Tentative de biographie de Mobrandt et Remzart

Alain Bosquet de Thoran,

Mobrandt van Rijn et né en 1485 à Schaffhausen, en Suisse, de parents charcutiers, ce qui en Suisse à cette époque était un très honorable métier. Amédée Remzart y naquit aussi, mais trois mois plus tard. Ses parents étaient des bourgeois enrichis dans le commerce de gros.

Schaffhausen était un bourg situé au bord du Rhin (d’où le nom de « van Rijn »), à la hauteur des chutes du fleuve, les plus importantes d’Europe (1), qui imposaient aux bateliers une rupture de charge, d’où la prospérité de ses commerçants. Dès l’âge requis, les deux bambins fréquentèrent la même école, et se distinguèrent par une commune paresse, ce qui contribua à les rendre inséparables au fond de la classe.

Au début du XVIe siècle, se produisirent deux événements qui n’avaient apparemment rien à voir l’un avec l’autre. Le premier fut l’entrée de Schaffhausen dans la Confédération helvétique en 1501. Le second fut l’avènement de Giuliano délia Rovere à la papauté sous le nom de Jules II en 1503.

Un troisième fut l’appel dudit à des mercenaires suisses, le 22 janvier 1506, pour assurer sa sécurité par ces temps troublés. Il n’en fallait pas plus pour que Mobrandt et Remzart, qui étaient devenus de solides gaillards volontiers bretteurs, s’engageassent dans la troupe papale. Et en route pour le Vatican, avec la bénédiction de leurs parents, émus.

Les voilà chevauchant par monts et par vaux, leur alpenstock en bandoulière, en passant les Alpes par le col du Grand-Saint-Bernard. Ils y firent franche ripaille avec des moines bien plus rigolards qu’aujourd’hui. Mais le très chrétien devoir leur fit reprendre la route, non sans avoir reçu chacun un jambon fumé et un tonnelet d’eau-de-vie. Quand ils furent dans la plaine, ils rencontrèrent d’autres concitoyens qui avaient pris d’autres cols, et c’est en troupe bariolée et indisciplinée qu’ils arrivèrent au Vatican qui était alors un vaste chantier. Bramante construisait Saint-Pierre, Michel-Ange peignait la Chapelle Sixtine, et ne s’interrompit que pour dessiner les somptueux uniformes des gardes.

On fit loger ceux-ci précisément sous la Chapelle Sixtine, dans un vaste dortoir qu’ils partageaient avec les contremaîtres des chantiers. Toujours à l’affût d’un tour pendable, nos deux gaillards profitèrent d’une nuit enlunée(2) pour se rendre dans la chapelle. Ils gravirent les échafaudages, et arrivèrent devant la fresque, encore fraîche, où Dieu, du bout du doigt, va toucher la main d’Adam, également tendue, dans une pose d’ailleurs étrangement alanguie.

Dans la réalité (mais où est la réalité, en l’occurrence ?) Dieu touchait la main d’Adam, ce qui était somme toute logique. On devine ce que firent Mobrandt et Remzart : ils raccourcirent le doigt d’Adam. Aujourd’hui encore, la retouche est bien visible. Cela bouleversait tout l’enseignement de la Bible, ni plus ni moins. Ainsi, le premier homme ne fut pas créé par Dieu ! C’était un descendant de Lucy et quelques autres, comme on le sait depuis.

Mais revenons à nos deux chenapans. Michel-Ange ne s’aperçut de rien, étant déjà passé à la fresque suivante. Ils firent d’autres tours pendables, entre autres dans la Basilique en construction ; mais l’Histoire n’en a pas conservé la trace.

L’âge venant, la sagesse suivit. Mobrandt assista aux séances de pose de Jules II, se faisant portraiturer par Raphaël. Il découvrit sa vraie vocation, ainsi que la technique du clair-obscur, qu’il approfondit plus tard dans ses célèbres autoportraits. Quant à Remzart, il eut la révélation de la musique en écoutant chanter des anges dans la Chapelle Sixtine, et devint le musicien que l’on sait.

21 janvier 1506 : ce quintecentenaire (3) valait aussi la peine d’être salué comme il se devait. Voilà qui est fait.

(1) particulièrement spectaculaires en juillet, période des hautes eaux

(2) et (3) « Ce sont les néologismes qui font évoluer une langue » (Marc Goosse et André

Wilmet : préface à leurs Œuvres complètes et complémentaires, 2 tomes, Éd. de l’Académie)

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