Wgjngnntphtgznlpn !

Tel fut mon premier contact avec les Flamands.

J’avais cinq ans. Je venais d’arriver à Heist-aan-Zee avec ma mère, pour passer quelques jours de vacances. Et je courais sur le gazon du parc. Le gardien ne m’a pas raté : « Wgjngnntphtgznlpn ! » Il n’admettait pas qu’à cinq ans je ne sache pas lire les écriteaux rouges en lettres agressives, et encore moins un mot comme « Verboden ».

Mon premier contact fut donc linguistique. Linguistique et verbalisant. Il insinua en moi le sentiment qu’en Flandre on ne badinait pas avec les étrangers qui osaient fouler le sol patrimonial.

Ainsi les Flamands furent-ils longtemps, pour moi, une race inaudible et ordonnée.

Quelques années plus tard, il y eut Leuven. Le kot, le baas et la basin. Et mes études. La philologie romane, en terre flamande, au lendemain du Walen buiten !

Si la langue m’était devenue accessible grâce à de bonnes « humanités », la fréquentation quotidienne des citoyens flamands me confortait, à leur égard, dans mon impression d’ordre et de ségrégation : « Geen kot voor U, mijnheer ; hier alleen Vlamingen »… ou, plus directes, ces affichettes aux fenêtres : « Kot te huur – Geen Walen ».

Ensuite il y eut un trou de vingt ans : la pollution ayant jeté son dévolu sur la mer du Nord, le nageur que j’étais s’en alla plonger dans des eaux plus clémentes.

Puis, soudainement, il y eut 1995. Cette année-là, Walter Tillemans, alors directeur du Raamtheater à Anvers, m’appela par téléphone : « Je vais monter votre Enseigneur ».

En cinq mois, il y eut la traduction, les répétitions, la première.

Mes relations avec le peuple flamand passaient, cette fois encore, par la linguistique. Mais, contrairement à mes expériences précédentes, elles étaient conviviales. D’emblée, le Raamtheater m’accueillit en me disant : « U bent thuis ».

Quelques années plus tard, le même théâtre décida de créer Le vieil homme rangé avant même que l’écriture de la pièce fût achevée. Au cours des répétitions, un étrange sentiment se fit de plus en plus précis : j’avais l’impression que mes interprètes flamands et moi, nous nous comprenions à demi-mot, souvent d’un simple regard, jusqu’aux intentions les plus subtiles. J’appréciais la rapidité de leur travail, la clairvoyance de leurs décisions et leur rigueur intellectuelle au service constant du texte et de l’auteur. Je trouvais en eux, comme en un miroir, mes instincts de travailleur, de fonceur et d impulsif.

Aujourd’hui encore, le Leraar et le Opgeruimde ouwe heer du Raamtheater sont pour moi des versions de référence.

Et, chaque fois que je pénètre dans le théâtre de ces Flamands-là, je me sens vraiment thuis.

Serions-nous de la même race ? De cette race où, par-delà la langue, l’ordre le dispute au coup de cœur ?

M’imaginez-vous, demain, apostrophant un garçon de cinq ans courant sur la pelouse ?… « Weg, jongen ! Niet op het gazon lopen ! »

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