Ma nièce et son serial killer

Gaston Compère,

À la trépidation de ce que ma nièce appelle platement la sonnette de rue (platement e.st son mot), je devinai que c’était elle qui la faisait fonctionner. Aucune héroïne de Hitchcock n’y aurait mis cette ardeur. (S’il y a ardeur dans ses films, m’écrivait-elle récemment, c’est dans la blondeur glacée des moumoutes de ses stars.)

J’ai dit ailleurs à quel point cette jeune personne, bien que sortie de l’adolescence depuis pas mal d’années, semblait encore y participer sans retenue. La vie émanait d’elle avec parfois une espèce de violente ferveur. Il ne faut pas s’étonner, m’a-t-elle souvent dit, que mes cheveux soient à ce point bouclés.

Effectivement c’était elle qui arrivait en pestant sur les lenteurs de l’ascenseur et ses réflexes de fonctionnaire. Elle allait encore me dire : « Ton ascenseur a vraiment besoin d’un psy ». Et peut-être encore ajouter : « Comme tous les tordus de Sir Alfred ». Et voilà que je reconnaissais son pas pressé, puis les borborygmes de sa grogne.

— Tu ne m’as pas l’air heureuse, lui dis-je. (Je lui avais préalablement ouvert la porte.)

— Je suis furieuse, oui ! J’achève de lire dans le bus un article sur ton Hitchcock.

— Mon…

— Ton Hitchcock, et il n’y a rien qui me mette hors de moi comme un journaliste qui se pique de faire de la littérature. Je ne sais pas ce qu’ils ont tous. Tous, enfin presque. Presque. Ils veulent te faire de la littérature, et un tas de types qui se veulent littérateurs font du journalisme. Ou ils sont à vouloir monter, ou ils sont à vouloir s’étendre. Tu me suis ? Il faudrait vraiment qu’ils sachent ce qu’ils veulent – comme Sir Alfred. Lui du moins n’est jamais à tergiverser. Je te dirai maintenant que lorsque je suis hors de moi, je me vois en poubelle du lundi matin : sur la rue et répandant mon contenu. Une manière de me débarrasser sans doute, en l’occurrence, et du journaliste et du cinéaste – autrement dit… voyons… du premier qui vous refile des nouvelles noires et du second des rêves d’un rose suspect.

— Calme-toi. Défrise tes boucles.

— Ah oui ? et pourquoi, s’il te plaît ? Tu m’as dit comme un vieux con (ma nièce adore ce mot, que j’emploierai le moins souvent possible par respect pour les lectrices qui se trouvent respectables), tu m’as dit qu’il me fallait parfaire – parfaire ! – ma culture cinématographique – cinématographique ! Et moi quoi ? je suis docile, plate comme une limande, obéissante comme une otarie, et toujours l’œil en coin comme Sartre. Je t’écoute. Je me renseigne. Je m’initie. Je fréquente le musée du cinématographe, et, quoi qu’on fasse, un musée sent toujours le musée. Maman a des cassettes de Sir Alfred, et je suis là bêtement à regarder Spellbound, Mamie – pas de printemps pour ce pauvre chou ! – ou je ne sais quel Notorious. Je suis de bonne volonté, moi. Et je me force à lire les commentateurs – tiens par exemple, les poissons de la Nouvelle Vague, je lis leurs conneries, et je puis me permettre de te le dire parce que tu es mon tonton…

— Je t’en prie.

— … dans cette nouvelle vague… note en passant que toutes les vagues sont nouvelles et qu’ils n’ont pas à se vanter de cette épithète… dans cette vague il y a de tout, du sable surtout et des crevettes qui ont tourné de l’œil. Voilà. Et Sir Alfred là-dedans ? As-tu jamais lu rien de plus ridicule que les dithyrambes d’un certain Truffaut qui n’a jamais eu à l’esprit que de sortir des ténèbres vraiment noires de l’existence sociale pour accéder à celles que pour ma part je trouve plus noires encore de Dolly, de Dolly, de Dolly Wood, la grande prostituée. Dont Sir Alfred était un des… disons des protecteurs. Les commentateurs font ce que j’appelle des commattentats. Dignes de ceux où s’éclatent les méchants de Sir Alfred. Le commentateur du magazine que j’achève de lire dans le bus, qui se prend pour Chateaubriand, oh, je t’assure, il m’a mise en rage. J’ai mes boucles tétanisées. Et voilà, va savoir pourquoi, que toute ma rage s’est retournée contre cet affreux Hitchcock.

— Affreux…

— Affreux. Je ressemble tout à fait aux taureaux qu’on mène à la foire aux taureaux : je n’apprécie pas qu’on me mène par le nez. Et moins encore par le bout du nez. Je n’aime pas ses grosses pattes de livreur de légumes. J’ai toujours eu l’impression en regardant ses films qu’il nous fait payer, de la manière la plus oblique qui soit, le fait, à ses yeux insupportable, d’être né entre des patates et des choux chinois. J’aime pas ça, je te dis, j’aime pas.

— Calme-toi.

— Oh, mais c’est que je me calme. Je me trouverai bientôt l’humeur aussi plate que le rêve américain de ce majestueux nabab.

— On ne te demande pas cela, mon trésor. Dieu t’a fait don de la raison justement pour parler de Sir Alfred, comme tu dis.

— Là, tu montres le bout de l’oreille – non ? Quelques appréciations tout à fait subjectives. Je te dirai de lui ce qu’Albert Cohen disait de Madame Yourcenar – mais au masculin : trop gros. Tiens, en 43, il pesait cent trente kilos, tu sais cela ? Sa bedaine énorme était gonflée de sa mégalomanie. Un mégalo, ton Hitchcock, là, c’est clair.

— Ce que tu racontes est sans intérêt. Ses films…

— D’accord, mon tonton. Là je ne vais pas fourrer le nez – mon joli nez – encore entre les doigts de notre marchand de légumes. Tu te souviens de la rue populaire au début de Frenzy. Hein, cela vous marque, les commencements – les premiers pas, les premiers pipis. Alors ? Alors on exorcise. On exorcise. On exorcise. Pour moi, tous ses films sont des exercices d’exorcisme. Il est né citoyen quelconque, on l’a nommé Fred, ce qu’il va détester, et Cockie, et l’on sait que les connotations sexuelles du mot n’ont rien de positif. Il est resté petit. Il est gros. Il est moche. Il sera vite impuissant. Regarde ses films, tout ça se devine. Mais justement, la… – prestidigitation ! chapeau, l’artiste ! – la crêpe, il la retourne, il l’arrose de sucre ! Son masque et sa ventripotence sont entre mille reconnaissables. À te dire vrai, je ne sais sur quel pied danser en regardant son image. Faut-il rire ? sourire ? soupirer ? se méfier ? quoi ? Il n’est pas acteur, il traite les acteurs d’une façon que je préfère ne pas qualifier. Tu connais son mot : « Je n’ai jamais dit que les acteurs étaient du bétail, j’ai seulement dit qu’ils devaient être traités comme du bétail ». Moi je te dis qu’il les envie. D’être acteurs justement. D’être aimé pour leur dégaine. Alors ? Il a dû un jour se jurer qu’on parlerait de lui avant le bétail. On ne dira pas : « Je vais voir un film de Cary Grant ou de James Stewart » – mais « d’Alfred Hitchcock » ! Alors il se montre. Il n’est pas acteur mais il se montre. Il adore l’autopublicité. De profil, la ligne de son corps est celle d’une poire : cette ligne, il va la tracer sur l’écran, et son ombre y glissera sa bedondaine. Tu te rappelles comment il introduisait ses courts-métrages pour âmes sensibles. Bravo. Au début de ses films, tiens, et tu le sais, on cherche son image. On doit l’apercevoir fugitivement. Le spectateur distrait du récit : Où est-il ? Ah, le voilà. Merci, doux Jésus. Le voilà, le voilà. Mais il a déjà disparu – son image a disparu pour d’autres qui sont le fruit de la patience. Il se met à toutes les sauces. Par bonheur, ce n’est pas celle au sucre candi qu’il préfère. Il passe, placide comme un bœuf, avec une expression de bœuf. J’aime ça. J’aime pas ça.

Écoute, mon tonton, je suis bon public, j’ai pas l’habitude de rouspéter, sinon lorsque c’est vraiment trop mauvais. Ce qui n’est jamais le cas avec Sir Alfred. Alors tu vas m’expliquer pourquoi Sir Alfred m’indispose. Il m’énerve. Je me dis : au paradis des Cockneys hollywoodiens, il rigole peut-être de me voir énervée. Un gros tas de spectateurs qui marchent, ça fait régiment, et je me doute – sans être sûre de rien – que l’armée lui casse ses dodus orteils. Pour moi, Sir Alfred, c’est le genre de type qui est contre, non pas par philosophie, mais parce qu’il en a bavé, et qu’il ne cesse de le faire : sa gueule de morue, sa silhouette de femme enceinte jusqu’aux yeux. Je sais, je sais, ce que je te dis est peut-être sommaire, mais je t’assure qu’il y a de ça, une rancune sourde, le désir de te fourrer le nez dans la merde : ses films sont de la merde, comprends-moi, pas comme on peut l’entendre et comme on l’entend d’habitude, bien sûr, d’un certain point de vue c’est même tout le contraire, mais je te dis que ses films sont faits d’une merde très particulière. Le voilà génial pour poursuivre son dessein, celui d’abaisser le spectateur sans qu’il s’en doute et de le faire mijoter ravi dans sa médiocrité bêtasse. Là, j’applaudis. Youpille !

Cela dit, à voir comment une fille intelligente, je parle évidemment de moi, réagit quand commence un de ses films – un film que je n’ai jamais vu —, c’est assez compliqué à décrire. C’est alors que je me hais. Il y a toujours une voix en moi qui me dit : laisse-toi aller, tu es une conne, tu n’as qu’à te laisser glisser dans le toboggan de velours, et, quand le velours sera déchiré ou tout à fait usé, tu goûteras une sensation encore plus délicieuse. Voilà. Mais la plupart du temps, j’ai beau faire. Cela ne marche pas. Et j’en suis presque à le regretter, ce qui est un comble. Car c’est clair, je vois bien que tout est au poil, ou presque, que la mécanique est autant dire parfaite, que les trouvailles sont géniales, géniales comme on dit, que ceci et que cela, et, putain ! que le gros Freddy est, excuse-moi, un mec du tonnerre de Dieu, c’est comme ça que s’exprime tante Dora, tu le sais. Parfait. Mais voilà, ce qui me débecte plus que tout est que Sir Alfred est trop sûr de son coup. Trop ! là ! trop ! En travaillant, il devait être à se dire et se redire, en tapotant sa brioche, que tous les cons allaient marcher comme un seul homme. Et je l’entends : Moi, le môme de l’East End of London, je les fais marcher tous, je fais marcher la reine – the Couine, et elle couine de plaisir, la bonne reine – et toutes les ladies qui pètent dans la soie, et tous les intellos qui le font dans leur moi, et j’ai des disciples comme Jésus superstar et des critiques à ma botte comme personne ! Et je puis employer tous les ingrédients dont j’ai envie, même les plus douteux, parce que le public les aime, des moumoutes papier glacé jusqu’aux présidents en carton-pâte, du naevus à poils jusqu’à la jambe dans son nylon noir, du mec à l’œil torve jusqu’à l’imbuvable Doris Night, et cætera, et cætera. Tout ça c’est de la mécanique – et de l’admirable ! L’œil du Maître est partout – everywhere, yes ! Cela me dérange. Dieu, s’il existe, s’est souvent gouré. Mais, dans ses meilleurs films, Sir Alfred, jamais.

Pour qui travaille-t-il ? Pour lui-même d’abord, encore et toujours, ce que l’on comprend très bien. Et puis pour le public, parce qu’il ne peut pas travailler pour lui sans le public. Normal. Et le public, Sir Alfred sait ce qu’il veut. De l’amour. Il en aura. Raisonnablement. C’est qu’il n’est guère doué pour. Alors il va lui en donner du spécial. Le plus long baiser d’amour du cinéma, voilà qui est excitant. « Ingrid, ma chère, allez, allez, tournez sur vous-même, et que Monsieur Grant n’arrive à ses fins qu’après trois quarts d’heure », hein ? tu suis, mon tonton ? De l’amour, et surtout, surtout de la peur : il en aura, à haute dose. Avoir peur, oui, mais pour des prunes. Le public veut marcher. Il marchera. Sir Alfred construit des machines pour que marche infailliblement le public. Et moi là-dedans ? moi, fille infortunée ? Les points sur les i : moi je marche, puis je m’arrête, puis je remarche, et puis je crie : Merde, non ! Tout ça c’est de l’artificiel – un artificiel éclatant et sordide. Il m’aura pas, le gros Freddy, il m’aura pas avec ses trucs !

Métamorphosé en serial killer, il se fait du bien en tuant de la femme et de l’homme à volonté, et il trouve les raisons qu’il faut à ses crimes d’onaniste. Et même les raisons les plus tordues quand il se met en tête de donner dans la psychanalyse. Il va jusqu’à dire, parole ! jusqu’à dire : « Penser du mal de Freud, c’est dédaigner Hitchcock. Dédaigner Hitchcock, c’est dédaigner Freud ». Et il sera même à remettre ça, et c’est encore plus drôle : « Si l’on ne s’intéresse pas à Lacan, on se mettra bientôt à penser du mal de Freud. Dès lors, il n’y aura plus qu’un pas à faire pour dédaigner Hitchcock ». Ah, ce verbe dédaigner, ce qu’il peut en dire long ! La psychanalyse ! rien de plus commode que la psychanalyse, ça peut tout expliquer, la psychanalyse. Moi, pauvre fille, je ne connais rien de plus minable que la conclusion de Psychose – un film culte qu’il paraît – où l’on voit un con de toubib vous expliquer sans barguigner le ténébreux mécanisme psychique qui a amené le bel Anthony Perkins à assassiner sa mère, et puis, comme tu le sais, cette malheureuse que l’on dit pulpeuse, va savoir pourquoi.

— Oh, c’est que je le sais, mon chou.

— Moi aussi, bien sûr. Mais elle a été choisie pulpeuse et placée sous une douche pour les raisons que tu devines, et qui, pour moi, avilissent le public – parfaitement ! Mon Dieu, mon Dieu, que tout est compliqué ! Et connais-tu le dernier méfait de Sir Alfred ? voilà qu’il me donne la migraine.

— Dis, si tu t’asseyais ?

— Ah oui ? S’asseoir est toujours faire preuve de prudence. Mais, tu le sais, je ne suis pas prude. Voyons, voyons, qu’est-ce que je voulais te dire ? te dire au juste ? Sir Alfred a donné le jour à cinquante-trois œuvres. Mais ces œuvres ne sont de bonnes œuvres que pour un nombre restreint de personnes. Car il faut le rappeler, le public paie son plaisir. J’ai lu, l’autre jour, que Céline, au moment où s’installait pour de bon le cinématographe (un mot qui n’en finit pas !), que Céline écrivait une assez bonne définition de celui-ci : « le petit salarié de nos rêves ». Rêve, voilà un mot bien casse-pieds. Tu l’as sûrement remarqué, l’expression « ça fait rêver » crépite pour l’instant dans toutes les bouches des médias. Le foot, ça fait rêver, non ? et je ne sais quelle emmerdeuse de mannequin est censée vous faire rêver avec une volupté particulière. Sir Alfred ? rêver c’est pas son truc. Pas de sentimentalité chez lui. C’est toujours ça, d’accord. Ce qu’il offre aux spectateurs-spectatrices, c’est comme une nuit avec une call-girl ou un call-mec. Ça va, ça va, jusqu’au moment où l’on crie, puis qu’on s’endorme – qu’on s’endorme en rue, hors de la salle de cinéma. Et il semble que le public aime ça – d’être diverti de la sorte. Violemment. Et en douceur. Pourquoi cet homme qui depuis peu a perdu son fils oublie-t-il son malheur ? Parce qu’il est à la chasse, sur les traces d’un sanglier. Tu te souviens, c’est dans Pascal. C’est bien pire chez le client de Sir Alfred : il oublie parce qu’il voit un film dont le suspense lui met les nerfs à l’épreuve. Un film, rien qu’un film. Après l’orgasme, rien. Il n’a eu que le plaisir. Rien n’est offert qui le fasse réfléchir – mais il est vrai que le gros public n’aime pas réfléchir. Rien qui le fasse espérer. Rien qui lui donne ou lui fasse deviner une raison de vivre. Une heure et demie, il a tout oublié, tout oublié, tout oublié. Il paraît que cela suffit comme justification. Misère de notre condition. Ton avis ? Moi, il me faut autre chose. Tu vas encore me dire que mon âge… ma « frémissante jeunesse »… la rengaine. Ceci, cela, micmac et fouillis, quelle salade ! Oh, je te connais ! Ma frémissante jeunesse, bien sûr qu’il y a de cela, mais il n’y a pas que cela. C’est bien plus compliqué. Le pur divertissement ? mais non. Car Sir Alfred nous renvoie à des profondeurs inconnues où il ne fait pas bon ni respirer, ni de respirer. Sa chance, ce n’est pas seulement ce que j’ai pu faire entendre. Sur cette usine à serrer et à desserrer les fesses, se dresse une cheminée qui évacue l’air nerveux.

C’est le moment de remettre au jour la caractéristique de Sir Alfred qui m’a rendu son monde supportable. Et il est vrai, on l’a mille fois citée, mais je t’assure qu’il est bon d’en parler encore. Dieu règne sur la Bible, d’où l’humour est absent. Sir Alfred règne sur un monde qui serait intolérable si l’humour n’y glissait sa gaieté sans illusion. Bien sûr, je sais que, dans un film, le suspense n’a de vertu que pour autant qu’il ne se manifeste qu’à des moments choisis et préparés. Je vois ce genre de film comme un élastique que l’on tend et que l’on retend jusqu’au moment où il cède. Allons, je veux bien porter au crédit de Sir Alfred que l’humour ne s’introduit pas dans son récit pour la seule raison qu’il lui faut rendre le suspense efficace en ménageant le spectateur, en lui permettant de se détendre par quelques gloussements. Et je t’avouerai que cela me fait plaisir de te dire que Sir Alfred n’est pas un serial killer de série : en homme intelligent, il tient à jouir efficacement de ses crimes. Il est sans cesse à mettre en doute un monde de mirages. Il poserait une patte artificielle à un chien si cette patte – gainée préalablement de soie, de soie noire, bien sûr, et adornée d’une jarretière nocturne, si cette patte pouvait contribuer à l’atmosphère du film. Je puis te donner des exemples, ils pleuvent.

— Ne te fatigue pas, fillette.

— Tiens, Janet Leigh-la-pulpeuse, tu vois – la seule vraie vedette hollywoodienne du film. Il l’emploie une vingtaine de minutes, puis couic ! Merci de votre dernier soupir, ma chère. Soupir est évidemment un euphémisme. La voilà sortie. Et l’on passe le restant du film avec un acteur néophyte et des acteurs de seconde zone. Cela m’a fait hurler de rire. Le choix des personnages et leurs rapports sont souvent d’une cocasserie parfaite. Comme souvent dans la vie si l’on fait l’effort d’ouvrir ses quinquets. La jeune et sentimentale personne : « Oh, que je l’aime, mon oncle ! ». Et voilà que l’oncle est un tueur de vieilles dames. C’est un peu pour cela que je t’aime, toi aussi : quel est le numéro de la vieille dame que tu viens d’expédier ?

— Oh, je t’en prie.

— Ou bien… Hé, là, vous le curé, comment avez-vous combiné votre assassinat ? Et ceci : pour devenir gibier, que faut-il faire ? Il faut téléphoner à sa maman, bien sûr. Comment communiquent les espions ? C’est tout simple : par les ailes de moulins à vent. Mille astuces, comme on dit ici. J’aime ça. C’est que Sir Alfred, s’il tue parce qu’il lui faut se soulager l’âme – ce qui reste à prouver, bien sûr – le fait aussi, et j’y reviens, pour se payer la tête en fin de compte du sceptique. Sir Alfred est une Salomé quelque peu au masculin.

Les spectateurs sont tous des Jean-Baptiste, et le plus drôle est qu’ils paient pour le plaisir de la décollation. Après tout, pour l’homme, la tête est la première ennemie. Cela dit, si je trouve amusante sa collection de têtes, j’ai horreur de penser que la mienne pourrait en faire partie. Bas les pattes, Sir Alfred. Je suis jeune et consciente. Et une vraie jeune fille par-dessus le marché.

Oh, grand dieu, qu’elle se taise ! Et c’est comme si elle lisait en moi à livre ouvert.

— Mon tonton, je vois ce que tu veux : que je… que cette femme disparaisse ! Pas l’ombre d’un doute. J’en ai des sueurs froides. Au secours, au secours, il veut me mettre la main au collet ! Oh, dites-moi, qui a tué sa nièce ? L’homme qui en savait trop, bien sûr. Armé comme un agent secret et tenu à la loi du silence. Pas à pas, il a grimpé les trente-neuf marches. Grâce au ciel, il a raté la quarantième : c’est comme ça que le crime n’a pas été parfait.

Elle riait, riait. Elle devenait folle, ma parole. Je le lui dis. Elle acquiesça, eut ce qu’elle appelait un bon bond et me tomba dessus en criant :

— Je prends un bisou à la corde.

Drôle d’oiseau.

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