Tambours, tambouilles du monde

Françoise Nice,

À Léopold Sédar Senghor, Arthur et Moussia Haulot

Pour D.

Au lever dans ma gorge la première eau fraîche

Pays de sources

Dans la petite cafetière italienne

Gronde l’arabica

Il va couler son disque noir

Au fond du bol blanc

Trois alezans hennissent

Et mon cerveau déchevêtre son premier mikado

Instant blanc

Je renais à ma vie

Pays de collines

Mes mains effritent le pain

Et profilent un pays sans famine

Instant gris

La nuit s’efface

Surgissent mes aimés

Première émulsion cordiale

À la grande carrière

Mes soucis, mes ennemis attaquent au marteau-piqueur

Première secousse cardiaque

Viendra-t-il le temps de nous désarmer ?

Instant vert

Le jardin se frotte à la porte

Défroisse son jupon chlorophylle

Et laisse voir son aine humide

Instant rose

Chanson au palais

Ma langue cherche sa langue

Ma bouche mousse un chant créole

Borborygmes dentifrices

Instant mauve

Dans un pincement de métal

Le tram corne et barrit

Dans la courbe des rails

Chaque jour je guette la surprise du premier visage

Ambre, noir, jaune, rose ou gris,

Au carré de mes rêves

Toutes les bouches s’ouvrent pour dire

Le bon jour

Heures de labeur

Sept tours d’horloge

Passez muscade,

Au pays de mes rêves,

Banquiers, courtiers, logicieurs

Partent trois mois par an en service civil international

Cèdent leur poste aux chômeurs

Tous vont à l’école de la bonne gestion

Instant brun

Au pays de mes rêves

Il faudra encore balayer la guerre

Sans titres-services

Instant d’or

L’aile de l’avion est palme de paix

Sémira, Yaguine et Fodé voyagent

Pour contempler les nuages Ibrahim prête son MP3 à Joe

Anne Frank enseigne l’allemand

À l’école il y a place pour tous

L’enfant revient fatigué mais heureux

Jette son cartable mais soigne ses livres

Tourne comme toupie autour de la grosse mappemonde

Avec sa gomme pour effacer les dernières frontières

Au pays de mes rêves

On ne dit plus Schengen, mais chouette j’aime

Et l’on se souvient du vieux poète

Mon désir est de mieux apprendre ton pays de t’apprendre

(Éthiopiques)

Aux lueurs du couchant

J’allume le petit feu

La fumée épaissit le crépuscule

Son parfum monte comme promesse

Qu’y aura-t-il dans la marmite ce soir ?

L’huile chante, l’oignon grésille la tomate s’y jette

Et danse l’eau du riz

C’est l’heure où toutes les femmes

se retrouvent mères ou sœurs,

Où celle qui a donné à celle qui n’a pas

Déploie la nappe sur la table du monde

Au pays de mes rêves

Nous mangeons la mangue

Longtemps après mes lèvres ont le parfum de ta peau

Et t’envoient des mots doux que tu n’entends pas

Longtemps encore de secrètes pulsations secouent nos sexes

Et font mémoire de notre bref Éden

*

[Ce texte e été primé (septième parmi quatre cent) au concours de la Maison de la Francité. Le thème de l’édition 2006 était Le pays de mes rêves, en hommage à Léopold Sédar Senghor. Ce texte a été écrit avant la tuerie et l’agression racistes du 11 mai à Anvers. Il est dédié aux familles de Songul Koç, Luna Drowart et Oulemata Niangadou ainsi qu’aux sans-papiers qui élèvent d’insistantes prières démocratiques dans près de 40 églises et lieux publics en cette fin mai.]

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