Le temps : Pluvieux. Froid.
La date : au choix (on s’en fout)[1]
L’heure : aiguilles du bar sur 14 h 55
Lieu : Bar le Pigeon Noir sur la chaussée de Mons
On dirait que le comte de Liporki cherche un haïkaï dans le fond d’une coupette de champagne.
Le lieu a des lumières criardes mais pas de poésie.
Il se souvient :
Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris[2]
Je buvais à pleins verres les étoiles
Un ange a exterminé pendant que je dormais
Les agneaux les pasteurs des tristes bergeries
De faux centurions emportaient le vinaigre
Et les gueux mal blessés par l’épurge dansaient
Étoiles de l’éveil je n’en connais aucune
Les becs de gaz pissaient au clair de lune
À la clarté des bougies tombaient vaille que vaille
Des faux cols sur des flots de jupes mal brossées
Des accouchées masquées fêtaient leurs relevailles
La ville cette nuit semblait un archipel
Des femmes demandaient l’amour et la dulie
Et sombre sombre fleuve je me rappelle
Les ombres qui passaient n’étaient jamais jolies
Ça donnerait ça :
J’ai bu hier
La soirée était nulle
Seule beauté la nuit la ville les réverbères
On dirait qu’un bus est passé et que le comte de Liporki est monté dans le 84.
Il semble que l’arrêt soit au Parvis de Saint-Gilles.
II semble qu’il n’y a plus de marché.
Des pigeons picorent des pommes.
Les passants ne regardent pas l’église au fond.
Le Café de l’Union sent la cigarette la soupe et les canards jonchent les tables collantes. Une fille en robe triste. Un barbu sans lunettes. Un chien qui cherche un chemin entre les chaises.
On dirait que les clichés pris pendant le parcours ont disparu.
On ne se souvient ni de 1 Abattoir d’Anderlecht, ni de la Gare du Midi, le bus 84, on dirait qu’il n’est pas passé, sauf que le comte de Liporki est assis au Café de l’Union et commande un double crème :
— Jo vodro tosso cofo con lo morço socro !
La fille en robe triste plonge dans son livre son nez enrhumé.
On dirait que le cafetier répond dans ses rouflaquettes.
— Hi li li ? Li li didin ?
Plus loin sur le Parvis, trois clochards comptent les numéros de codes bancaires inscrits dans les nuages au-dessus de leur tête.
3443 – 6776 – 8901 – 2134 – 6812
Mais c’est plutôt grattage de poux et gros rouge que la roue de la fortune de la Foire du Midi.
À 14 h 55
Le Sergent Hopkins est sur cette affaire.
Il compte les trams en transit sur le quai sous le Parvis.
Les rails sont luisants comme d’habitude.
Le 55 précède le 28.
C’est comme ça depuis que le Selfbank perd ses billets sans explication valable.
On a beau dire, le tram à deux chiffres, faut en combiner deux pour obtenir l’équivalent d’un code bancaire.
Dans son calepin moleskine, on dirait que le sergent Hopkins a dessiné un serpent monétaire, mais on dirait aussi bien un plat de choucroute.
Son auteur[3] s’est débarrassé de lui indignement, et d’un coup de roller-bic l’a envoyé au purgatoire dans une station de métro belge.
On dirait que les blondes vénéneuses racolent mieux sur Hollywood Boulevard que les inspecteurs qui pintent au Stout[4].
(Un temps)
Arrêt biographique parcellaire du comte de Liporki.
Fonctionnaire à l’Agence spatiale européenne, ce Franco-Polonais grille son dard dans les boîtes à champagne. Hélas, sa dernière affectation manque de relief eu égard au pedigree familial qui compte le philosophe Kant et un ministre du Général de Gaulle. Sa théorie généalogique sur les origines de l’humain dans les tentacules de l’algue bleue a pris un sacré coup dans le buffet depuis qu’une agence de location par erreur d’aiguillage l’a installé avenue du Roi dans le bas de Forest au lieu de l’hôtel de Groeninge au coin de la place Royale.
On a allégué en haut lieu que l’endroit était une surface en réparation.
Plan de coupe.
Passage du tram 18 devant le Palais de Justice.
La Synagogue et Notre-Dame du Sablon.
Le sergent Hopkins descend sous le sabot du cheval de Godefroid de Bouillon.
Son imper Burberry’s et son chapeau melon entrent au musée de la Dynastie.
On dirait qu’il prend l’ascenseur -4 en direction de la rue Isabelle qui court sous les fondations de l’ancienne Société Générale avec une ramification sous la Belgolaise.
Fin du plan de coupe.
Il est 18 heures et quelque.
À la recherche d’une différence
Le Parvis baisse d’un ton.
Le comte de Liporki a rejoint les trois clodos dans le déchiffrement des nombres, les nuages ne forment plus qu’un avant le chapeau sur les dés.
La fille en robe triste joue de l’harmonica, le cul dans une flaque d’eau à l’ombre de l’église.
On dirait que les blanches et les noires forment une sarabande, la mélodie éraillée s’échappe comme un long parchemin qui flotte dans l’éther en forme d’accordéon.
Quelques passants.
Un euro dans le pot de Petit-Gervais.
Un coup part.
Le réverbère touché perd sa lumière.
18 h 89
Le comte de Liporki passe sa carte bancaire dans la fente.
Les trois clodos s’enfournent avec lui dans l’espace à billets.
Sur la place, le parchemin dégonflé de notes est retombé en confettis.
La fille à la robe triste dort, les bras croisés sur les dalles devant le grand cierge qui réchauffe l’intérieur de l’église déserte.
Dernier tram.
Le sergent Hopkins dévore une gaufre au sucre impalpable.
Derrière la flèche, l’avenue Louise est enneigée de barbe à papa qui se colle aux vitrines des magasins de luxe.
Instants de blanc.
On dirait qu’il descend au bois et se rend au Théâtre de Poche.
On dirait qu’on ne voit que des bouches qui rient et des verres cassés[5] sur scène.
Un double du sergent Hopkins a été surpris non simultanément sous les boules de l’Atomium en juillet et dans la foule des bullistes du Festival de Spa en août, suite à un clinamen d’Échelle de Richter 7[6].
Il aurait sur le dos une seconde enquête codée dans le carnet moleskine sous le pseudo d’Aurora Rodriges.
(Échappée sous les yeux de sou créateur[7] venu spécialement vérifier si la pucelle promise au gorille récitait bien le contenu du texte empreint de sagesse, d’intelligence et de savoir commandé par l’étouffante mère.)
Il l’aurait retrouvée dans un bocal de confiture sur l’étagère d’une cuisine grâce à une étiquette collée sur le bocal, les énormes mains de sa mère en plâtre recouvrant le couvercle avec force.
Retour funeste après digression
Les automobiles suivent les grands axes, une deux chevaux vert pomme attend le sergent Hopkins devant les jeux d’hiver.
2 h 98
Une camionnette croque-mort s’arrête devant le Selfbank du Parvis.
2 h 99
La police dépose dans la camionnette les dodos étouffés, la bouche pleine de billets.
On dirait que c’est un acte pavlovien qui a poussé nos trois fracturés à manger les billets dès la sortie de la machine au lieu de transformer le papier-monnaie en poulets, bières et pizzas.
On ne sait pas ce qui a déclenché cette distribution miraculeuse, le code de la carte n’a pas été encodé par la banque.
Il semblerait que les caméras de surveillances dégoûtées par l’odeur des clochards aient rétréci leur focus au maximum, les images visionnées ressemblent à des confettis.
On a retrouvé des confettis sur le Parvis.
Il faut rajouter ça :
On dirait que le sergent Hopkins et le comte de Liporki n’ont jamais circulé.
Tout récemment, cet été, la Cie Chéri-Chéri tentait l’aventure du plein air en investissant le « théâtre de verdure » près de l’Atomium, avec Une Pucelle pour un gorille d’Arrabal. http://www.ruedutheatre.info
Voyage au bout de la lettre
Archives de septembre, 2006
Rex Stout
http://pitou.blog.lemonde.fr
La république des livres :
Pierre Assouline. novembre 2006
Ellroy Confidential
L’Oulipo en pièces détachées.
http://passouline.blog.lemonde.fr
Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Georges Perec.
http://www.desordre.net/textes
Modification[8]
Vous vous dites, les trois clodos ont des noms, des départs, des arrivées, des cassures, des libertés.
Vous connaissez la chanson ?
Tram/tram
Comment se sont-ils connus ?
Ams/tram/gram/piqué/piqué/colé/gram
Typocrite/ Le Diable de Djibouti / Mister Tchak ?
Bourrés/bourrés/rata/tram
Ah si vous saviez les raisons de leurs vagabondages, les flirts esquissés, les ménages ratés, les nuits sans capote, les cargos, les trains d’atterrissages des avions, les temps d’illusions !
Ils sont passés autant de fois que le tram sur la fille à la robe triste inhumée dans 1 église au fond du Parvis.
Vous vous dites : il ne faut pas regarder en arrière, cette faim malencontreuse de consommer la vie en gloutonnant des billets…
C’est écœurant !
Il pleut sur le Parvis.
Pour l’hiver, Typocrite, Le Diable de Djibouti et Mister Tchak dorment sur un matelas.
Ils voulaient rejoindre Cécile à Rome, Maïa au bord d’une plage et manger de la salade iceberg et des hamburgers frites.
Des pigeons picorent des pommes.
Le hasard des grandes jonctions distribue les nouvelles directions.
Le marché du Parvis de Saint-Gilles recommence tous les jours de 8 heures à 14 heures.
[1] On remplace le je, qui lui, préfère ça.
Officieusement, Madeline Fraser, animatrice de radio à la riche voix de contralto, sourire ravageur personnel, svelte, très grande, plus de 40 ans, dite Lina. Étoile radiophonique, soupçonnée de divers meurtres alimentaires à l’encontre de ses défunts maris (voir plus bas).
[2] Guillaume Apollinaire, Alcools. Poésie/Gallimard
[3] James Ellroy: La colline aux suicidés. Payot.
[4] Rex Stout : Ici radio New York. Créateur de On (Madeline Fraser) introuvable.
[5] Verre Cassé d’Alain Mabanckou, à voir au Théâtre de Poche du 5 au 30 décembre 2006
[6] Daniel Simon, L’échelle de Richter, Luce Wilquin, 2006
[7] Une pucelle pour un gorille de Fernando Arrabal
[8] Toute ressemblance littéraire ne saurait qu’être le fruit de la potentialité.