au nouveau ministre de la Culture

1

Le but ultime de la culture est de vaincre la logique de guerre, donc de favoriser ce qui la combat, de lutter contre ce qui la provoque. Ce qui combat la guerre avant tout s’apparente à l’intelligence ; ce qui la provoque, à l’ignorance.

Veuillez excuser. Monsieur le Ministre, la trivialité de ce préambule.

Je définis l’ignorance comme inaptitude à créer des liens entre le singulier et l’universel ; comme défaillance à scruter l’invisible derrière la surface des apparences. Celles-ci n ’offrent le plus souvent qu’un écran de généralités banales, voire plus ou moins originales, ayant pour fonction première d’occulter les enjeux essentiels.

On annonce mon nom l’heure de gloire est arrivée pour Jean Blanchard appelé en studio si Marie pouvait voir la cravate rouge offerte par elle en voyage de noces à Venise et ce maquillage annulant les dix ans qui nous en séparent Blanchard il ne manque plus que toi sur le plateau de l’émission littéraire wallonne je regarde ma montre elle aurait dû commencer depuis quarante secondes et tu es là Blanchard écrivain de première en Wallonie la preuve tu publies chaque trois mois dans Marginales pas comme ce type au téléphone tout de suite j’ai reconnu la voix de l’autre fois ça doit faire bientôt six mois quand Marie a commencé de mais pourquoi je pense encore à lui ce soir si je m’embrouille devant la caméra que diront demain les collègues de la page télé oui mais si je reste ici quel scandale Marie la voix d’un de ces agités du bocal qu’il nous faut subir quand le standard de la rédaction ne fait pas son boulot comme d’habitude en pareil cas le cinglé revenait à la charge dès ses premiers mots je retrouve l’intonation gutturale entre toutes même s’il faut avouer que je n’avais pas établi de lien direct à la lecture de son texte signé d’un autre nom lettre ouverte à un futur ministre de la culture une de ces intuitions bizarres Marie juste au moment de décrocher je savais que c’était l’olibrius qui voici près de six mois nous avait envoyé au journal cette vulgaire chanson de rap tu t’en souviens Marie nous n’habitions pas encore en Wallonie je revois ton brusque changement d’humeur ce soir-là dans la robe de mariée que tu te plaisais toujours à porter quand le caprice t’en prenait même dix ans après le voyage à Venise et que j’avais ensuite éconduit proprement au téléphone monsieur nous n’avons pas d’explications à vous donner d’ailleurs je suis attendu à l’instant en conférence un de ces scribouillards comme tu disais Marie dont la bile se répand chaque jour sur les tables des rédactions mais le style n’était pas le même ce n’est qu’au coup de fil que j’ai fait le lien tous les liens Marie depuis six mois retentit en moi la voix de Marie je veux dire non pas depuis six mois Marie sur l’air de dans la vie faut pas s’en faire

Quand tant de jeunes prolétaires   Sur l’unique écran planétaire

Oublient toutes leurs petites misères   Si nécessaires si passagères

Hallucinés de joies guerrières   Ivres d’extases militaires

États-Majors hauts fonctionnaires   et présidences de la Terre

Jouent ensemble à la guéguerre   Sous le label humanitaire

Sur vidéo satellitaire

mot à mot les mots

de Marie ce rythme de rap dans ma tête Jean Blanchard on te cherche partout je devine les lampes qui clignotent à l’entrée du studio le silence d’angoisse un fauteuil vide et la rouquine on vient de perdre l’écrivain Jean Blanchard avec son accent fardé qui s’excuse l’autre invité précisément notre nouveau ministre de la culture sourit tout seul il tiendra le crachoir oui dès la lecture du titre j’aurais dû deviner puisque le début de son texte parlait aussi de guerre.

2

Déjouer les pièges de l’ignorance est le seul projet culturel qui vaille, dans ses dimensions pédagogiques, artistiques, littéraires, scientifiques, techniques, philosophiques, mais aussi athlétiques. L’olympisme n’unit-il pas idéalement, dès son origine conjointe au théâtre, l’esthétique à l’éthique et au politique ?

L’hilarité que provoquerait chez les dieux une telle question si elle leur était posée, dans les conditions de corruption et de mercenariat généralisés d’aujourd’hui, surplomberait le gouffre d’enfer existant désormais partout entre réalités et non plus simples illusions comme jadis, mais systématique du faux, de l’ersatz, du fac-similé, du leurre, du trompe-l’œil, de l’hypnose collective programmée.

Il s’agit donc bien d’un grand jeu, comme le devinait Nietzsche.

Car la guerre d’aujourd’hui est précisément celle des simulacres contre la substance même du réel. Le champ de bataille de cette guerre est le marché, à la logique duquel obéissent désormais toutes les sphères ayant eu jadis vocation d’autonomie et de liberté. Les États-Majors qui gèrent ce marché n’envisagent de préférence leurs victimes que désarmées sur le plan de l’intelligence et de la culture.

Ils n’ont besoin de ces dernières que comme apparence. Puisque la marchandise, dans sa logique de guerre totale contre la substance invisible qui définit l’humanité, se présente comme seule transcendance.

Charabia phrases confuses mots creux pour épater quelques amis je lui ai dit au téléphone si le moindre stagiaire du journal s’avisait de remettre une telle copie sur-le-champ il serait renvoyé à ses études le type au bout du fil monsieur ce que j’écris n’est pas du domaine de l’information journalistique et moi je lui réponds vous croyez peut-être faire de la littérature alors lui de sa voix prise par l’alcool il n’y aurait plus la moindre place dans l’espace public pour l’expression d’une pensée critique et autres balivernes je lui ai fait comprendre qu’il avait bien de la chance que moi Jean Blanchard écrivain publié dans Marginales et responsable de la rubrique des cartes blanches ouverte au lecteur distingué dans le plus important quotidien francophone du royaume je sacrifie trois minutes à de telles inepties mon cœur Marie ça fait six mois la première fois que tu l’émission doit avoir commencé depuis cinq minutes j’imagine la tête d’un ministre de la culture à la lecture de pareilles foutaises aussitôt les subventions menacées pour la presse libre et indépendante pilier de la démocratie moi Jean Blanchard sur le carreau Marie que diront demain les collègues impossible de faire autrement Marie la première fois mais aussi les suivantes je ne m’étais pas rendu compte on venait de s’installer à la campagne parce que tu ne supportais plus Bruxelles tiens c’était juste après la première histoire du type au téléphone et ton brusque changement d’humeur au retour d’une soirée de football qui t’avait remplie de bonheur malgré la défaite belge par la seule grâce d’un attaquant wallon que pour ma part je trouvais plutôt lourdaud mais bon il te fallait la Wallonie alors on a cherché pas trop loin de la capitale et tu as eu le coup de foudre pour cette maison dont la frontière linguistique séparait le jardin d’un terrain en friche à la lisière duquel étaient plantés des poteaux bien utiles pour accrocher tes cordes à linge de sorte que d’un côté du fil où pendaient nos draps tu croyais respirer un air fétide et de l’autre comme purifiée par la lessive ton ample et douce et ferme poitrine palpitait sous la robe de mariée que tu aimais porter le weekend rien que pour ton petit Jean Blanchard à s’emplir de bon air wallon je te disais alors pour plaisanter Marie c’est quoi la Wallonie tu crois peut-être qu’une même atmosphère baigne les anciens charbonnages du Borinage et les rives de la Semois qui s’arrête pile à ce fil où sèchent mes chemises alors ton rire et mes mains pour agripper tes cuisses sous la robe blanche entre nous un drap vertical où l’on s’empêtrait comme deux fantômes sous un seul linceul bannière immaculée portant de part et d’autre un lion et un coq invisibles ta robe de mariage tombant sur le gazon Marie la même robe virginale qui était à tes pieds sur l’autel d’une église de village où je t’ai vue danser ce rap

Où l’esprit et où la matière ? Où est le verbe où est la chair ?

Comme autrefois devant Hitler Et non sans conspuer Haider

L’immonde ver on laisse faire Ce sont d’autres boucs émissaires

Qui servent de paratonnerre Aux modernes rayons laser

Des nouveaux seigneurs de la guerre

mot à mot les

mots de Marie ce rythme de rap dans ma tête Jean Blanchard sur le plateau la rouquine doit croiser et décroiser les jambes devant notre ministre de la culture j’aurais dû tout deviner avant le coup de fil puisque le texte de ce type parlait aussi d’initiation.

3

Tous les êtres humains ont plein droit d’accès à leurs multiples identités, donc à celles de chaque autre être humain. L’exercice réel de ce droit passe par une ou plusieurs initiations. Si la culture a quelque raison d’être, c’est d’assurer au mieux les modalités sociales de ces voyages initiatiques.

Pour s’envisager à l’échelle mondiale, un tel projet s’enracine aussi dans le particulier de ce qui est encore notre pays. Une réflexion véritable sur l’histoire de ce dernier remplacerait avantageusement beaucoup de bavardages consensuels monopolisant l’espace public à l’occasion, par exemple, d’échéances électorales.

Ne voit-on pas combien l’unanimité à prétendre dénoncer un mal nourrit ce mal, quand elle en ignore les causes et sert de façade rassurante à une bâtisse profondément lézardée ? Bien sûr, un climat d’artificielle euphorie donnera le change dans l’immédiat, tous les regards étant braqués vers tel pan de la façade où les symptômes de moisissure paraissent résorbés. Les redoutables failles auraient-elles disparu pour autant ? Une réflexion véritable sur leurs origines contribuerait peut-être. Monsieur le futur Ministre, à un éclairage étonnant sur les crises de la planète.

N’était-ce pas toi la première Marie qui me mettais en garde contre ce genre d’énergumène assaillant les journaux de proses convulsives où sans le moindre talent d’écriture n’importe qui s’adresse à un ministre même futur de la culture pour éructer ses rancœurs accumulées quand la mission qui est la mienne à la barre d’un grand journal est de tenir ferme le gouvernail de l’idéal et de garder fixe le cap des idées claires pour faire progresser vers l’avenir d’une prospérité planétaire le grand navire de la démocratie en évitant toute dérive de langage même si l’on sait bien que tout ne baigne pas dans l’huile à la salle des machines tiens l’émission littéraire doit avoir dépassé le quart d’heure je me demande ce que le ministre peut encore déblatérer le son de sa voix me parvient assourdi depuis le couloir qui peut bien savoir où est Jean Blanchard toi seule Marie m’aurais trouvé ton instinct de chatte ce fameux sixième sens comme tu disais en creusant les fossettes et les légères imperfections de ton visage se métamorphosaient à mes yeux pour te donner l’allure d’une star comme cette première fois Marie que je me suis réveillé en pleine nuit cela faisait déjà combien de temps ces sorties sans que je m’en fusse aperçu bien sûr tu en avais l’habitude quand nous vivions à Bruxelles il y avait tant de cafés ouverts jusqu’au matin quelle impulsion en toi pour ainsi prendre le large ou quitter ta cabine de luxe et t’aventurer dans les cales obscures de la ville tu me disais de ne pas m’inquiéter je te faisais confiance n’est-ce pas toi qui avais insisté pour changer de cadre de vie la campagne t’apaiserait bien sûr malgré mes plaisanteries à propos de ta Wallonie finissant au bout du jardin l’idée me plaisait d’être loin des bistrots car tu ne pouvais savoir l’épouvante où j’étais au cours de ces sorties nocturnes alors la première fois que je me suis réveillé seul dans notre lit de Wallonie où étais-tu l’attente longue et vaine jusqu’à cette heure vague entre la dernière chouette et le premier coq par la fenêtre quand j’ai aperçu ta silhouette errant au loin sous la pluie quand j’ai vu s’approcher ton visage illuminé par un lampadaire et puis ta rentrée féline sans le moindre bruit je faisais semblant de dormir comme les fois suivantes chaque fois je continuais de feindre le sommeil sans oser t’en parler durant le jour Marie où allais-tu six mois que le cirque a duré jusqu’à ce rap

Ce sont d’autres missionnaires Qui prêchent le goût du calvaire

Aux victimes de l’immense galère Ce sont de tout autres suaires

Qui servent aux néo-gangsters Pour faire accepter les cimetières

Dans un déluge de poussière

mot à mot les

mots de Marie ce rythme de rap dans ma tête Jean Blanchard on ne me cherche plus depuis longtemps d’ailleurs le ministre de la culture a fini son laïus l’émission littéraire touche à sa fin la voix de la rouquine présente sans doute encore la couverture de mon dernier livre ainsi que toutes ses excuses pour cette absence incompréhensible oui j’aurais dû tout deviner puisque le texte de ce type parlait de corps sans têtes et de têtes sans corps.

4

Imagine-t-on, en effet, que la maison commune de l’humanité survive aux schizes entre Nord et Sud, riches et pauvres, corps privés de têtes et têtes sans corps ?

Une civilisation qui, à domestiquer la nature, aboutit à corrompre l’eau, l’air, la terre, le feu ne devrait-elle pas être repensée de fond en comble ?

Une société où la force de travail humain est une marchandise ne gagnerait-elle pas à s’interroger sur ses origines et fins ultimes ?

Un système faisant de l’argent son alpha, de l’accumulation du capital son oméga, réduisant chaque être au rôle de citoyen lambda qui n’y comprend plus un iota, doit-il se glorifier de voir les fonctions culturelles assumées par des psys ?

Un rapport social dont l’essence est la domination du travail mort sur le travail vivant, de la valeur d’échange sur la valeur d’usage, ne pourrait-il pas être interrogé dans ses racines ?

Marie d’où viennent de tels galimatias dont l’intention comique n’est même pas prouvée je ne regrette rien Marie car vois-tu la souffrance au cours de ces six mois je ne crois pas qu’un autre homme aurait pu l’endurer même si j’admets un partage des torts dans ce qui s’est passé mais n’était-ce pas toi-même qui me conseillais d’être ferme quand il s’agissait de textes si j’ose dire sans queue ni tête où les mots ne semblent alignés que pour épater on ne sait quelle galerie de sinistres aigris du genre de ceux que tu retrouvais à Bruxelles dans certains cafés passant leur nuit à rabâcher des propos incohérents contre une société où ils n’ont pas été capables de trouver place et tu étais même d’accord avec moi quand j’ajoutais que ces critiques mal formulées n’étaient pas loin d’un détestable poujadisme principale dérive à éviter pour le navire de la démocratie Marie rappelle-toi je n’usais alors que des mots de ton propre vocabulaire diurne une fois dégrisée des sortilèges de la nuit je crois voir encore ton geste de dédain pareil à celui d’une infante redressant la tête et levant la lèvre inférieure pour d’une chiquenaude balayer cette engeance qui te donnait la chair de poule n’empêche qu’une autre nuit tu t’en allais les retrouver d’où venait cet appel en toi vers leur naufrage mais si depuis notre installation en Wallonie mon erreur a été de jouer la comédie fermant les yeux et retenant mon souffle quand tu rentrais te glisser entre les draps aux heures matinales ton crime impardonnable fut de me trahir poussée par je ne sais quelle fièvre maligne le mot n’est pas trop fort Marie car c’est bien la morsure de quelque insecte des tropiques dont ton être le plus profond a été la victime et j’ai vu cette aube-là comme pour la première fois je m’étais risqué à te suivre par les rues sombres du village jusqu’à cette petite église romane qu’il s’agissait d’un mal incurable aurais-tu pu te mettre à ma place et voir par les yeux de Jean Blanchard une scène pareille dis-moi que pouvais-je faire d’autre heureusement l’émission littéraire est terminée quelle réplique aurais-je pu donner au ministre de la culture dis-moi Marie tu m’aurais conseillé de déballer notre linge sale à la rouquine et de révéler en direct la manière dont j’ai surpris ma femme aux petites heures ayant ôté sa robe de mariée pourquoi pas décrire le spectacle ça aurait fait monter l’audimat l’épouse de Jean Blanchard en train de se trémousser nue sur l’autel d’une église de village en compagnie d’un vieillard nègre hilare et barbu se prétendant réfugié d’on ne sait quelle ville africaine bombardée six mois plus tôt en qui je reconnaissais la voix gutturale du téléphone celle de la récente lettre ouverte au ministre de la culture mais aussi Marie celle de l’auteur d’un rap à ce point vulgaire que j’avais tenu à t’en faire lire les paroles un soir après le football quand nous habitions encore à Bruxelles Marie si tu savais comme je me suis mépris sur ta réaction de joie enfantine après cette lecture et comme je fus aveugle devant la petite danse que tu improviserais alors une même transe que celle à laquelle plus tard je verrais ton corps s’abandonner pour les beaux yeux d’un sans-papiers d’abord agenouillé devant toi sur un prie-Dieu les mains jointes et la tête inclinée comme dans l’adoration d’une sainte Marie ta robe de bal ayant glissé par hasard sur l’autel de l’église rêvais-je ou était-ce réel cette occupation sauvage à deux personnes d’un lieu de culte et d’abord par quelle effraction ce nègre t’y avait-il fait pénétrer ce qui en termes juridiques élevait le délit au rang de crime franchement Marie comment devais-je réagir sans doute il ne manquait pas de miséreux dans les soutes inférieures du navire de la démocratie t’avais-je dit six mois plus tôt mais était-ce une raison de parler en rap je veux dire n’aurait-il pas mieux valu pour lui qu’il s’exprimât dans une langue plus correcte auquel cas je me serais fait un devoir de publier sa prose tout cela Marie j’essayais de te l’expliquer ce soir-là comme nous venions de rentrer du stade où tu avais encore tenu à porter cette fichue robe de mariage usée jusqu’à la corde pour applaudir l’attaquant wallon de notre équipe nationale rappelle-toi Marie c’était la Coupe d’Europe de football grâce aux copains de la rubrique sportive j’avais reçu des places et tu étais heureuse car malgré la défaite le joueur de ton coeur s’était distingué quand voulant revoir les images du match à la télé nous sont parvenues celles d’une guerre au Congo dans laquelle en aucune manière la responsabilité de notre pays ne se trouvait engagée ne sois pas de mauvaise foi Marie je crois t’en avoir fourni les preuves par A + B ne suis-je pas payé pour être bien informé alors ton attitude a brusquement changé Marie je ne reconnaissais plus mon éternelle fiancée tu a repris la feuille manuscrite envoyée par cet homme inconnu qui n’en resterait pas un pour toi puisque près de six mois plus tard

Et ce sont d’autres légionnaires Payés pour les mêmes sales affaires

La peau bien sûr pas aussi claire Qu’au temps béni des missionnaires

Certains d’entre eux jadis portèrent L’uniforme du F. P. R.

D’autres osaient arborer naguère Une médaille révolutionnaire

Ainsi prévient-on la colère De tous les braves supporters

Et d’autres naïf rastaquouères Dont trop d’sang sur l’écran tempère

L’ardent soutien des footballers Sans doute même un rien modère

La soif pour une Jupiler Et peut donc faire que désespèrent

Les éminences publicitaires

mot à mot les

mots de Marie ce rythme de rap dans ma tête Jean Blanchard les projecteurs du studio se sont éteints depuis plusieurs heures et je reste seul dans le noir d’une chiotte où l’on découvrira mon corps à l’aube j’aurais dû deviner tout de suite que c’était le même type vu que l’autre texte celui qui s’adressait au futur ministre de la culture finissait en parlant encore de guerre et d’ignorance.

5

C’est à quoi, secrètement, depuis plus de deux siècles, oeuvrent toutes les grandes créations produites par le génie humain. Sans la moindre exception Diderot, Rousseau, Baudelaire, Nerval, Stendhal, Balzac, Rimbaud, Lautréamont, Verlaine, Hugo, Flaubert, Zola, Mallarmé, Proust, Céline, Aragon (mais aussi Charles De Coster, Camille Lemonnier, Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Charles Plisnier…), pour ne s’en tenir qu \à quelques noms d’une culture et s’arrêter au seuil de l’époque contemporaine, ont questionné les racines d’un monde qui est toujours le nôtre, même si quelques machines assurent le contraire.

Mais j’y pense : aucun nom féminin ne figure dans la précédente liste. Celle-ci se fiât-elle allongée pour englober les dernières décennies, les femmes y occuperaient sans doute une place majeure. N’est-ce pas un effet du combat séculaire contre la logique de guerre et l’ignorance ?

Jadis on rêvait l’âge d’or comme une ère où s’offrait à chacun le miel et le lait. Or le miel et le lait sont à portée de toutes les mains. Quel infranchissable abîme, quels écrans nous en séparent-ils ?

C’est au poète Heinrich Heine que revient la formule : « Nous voulons du pain, mais aussi des roses. » Si cet admirable vœu a déjà fait l’objet d’une récupération politicienne, si l’on a vu ministres et présidents brandir des roses, ne tenaient-ils pas, comme l’écrivait Charles Plisnier, une bombe dans l’autre main ?

Assez joué avec le feu.

Monsieur le futur Ministre de la Culture, un humble citoyen vous invite à ne pas négliger le combat contre l’ignorance.

Tout est fini Marie je te salue c’est mieux ainsi ton corps sublime paré d’une robe de mariée repose dans l’église d’un village de Wallonie auprès de la tête du nègre dont le corps servira de pitance aux corneilles de la forêt voisine ainsi que ton joli visage mais aucun enquêteur ne pourra deviner quelles furent les dernières paroles prononcées par tes lèvres sacrées

Parler de paix mais agir guerre C’est la devise noble et fière

Très honorable et salutaire D’l’aristocratie financière

Tous ces nouveaux capitulaires Du ciel d’là terre et de la mer

Depuis que la guerre cyber Se gagne d’abord dans l’atmosphère

C’est donc encore bien Dieu-le Père Fils de ce bon vieux Jupiter

Et leurs castes religionnaires Qui ne manquent toujours pas d’air

Pour lancer leurs pets mortifères Transformant une ville en enfer

C’est eux qui jouent aux éclairs Très loin jusqu’au diable vauvert

Car faut pas que ces nègres espèrent De leur vie un autre salaire

Eux les fils maudits de la Terre

mot à mot les

mots de Marie ce rythme de rap dans ma tête Jean Blanchard les premières lueurs du jour ont vaincu les ténèbres de ces toilettes un esprit de burlesque pathos dont ne peuvent être tout à fait dépourvus les gens de notre profession m’avait dicté le scénario d’une sortie de scène tragique mais la vie a repris le dessus Marie pardonne-moi cette cravate que tu m’avais offerte lors de notre voyage de noces à Venise ne servira pas d’instrument fatal dans quelques instants je la réajusterai sous le col défraîchi d’une chemise que jamais plus tes mains adorées ne suspendront à la frontière de la Wallonie j’ouvrirai donc bientôt la porte des toilettes car il doit être l’heure des premiers journaux télévisés il me suffira d’entrer dans un studio pour livrer ce petit scoop imagines-tu Marie la rigolade sans parler de la déception des collègues à la rédaction quel titre auront- ils choisi pour gonfler le suspense en première page du journal où nul ne m’a jamais pris pour un plaisantin leurs coups de téléphone affolés toute la nuit rencontrant ta voix sereine sur le répondeur alors pour devancer les choses je me pointe on se connaît tous dans le milieu Jean Blanchard disparu la veille au soir juste avant l’émission littéraire fait surface au matin pour annoncer qu’il est resté prisonnier des chiottes expliquez-nous un peu ce gag Monsieur Blanchard vous n’êtes pas spécialement connu pour être coutumier de telles facéties vos œuvres romanesques plutôt du genre austère en attestent jugées par la critique empreintes avant tout d’un souci d’élévation morale et d’une rigueur allant jusqu’à l’excès dans la méditation sur les destinées ultimes de l’homme n’empêche Marie quel invisible lien pouvait-il t’unir à ce nègre comment a-t-il pu ainsi te posséder bien sûr il y a six mois je ne m’étais pas méfié de ton brusque changement d’humeur au retour du stade face aux images de la télé quel cours secret les événements ont-ils alors pris pour te faire décider de quitter la ville et ses cafés quel sixième sens a-t-il opéré chez toi pour me faire accepter de nous installer en Wallonie par quelle curieuse trame du destin serai-je conduit à tirer de ce drame une pièce de théâtre qui donnera la parole à ce nègre et puis se trouvera-t-il une scène pour l’y représenter en Wallonie ou ailleurs en Belgique ?

Partager