Laure, Laetitia, Lionel, Raphaël, Natacha, Serka,
petits et grands enfants de nos enfants,
que deviendrez-vous ? comment vivrez-vous ?
comment ferez-vous vos propres enfants ?
Je suis verte de trouille pour vous tous,
j’ai une peur bleue pour le genre humain.
Que mangerez-vous et que boirez-vous ?
dans quelle atmosphère baignerez-vous ?
Je panique pour la planète bleue,
je crains que vos vallées ne soient plus vertes,
ni transparente l’eau de vos rivières,
ni blanches les fleurs de vos cerisiers.
Comment survivrez-vous ? que ferez-vous ?
trouverez-vous le moindre gagne-pain ?
Je me tracasse pour votre avenir,
car je ne crois pas aux belles promesses
et constate tous les mois, tous les jours,
que croît le nombre des inoccupés.
Que lirez-vous ? si vous lisez encore…
et vous arrivera-t-il d’écrire ?
Quelle angoisse de vous imaginer
le nez sur l’écran de l’ordinateur,
pauvres enfants de la télévision !
Je redoute les machines, leur code,
leurs interdits, leur langue de plastique
et leur stupide système binaire.
Quelle idée du monde vous ferez-vous ?
aurez-vous le culot de l’exprimer ?
Plus que tout me fait peur la soumission
et le désir d’être au diapason.
Je vois sur vous l’œil froid de Big Brother
qui me terrorise et qui vous menace
si vous sortez du rang et résistez,
si vous osez ne pas penser en rond.
Qu’entendrez-vous ? quel bruit ? quelle parole ?
et quelle musique écouterez-vous ?
Je m’affole de sons tonitruants,
de bruits de bottes et d’ordres hurlés,
de voix méchantes dans un mégaphone.
Je rêve de musique retrouvée,
simple et savante, verte et cristalline,
mais n’entends que les grognements des chiens,
les cris des mouettes dans les décharges
et dans le bleu du ciel de votre silence.
Connaîtrez-vous des amours, des passions ?
comment baiserez-vous, petits-enfants ?
Je hais les sites cochons d’Internet,
l’orgasme solitaire des voyeurs.
Je m’épouvante devant l’écran bleu
de nuits sans chair, sans odeur ni moiteur.
Je vous souhaite tendresse et verdeur,
des baisers, des caresses par milliers,
un nombre infini de petites morts,
l’amour à tous les âges de la vie.
Quels paysages contemplerez-vous ?
que verrez-vous des artistes que j’aime ?
Moins de la laideur que de la bêtise,
puisque, disait l’autre, l’horrible est beau,
j’appréhende les effets redoutables,
les images programmées, toutes pareilles,
destinées à vendre du virtuel
à la masse abrutie par le boulot
dont j’espère que vous ne serez pas.
Révoltez-vous, enfants de nos enfants !
Debout ! arrachez-vous à la torpeur,
Visitez ce qui reste des musées
et allez admirer dans la nature
les vestiges du paradis perdu.
J’ignore ce qui vous attend, enfants,
je n’ai dit que mes effrois, mes terreurs,
mais au fond de moi l’espoir demeure
d’un monde où progresse l’espèce humaine,
où triomphent des apprentis sorciers
la sagesse, l’amour et la beauté.
Qui sait, peut-être aurez-vous des jours bleus
et doux, des soirs embaumés et soyeux.
Peut-être partirez-vous loin d’ici
pour connaître l’aventure inouïe.
Je vous écris d’un pays presque mort,
d’un lieu qui n’en finit pas de s’éteindre,
mais qui respirait et vibrait encore
lorsque je découvris la liberté.