In memoriam matris (obiit 1.III.95)

Elle était déjà très vieille. Une petite fille criait :

« regarde, mémé, c’est l’hiver ! » Et elle disait :

« j’aimerais tellement aller jouer, jouer encore

dans la neige ». Le printemps venait, un printemps

plus tard elle serait morte. Mais elle disait :

« j’aimerais tellement courir, courir dans

la pluie, toutes ces gouttes sur mon visage ».

Fini l’été, fini. Elle disait :

« Ces petites pommes, j’aimais tellement les sentir, surtout

celles qui étaient dans l’herbe, au grand jardin de

mon papa. Ça sentait bon, si bon ». Ses rides

enchantent son sourire, le passé

s’est entrouvert. Soudain, une petite fille devine

une fille vieille dans un jardin d’Éden.

Un pauvre diable au cimetière

Pleine de chagrin,

sa petite tête,

si peu profonde.

L’ami est mort.

Ça coule, ça coule,

c’est trop fort.

Que tout le monde

voie ses larmes,

ce poids de honte

ne suinte pas

à travers le brouillard

de sa tête,

sa pauvre tête,

qui doit mesurer

le chagrin dans toute

sa largeur cruelle.

 

La bêche

Elle arrache sa mangeaille à la terre. Sa lame

enfouit ce qui s’arroge le droit de vivre au ras

du sol. Celui qui la rabotait, la forgeait,

ne veut pas d’herbe drue. Il veut le navet, les feuilles comestibles.

Le fer empoigne le bois. Fidélité indiscutable.

Son maître cogne. Elle taille, elle tue. Tout ce qui

cherche le noir, elle le lève vers la lumière.

Elle prépare un lit de mottes pour une vie fructifère.

 

La brique

Elle garde les angles de la main du maçon.

Elle prend la régularité des rayons de miel

quand, avec ses pareilles, elle trouve sa liaison,

la discipline du niveau. Elle respire par les croisées,

la voûte et la porte éclairent son intelligence.

Elle est prête à tout, elle supporte tout. Ruelle hollandaise,

cloaque romain, de Babel au gothique,

elle est la callosité des villes. Un envol, parfois.

(traduit du néerlandais avec le concours du Centre de traduction et de poésie de Royaumont, et Rémi Hourcade)

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