Tous les matins, depuis des années, je rencontrais Charlie au coin du boulevard, devant la bijouterie. Tous les matins, il était là, assis sur son carton, son caniche noir entre les jambes, contrôlant les piécettes que les passants voulaient bien déposer dans son gobelet de Coke usagé. Tous les matins, en allant prendre mon train, je lui donnais dix cents.

Hier, 3 janvier, personne. Lire la suite


(Tragédie céleste)

Une grande pièce toute bleue. Des nuages à perte de vue.

Autour d’une table sur laquelle on distingue de grosses liasses de dollars, quatre hommes sont assis. Ils jouent aux cartes. L’un en face de l’autre, Othello et Lear. Au troisième côté, Macbeth. En face de lui, un petit homme aux cheveux bien peignés, qui sourit comme s’il regardait les anges.

Le petit homme tient en main une carte qu’il hésite à abattre sur le tapis.

Lear : Eh ! bien, quoi ? C’est à toi. Lire la suite


Chaque été, depuis des années, c’est pareil : il n’y a rien à la télé. Pas la moindre brise de culture. Rien qu’une canicule de séries stupides ou de divertissements transparents. Chaque été, on attend l’automne et le retour d’une vraie télé. Et chaque automne, c’est pareil : on subit la nouvelle grille et l’on se désespère devant des émissions encore plus stupides et encore plus transparentes que la saison précédente.

Cette année… enfin ! La RTPF (Radio Télévision Populaire Fanfreluche) vient de mettre au monde une émission culturelle révolutionnaire sur la littérature.

« Qui a dit que les livres ne faisaient pas audience ? déclare l’administrateur général de la RTPF au journal Le Soir. Notre nouvelle émission, intitulée Attila, va déverser vers l’écran des hordes de téléspectateurs à vous écraser l’audimat. » Lire la suite


Salut. Je m’appelle Pauline. J’ai onze ans. Je vais à l’école. J’aime bien la lecture, le calcul et la natation. J’aime aussi les balades à vélo. Et la télé. J’adore regarder les séries. Friends. Dawson. Navarro.

Et Dutroux.

Dutroux, c’est pas une série comme les autres. C’est pas après les pubs. C’est avant. Pendant les infos pour les grandes personnes. Là où elles zappent quand c’est des nouvelles politiques et où elles dézappent quand c’est Henin-Clijsters ou les inondations ou les accidents d’avion.

Ou Dutroux. Lire la suite


Mes compatriotes sont des cons.

Voilà ce que je me disais pendant mes années d’université, en ces temps désormais historiques où un certain Eddy Merckx faisait la une des journaux.

En affirmant la connerie de mes compatriotes, je ne voulais pas me poser en élite. Non : selon moi, je n’étais pas isolé à penser de la sorte, j’étais dans la « normale » du Belge sensé. Cons étaient ceux qui gaspillaient leur temps à suivre les élucubrations de cet Eddy au lieu de fréquenter des gens fréquentables, comme Madame Bovary, Don Quichotte ou Manon Lescaut. Lire la suite


Wgjngnntphtgznlpn !

Tel fut mon premier contact avec les Flamands.

J’avais cinq ans. Je venais d’arriver à Heist-aan-Zee avec ma mère, pour passer quelques jours de vacances. Et je courais sur le gazon du parc. Le gardien ne m’a pas raté : « Wgjngnntphtgznlpn ! » Il n’admettait pas qu’à cinq ans je ne sache pas lire les écriteaux rouges en lettres agressives, et encore moins un mot comme « Verboden ». Lire la suite


Souvent, quand j’étais enfant, mon grand-père m’emmenait promener en train. Cheminot retraité de la SNCB, il bénéficiait de « coupons » gratuits qui lui permettaient de voyager à travers le pays.

Sa préférence allait à la Wallonie : il en avait fait toutes les lignes avec sa loco. Lire la suite


Les Oiseaux. C’est ainsi que le film était annoncé par Télémoustique, que je lisais dans le tramway en revenant du travail. La journée avait été longue, alourdie par une chaleur que la météo ne cessait d’annoncer mais qui n’en finissait pas de ne pas arriver. Je me serais cru dans la canicule de L’Étoile mystérieuse – en négatif, bien entendu.

Mon appartement était frais – comme tous les appartements au cœur d’un printemps belge. J’avais juste le temps d’allumer la télé ; je me composerais un sandwich-salade un peu plus tard. Lire la suite