« Johnny est mort ! »

L’homme, un octogénaire distingué, flânait le long de l’avenue, lorsque le cri de désolation absolue le stoppa net. Cherchant du regard autour de lui, il aperçut une jeune femme immobile : blême, elle fixait l’écran de son smartphone avec horreur. Sans s’arrêter les passants avaient tressailli et, dans un même geste — qui parut énigmatique au vieil homme —, plusieurs avaient sorti leur téléphone. Cette indifférence générale face à la détresse de la jeune femme l’offusqua. Une représentante du beau sexe avait besoin de réconfort et on la laissait seule. Pire, quelqu’un avait lâché : « Mais on s’en fout ! » En parfait gentleman désireux d’offrir son aide, le vieil homme s’approcha : d’une voix blanche entrecoupée de sanglots la jeune personne psalmodiait pieusement l’impensable qui l’avait terrassée : « Johnny est mort ! » Engloutie par le chagrin, coupée du monde, elle ne remarqua pas sa présence. Devait-il intervenir, attendre qu’elle reprît ses esprits, respecter sa douleur et s’en aller ? Quelqu’un passa en trombe et la bouscula, son sac à main tomba : spontanément le vieil homme le ramassa. Libéré de son embarras, il se découvrit, tendit le sac avec respect, se présenta et, à mi-voix, prononça une formule de circonstance. La jeune femme entendit les mots attentionnés et se tourna vers lui. Longuement elle le dévisagea d’un air scandalisé, puis explosa, lui gueulant un formidable « Connard ! » Après quoi, elle lui arracha le sac et disparut dans le flot des passants.

Le vieil homme en demeura tout pantois, mais de nobles principes l’empêchèrent d’en vouloir à une femme qui, parce qu’elle était bouleversée, n’avait pas su accepter quelques mots bienveillants : « Je compatis. Un parent à vous ? »

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