pour Jacques De Decker
Tous les oiseaux sont verts et le printemps murmure
Une phrase où les mots n’osent pas se poser.
Vivre devient à chaque souffle une aventure.
Les miroirs les plus fous soudain se sont brisés.
…
La tulipe est en feu depuis plusieurs semaines.
La jument ne sait pas s’il faut se rendormir.
L’azur se fait parole et, sur ma peau sereine,
Je crois qu’un arbre impertinent veut s’établir.
…
Le jour où je mourrai, on trouvera deux corps :
L’un qui fut moi, bien sûr, et l’autre avec une aile,
Venu de quel azur, arrivé par quel port ?
L’énigme restera, ni douce ni cruelle.
…
Où est l’esprit ? Où est le rire ? Où est le corps ?
L’amour devient trop vieux. Les poèmes se rident.
Je n’ose plus me saluer : horrible effort…
Et devant les glaïeuls je songe à mon suicide.
…
J’ai demandé à la cigogne de me dire
Si l’hiver est plus doux dans les pays lointains.
Elle m’a répondu : « Ta chanson, je l’admire,
Mais elle me fait peur quand la lune s’éteint. »
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Enfant, j’aimais l’exil : un gendarme, un voleur…
Adolescent, je contestais le sens des choses.
Je ne veux pas que l’âge mûr soit tapageur.
Mon avenir en moi déjà se décompose.
…
Je confonds quelquefois le thorax et le cœur :
Qui ai-je aimé ? Qui n’ai-je pas voulu comprendre ?
Tous les matins je suis mon propre explorateur.
Le poète marie la pivoine et la cendre.
…
Les fruits de l’an passé seront secs tout à l’heure.
Voici septembre et le printemps n’est pas venu.
Aucun de nous ne sait pourquoi le soleil pleure.
Face à l’arbre qui crie, nous sommes toujours nus.
…
J’ai, avant ma naissance, écrit de beaux poèmes,
Dont il ne reste rien depuis que je suis né.
Les poètes sont fous et je le suis moi-même :
Dès que j’écris un vers, je dois l’assassiner.
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Mon poème a grandi tout seul dans mon tiroir.
Il a la taille, enfin, d’un cerisier, je pense.
S’il veut, je l’autorise à prendre l’air du soir
Et, sous ses mots tremblants, à faire un pas de danse.
…
Il suffit quelquefois d’un vautour qui se pose
Sur ma nuque, au matin, pour que notre univers
Me paraisse innocent ou frais comme une rose,
Malgré l’oiseau en deuil devant mon crâne ouvert.
La mer parfois me parle, et c’est un beau naufrage
Parmi les arbres morts et les songes brisés.
Je ne me débats plus. Mon esprit se dégage
De ces flots criminels. Je dois me mépriser.
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Les poumons des enfants sont rouges comme fraises
Car il faut quelquefois les opérer du cœur.
L’amour est traversé d’un étrange malaise.
Chaque jour le soleil se transforme en voleur.
…
Je ne vois pas pourquoi tous les lilas protestent
Alors que ma chanson proclame leurs vertus.
Chaque mot, je le sais, peut paraître funeste
À la mouche, à la fleur, aux vents qui sont têtus.
…
Je garde au fond de moi un certain nombre d’îles :
Je ne sais pas comment il faut y accoster.
Vivre avec soi devient de moins en moins facile.
En silence l’hiver égorgera l’été.