorsqu’ils sont peuplés, le sont par des zonards. Qui peut se targuer de n’avoir jamais zoné ?

La zone et le fantasme sont étroitement liés, particulièrement quand le fantasme engendre plus de frustration que de réalisation. Et si l’on admet que, lorsqu’il écrit, l’écrivain couche sur papier, l’écrivain de la zone, lui, est un âne alité. Lire la suite


Papa-maman, ma douce enfance et Bruxelles qui sentait le gentil chocolat, vous ne m’aurez pas à ce petit jeu, auquel je préfère celui des plus exquis des cadavres : ceux qui traînent dans les placards.

Le plus notable des miens est un geste de consommation compensatoire : une grosse bagnole, une Espace deuxième génération (1995), V6 automatique, 17 litres pour faire cent bornes, pardonnez-moi Seigneur, mais vous me l’avez fait payer très cher. Elle a commencé à perdre de l’huile dès la livraison, l’alarme se déclenchait sans cesse et l’électronique défaillante bloquait le démarreur par temps de pluie. Néanmoins, une Espace quand on se retrouve seul pour les vacances d’été avec un petit garçon de deux ans, c’est déjà une activité en soi, du temps qui passe tout seul. On peut même dormir dedans. On peut se consacrer à l’enfant. Lire la suite


« Bravo au peuple du monde ! »

Quel prétentieux encouragement, n’est-ce pas ? Cette prétention n’est pourtant pas ressentie lorsqu’un « Bravo au peuple de… » (au choix, en cette période multirévolutionnaire) s’affiche sur le « mur » d’une page Facebook. Si l’écrivain qui félicite un peuple est prétentieux et l’internaute ne l’est pas, comment évaluer le propos ? C’est simple : il suffit de le dire. Dites : « Bravo au peuple d’Égypte », par exemple dans une soirée entre amis, dans l’autobus ou dans votre baignoire. Vous serez saisi même si cela ne vous noie pas. Lire la suite


Il porte un pull en cachemire bordeaux de chez Bouvy ou d’ailleurs, et un pantalon gris de flanelle ; il est voûté face à son écran, un fin filet de pellicules s’écoule sur son épaule. Il se penche en avant vers le clavier, relit son commentaire et, solennellement, enfonce la touche « envoi ». Il se redresse tandis que l’ordinateur lui confirme que ce qu’il a écrit est pris en compte : une pellicule sur le torrent de peaux mortes que le site Internet du quotidien francophone enterre dans un cimetière d’humour et d’insultes.

En traînant ses pantoufles, il parcourt le couloir parfumé au nettoyant à la cire qui le mène à sa petite cuisine ; il se fait cuire dans beaucoup de beurre une escalope de veau panée de chez le traiteur flamand, et une fois son repas achevé, il se sert un petit verre de Jägermeister et s’enfonce dans le fauteuil orthopédique de son salon, pour participer, au moins autant que le public assis dans l’écran de sa télé, à un débat entre journalistes, politiques, humoristes, dessinateurs et constitutionnalistes, en grignotant des bretzels. Lire la suite