Thématique de la cave

Françoise Lalande,

Refuge obscur ou centre de l’enfer, la cave croupit dans l’esprit des hommes comme l’eau des marais, dans l’esprit de celle-qui-écrit et des autres, c’est-à-dire que la cave représente une descente, de toute façon vers les ténèbres, et qu’elle s’accompagne dès lors d’effroi, et les histoires racontées aux petits enfants ne sont pas les seules responsables de cet effroi, sans doute qu’il y a en chacun de nous le souvenir des temps primitifs où la grotte, le trou, était le lieu du refuge, contre les autres et contre les bêtes (parfois cela revenait au même), contre le froid aussi, car nous sommes gens du Nord, et que la pluie, la neige, les glaces, nous les apprivoisons mieux que certains hommes, alors, comme cela, des souvenirs reviennent, aux temps de guerres barbares, où en pleine nuit, la porte de la chambre s’ouvre comme soufflée par une explosion, mais ce n’est que l’explosion maternelle, l’effroi de la mère qui s’empare du bébé endormi, comme pour le voler à une autre mère, et qui l’enrobe d’une couverture qui pique, puis la descente vers la cave (souvenir du claquement des chaussures sur le bois des escaliers), où il fait chaud, même en hiver, où cela sent le charbon et les pommes de terre pourrissantes, où le bébé ressent l’effroi de la mère, le devine, l’accueille en lui à son tour, et ce sera pour toujours, cet effroi devant l’obscurité, tu as encore peur du noir ?, sous-entendu à ton âge ?, oui, malgré les années, la scène primitive pour celle-qui-écrit, c’est la descente vers la cave, et rien d’autre, les cauchemars ?, toujours situés dans une cave, avec le murmure félin des avions qui viennent bombarder la capitale du Petit Royaume, pourtant, le bébé devrait aimer la cave, puisque il y est né, dans une autre cave où il était préférable de naître plutôt que de venir au monde (et quel monde !) dans un train vers une vilaine destination, oui, parfois, les caves sont des refuges bienfaisants, en dépit de la pauvre lumière, en dépit des odeurs humides, mais pas toujours, vraiment, et il en fut de même pour un homme-qui-écrivait là-bas en Autriche, né lui aussi dans une cave, dix ans avant celle-qui-écrit, qui ne parlera que de ça, de ce lieu improbable, aussi bien dans son roman qui le désigne de la plume, La cave, mais aussi dans ses pièces et dans ses autres textes, la cave où il est né sera derrière ses mots comme une blessure qui saigne en secret, et c’est peut-être à cause de leur naissance qui ne fut pas dans les roses, les choux ou les lilas (lilas où tu es née, mentait la mère, et c’était courage de mentir à cette époque) que certains écrivent, et que leur parole combat le monde où les enfants sont jetés, malmenés, assassinés dans les caves, Thomas Bernhard ne s’en est jamais remis, d’autres n’en sont jamais revenues, oui, lorsqu’on y est descendu pour y naître ou pour y mourir, que l’on soit homme, femme ou petite fille, c’est crime et scandale, jamais assez dénoncé, parce que la cave, refuge obscur, est en réalité, toujours, le centre de l’enfer. La preuve !

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